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AU COEUR DU MÉTIER

Au domaine de la Foliette, en Loire-Atlantique « Le travail en société et l'export nous ont sauvés »

FLORENCE BAL - La vigne - n°284 - mars 2016 - page 26

DENIS BROSSEAU ET ÉRIC VINCENT, associés au sein du domaine de la Foliette, en Loire-Atlantique, ont longtemps fait des choix avant-gardistes. Mais ils sont restés trop centrés sur le muscadet. Ils s'activent pour réagir.
LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

DENIS BROSSEAU (au centre), responsable commercial, et Éric Vincent (à droite), en charge de la vigne, goûtent le cru communal Goulaine avec Valentin Denié (à gauche) qu'ils viennent d'embauché. PHOTO : F. BAL

DENIS BROSSEAU (au centre), responsable commercial, et Éric Vincent (à droite), en charge de la vigne, goûtent le cru communal Goulaine avec Valentin Denié (à gauche) qu'ils viennent d'embauché. PHOTO : F. BAL

ÉRIC VINCENT (à gauche), en charge des vignes, et Denis Brosseau, pilote la taille en guyot nantais sur cette parcelle de muscadet-sèvre-et-maine.  PHOTO : F. BAL

ÉRIC VINCENT (à gauche), en charge des vignes, et Denis Brosseau, pilote la taille en guyot nantais sur cette parcelle de muscadet-sèvre-et-maine. PHOTO : F. BAL

AU CAVEAU, Denis Brosseau sert un client pour une dégustation. Les ventes directes à la propriété représentent 20 % du chiffre d'affaires du domaine. PHOTO : F. BAL

AU CAVEAU, Denis Brosseau sert un client pour une dégustation. Les ventes directes à la propriété représentent 20 % du chiffre d'affaires du domaine. PHOTO : F. BAL

DENIS BROSSEAU montre le fût transparent installé au caveau qui permet d'expliquer aux clients l'élevage sur lies. PHOTO : F. BAL

DENIS BROSSEAU montre le fût transparent installé au caveau qui permet d'expliquer aux clients l'élevage sur lies. PHOTO : F. BAL

« Nous sommes encore là. La vente en bouteilles et l'export nous ont sauvés », se réjouissent Denis Brosseau et Éric Vincent, associés en Gaec à La Haye-Fouassière, en Loire-Atlantique. Leur domaine de la Foliette - 40 ha de vignes dont 37 ha en production en 2015 - s'en sort plutôt bien dans une région où les vins d'appellation se vendent en vrac à des cours en dessous des coûts de production.

Denis Brosseau et Éric Vincent élaborent huit vins dont cinq muscadet-sèvre-et-maine sur lie. Ils commercialisent en direct entre 170 000 et 200 000 bouteilles par an dont deux tiers à l'export. 20 % des ventes se font au caveau auprès d'une clientèle locale, même s'ils sont fermés le week-end.

À 50 et 45 ans, les deux associés viennent de se séparer de leur troisième partenaire, Jean Hervouet, responsable des ventes, parti en préretraite en novembre dernier. « Réglée comme du papier à musique depuis vingt ans, notre organisation s'en trouve bouleversée », confient-ils. Désormais, c'est Valentin Denié, embauché en janvier 2015, qui est chargé du commercial. Et pour pérenniser leur domaine, les deux associés lui ont proposé ainsi qu'à leur autre salarié permanent, d'entrer au Gaec. Compte tenu du manque de visibilité sur l'avenir, il n'est pas sûr que les employés acceptent.

C'est en 1988 que les deux beaux-frères Jean Hervouet et Denis Brosseau créent le Gaec avec 22 ha de vignes familiales. Jean prospecte immédiatement à l'export, d'abord via le Salon des vins de Loire. « En 1988-1989, ce n'était pas la norme. Vendre au négoce rapportait largement plus que la vente directe en bouteilles », témoigne Denis Brosseau.

En 1996, l'exploitation commercialise 130 000 cols par an dont 50 000 par le biais d'un GIE avec cinq autres vignerons. Elle vend déjà les deux tiers de sa production à l'export. Cette année-là, Éric Vincent, jusqu'alors employé à mi-temps, devient associé de Jean et de Denis. Son père vinifiait la production de 8 ha qu'il vendait en vrac au négoce. « À son départ à la retraite, j'ai préféré rejoindre le Gaec plutôt que de me lancer tout seul, raconte-t-il. De plus, nos vignes se touchaient. Nous avons simplement agrandi nos îlots de parcelles. »

Entre 1996 et 2004, le Gaec passe de 30 ha à 40 ha, sa taille actuelle. En 1996, Jean arrête leur partenariat avec le GIE qui n'est plus suffisant et se met à participer à des salons professionnels à l'étranger (voir encadré). Sous sa houlette, les ventes en bouteilles se développent au fur et à mesure de l'agrandissement du domaine, jusqu'à atteindre 250 000 cols en 2005.

« Associés, nous sommes plus forts, soulignent Denis et Éric. Être à trois nous a permis de nous spécialiser et d'être performant chacun sur un volet du travail. » Jean pilotait le commerce, Denis le travail en cave et Éric celui du vignoble.

Au fil des ans, les trois vignerons s'adaptent aux demandes du marché. « Il y a trente ans, les muscadets étaient secs et nerveux. Maintenant, nous recherchons de la rondeur, de la souplesse, une acidité moins agressive et davantage d'expression aromatique », témoigne Denis Brosseau. Pour cela, ils palissent leurs vignes à trois fils pour obtenir 1,4 m de hauteur de feuillage. Ils vendangent quand les raisins sont plus mûrs, à 11-12° d'alcool potentiel, et rallongent la durée de l'élevage sur lies. Et, si cela est nécessaire, ils pratiquent une fermentation malolactique sur 10 à 15 % des volumes. Anticipant la demande pour une viticulture plus respectueuse de l'environnement et soucieux de réduire leurs coûts de traitement, ils s'engagent très tôt dans la production raisonnée et décrochent le label Terra Vitis dès 2000.

Autre point fort, ils maîtrisent leurs coûts de production, même s'ils restent « plus élevés que la moyenne parce que tout est palissé et que nous effeuillons », nuancent-ils. Tous leurs investissements sont réfléchis et pesés. Le matériel est ainsi adapté à leur surface.

À la vigne, tous les traitements sont justifiés. Dans le cadre de la lutte raisonnée, la chambre d'agriculture leur donne des conseils « neutres ». « Je fais très attention à ce que j'achète. Je ne me fais pas empapaouter par les marchands de phytos », souligne Éric Vincent. Depuis plusieurs années, il a arrêté les antibotrytis. « Avec ou sans, on ne voyait pas la différence. À la place, nous effeuillons mécaniquement », explique-t-il.

Le domaine a toujours produit ses propres plants et poursuit dans cette voie : en sélection massale pour le melon de Bourgogne, avec des clones certifiés pour les nouveaux cépages. Toujours pour faire des économies, au chai, les vignerons ne levurent que les premières cuves, histoire de lancer les fermentations, puis ils constituent des pieds de cuve.

Depuis 2000, un bâtiment neuf de 1 000 m2 abrite la cave et le caveau d'accueil. Pratique et fonctionnel, il héberge un pressoir pneumatique Bucher de 50 hl, 4 000 hl de cuverie -des cuves enterrées et verrées, comme il est de tradition en muscadet, et des cuves classiques en Inox -, et un parc de barriques de 100 hl.

En 2010, les contrecoups des crises financières se font ressentir. Les clients fidèles étrangers réduisent leurs commandes. Le domaine peine à en trouver de nouveaux. « On essaie de se positionner sur la frange supérieure des prix du marché (qui restent toutefois très bas, NDLR). Du coup, on nous fait régulièrement remarquer que nous sommes un peu chers. » Pour compenser la chute des ventes en bouteilles, le domaine doit renouer avec la vente en vrac au négoce.

Autres difficultés : « De plus en plus d'exploitations participent à des salons professionnels alors que le nombre d'acheteurs diminue, analysent-ils. En outre, il y a trente ans, vingt négoces régionaux s'impliquaient dans la vente de muscadet. Aujourd'hui, ils ont été remplacés par deux gros faiseurs internationaux pour lesquels le muscadet est anecdotique. »

« Les petites récoltes et les aléas de la production, on s'y fait, confient-ils. L'esca qui fait crever 3 à 5 % des souches par an, on l'accepte. Les contraintes environnementales qui compliquent le travail, on les gère grâce à Terra Vitis qui nous a permis de les anticiper. La plus grosse difficulté, c'est le commerce. Notre domaine tourne bien. Pourtant, on n'arrive pas à dégager suffisamment de marge. Le muscadet a un énorme déficit d'image. Il renvoie toujours à un vin de comptoir alors qu'on peut vraiment se faire plaisir en buvant un verre. » Ainsi, leur cuvée La Haye-Fouassière, un cru communal en cours de reconnaissance, a obtenu 2 étoiles au Guide Hachette des Vins 2016. Ils en élaborent 3 000 cols/an qu'ils vendent 10 € la bouteille. Mais « commercialement ce n'est pas évident, reconnaissent-ils. Les amateurs apprécient, mais c'est plus dur de séduire le grand public ».

Face à ce constat, en guise de test, ils ont restructuré en 2011 un hectare en y plantant du sauvignon et en augmentant l'écartement de 1,4 à 2 m pour passer de 6 600 à 5 000 pieds/ha. Depuis trois ans, ils proposent aussi un melon de Bourgogne demi-sec, Douce Folie, vendu 5 € le flacon de 50 cl en vin de France.

Aujourd'hui, ils considèrent qu'ils sont restés trop longtemps focalisés sur leur appellation. « On produisait encore 100 % de muscadet, il y a cinq ans. On a gardé tous nos oeufs dans le même panier. On aurait dû commencer à changer notre encépagement il y a dix ans, estiment-ils. Le chardonnay et le sauvignon sont à la mode. Les vignerons qui en ont planté les vendent facilement. D'ailleurs, notre sauvignon (4 € le col) se vend tout seul. En janvier, les deux tiers du millésime 2015 étaient déjà réservés. »

Ils en ont tiré la leçon. Profitant du plan de restructuration du vignoble, ils ont arraché 7 ha de melon de Bourgogne après les vendanges de 2015. « C'est la part que l'on vend mal au négoce », précisent-ils. En 2016 et 2017, ils replanteront 2 ha par an avec du sauvignon, du chardonnay et peut-être du pinot gris. Ils ne savent pas encore ce qu'ils feront des 3 ha restant. Soit ils poursuivront la diversification en vin de pays, soit ils replanteront du melon de Bourgogne... Qui sait si, d'ici là, le muscadet ne connaîtra pas un retour en grâce ?

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

L'association à trois pendant vingt ans a permis à chacun de se spécialiser (vigne, chai et commerce), ce qui « les a rendus plus forts », estiment-ils.

Leurs coûts de production sont ultra-raisonnés.

Ils ont réussi à « garder une qualité de vie » en ne travaillant pas le week-end.

Ils ont construit un outil de travail performant.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

En 2013, ils ont embauché un responsable commercial qui n'a pas convenu. Ils ont alors demandé à la chambre d'agriculture de les aider à définir un profil de poste. Valentin Denié a ainsi été embauché en janvier 2015, et cela se passe bien.

Dans les années 2000, ils ont échoué à s'implanter aux États-Unis. « C'était compliqué. Nous avons fait des erreurs d'étiquetage. Nous n'avions pas compris les procédures pour importer sur le marché américain », racontent-ils.

Ils ont trop tardé à renouveler leurs étiquettes. Depuis janvier, les nouvelles sont prêtes, « plus modernes, plus épurées, moins dorées, moins rococo », confient-ils.

LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE « Des salons pro pour développer l'export »

- « Depuis le départ, le domaine participe au Salon des vins de Loire à Angers. Les associés y ont rencontré leurs premiers importateurs. « On a commencé avec la Belgique, l'Allemagne, puis les Pays-Bas et le Japon », se souvient Denis Brosseau.

- À partir de 1996, ils s'inscrivent à des salons professionnels à l'étranger et à Vinexpo pour développer l'export. Aujourd'hui, ils s'interrogent sur leur présence à ce dernier. « C'est cher, et cela reste le salon des Bordelais. ProWein correspond mieux à notre marché de blancs. On y rencontre nos importateurs du Japon et de l'Europe du Nord. »

- Leur objectif ? La conquête des États-Unis. Valentin Denié, responsable commercial, se rendra cette année aux WWM Barcelone et WWM Chicago. « Malgré des procédures complexes, le marché américain est porteur, explique Denis Brosseau. Là-bas, le muscadet n'a pas de problème d'image : soit les gens ne le connaissent pas, soit ils le connaissent, et son image est plutôt bonne. »

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L'exploitation

- Main-d'oeuvre : 2 associés, 2 salariés à plein-temps, des occasionnels.

- Surface : 40 ha dont 37 en production.

- Production totale 2015 : 2 000 hl.

- Appellations : Muscadet, Muscadet-Sèvre-et-Maine sur lie, IGP Val de Loire, vin de France, vin mousseux de qualité.

- Cépages : melon de Bourgogne, sauvignon, colombard et merlot.

- Plantation : 6 600 pieds/ha, reconversion à 5 000 pieds/ha.

- Taille : guyot nantais.

L'essentiel de l'offre

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