LE CHÂTEAU DILLON, domaine du lycée viticole de Blanquefort, a acheté un pulvérisateur Dhugues Koléôs, à trois rangs par passage.
« On ne gagne pas d'argent avec ces appareils, mais on n'en perd pas non plus » Armin Grassa, copropriétaire du domaine du Tariquet, à Éauze (Gers)
LE PRESTATAIRE DE SERVICES BANTON ET LAURET a investi dans la pulvérisation confinée avec ce Lipco de Clemens.
Domaine du Tariquet
« Nos coûts sont restés stables »
Bien qu'il ne connaisse pas de problèmes de voisinage, en 2015, le domaine du Tariquet, à Éauze (Gers), a investi dans 25 pulvérisateurs à panneaux récupérateurs Friuli pour traiter ses 1 100 hectares de vignes. Copropriétaire des lieux, Armin Grassa considère que ces appareils seront incontournables à l'avenir. Il reconnaît qu'au-delà de protéger l'environnement, ils améliorent l'image de marque de son domaine - qui est le premier producteur d'IGP Côtes de Gascogne - et balaie les rumeurs selon lesquelles il n'aurait pas utilisé ses machines.
Au contraire, elles ont tourné toute la saison. Qui plus est, Armin Grassa a tenu son pari de traiter tout son vignoble en un jour et demi, comme avant. Mais il a en payé le prix. Les panneaux Friuli ne traitant que deux rangs par passage, alors que ses anciens appareils en protégeaient quatre, le viticulteur a dû passer de 18 à 25 machines et embaucher autant de chauffeurs supplémentaires. Il a aussi formé ses ouvriers pour rouler plus vite. Désormais, ils traitent à 9 km/h de moyenne, une vitesse bien plus élevée que les 5 km/h classiquement recommandés et qui soulève des interrogations chez les spécialistes de la pulvérisation.
La protection en souffre-t-elle ? Armin Grassa assure que non. L'an dernier, ses vignes étaient bien protégées. Il soutient que les essais menés par l'Irstea, à Montpellier (Hérault), démontrent qu'il n'y a aucune différence de qualité du dépôt des gouttelettes entre 5 et 9 km/h. Il ajoute que cette grande vitesse est permise par la configuration de son vignoble, presque entièrement planté sur des terrains plats avec 2,5 m entre les rangs.
À l'heure de faire le bilan de sa première campagne avec ses nouveaux pulvérisateurs, Armin Grassa soutient que les tractoristes les ont pleinement adoptés. Ils avaient déjà l'habitude de manier des engins délicats comme des rogneuses à double rang. L'informatique des Friuli les a aussi bien aidés.
En effet, elle prend en charge plusieurs opérations dont l'ouverture et le repli des rampes et des panneaux ainsi que la montée et la descente de l'essieu arrière en bout de rang.
Côté économies, le viticulteur estime avoir réduit de 40 % les doses appliquées. Il prévoit de faire mieux cette année car « les réglages de début de campagne 2015 nous ont pris du temps. Nous passons de la protection calculée en litre à l'hectare, à celle mesurée au nombre de gouttelettes par feuille. C'est là que l'on va faire des économies ». Malgré cela, il tient à dissiper toute illusion : « On ne gagne pas d'argent avec un appareil de réduction des doses, mais on n'en perd pas non plus. Malgré le prix de ces équipements et l'embauche de personnel supplémentaire, nos coûts sont restés stables. » Le domaine du Tariquet ne souhaite pas communiquer le prix négocié pour ces équipements.
Château Dillon
« On agit pour l'environnement »
Dans le cadre de leur mission de transfert de nouvelles technologies aux exploitations régionales, les lycées viticoles d'Aquitaine s'essaient aux panneaux récupérateurs. Avec les aides de la région et du SRAL, le lycée viticole de Blanquefort (Château Dillon) s'est ainsi acheté un pulvérisateur Dhugues Koléôs à trois rangs par passage pour la campagne 2015. C'est un appareil à jets portés et récupère la bouillie par une pompe péristaltique.
Chef de culture du domaine, Dominique Foucaud ne cache pas qu'il appréhendait la prise en main de son nouvel outil. « Je craignais l'encombrement des panneaux. Mais finalement, ce n'est pas gênant. Du moins, quand on est déjà habitué à manipuler une voûte imposante de six rangs par passage, ce qui était notre cas ! Nos interrogations au sujet de la fragilité des panneaux ont vite été levées : le pulvé est maniable et stable. »
Reste que ses craintes de voir ses temps de travaux rallongés étaient bien fondées. Comme il a gardé une vitesse d'avancement moyenne de 6,6 km/h pour deux fois moins de rangs traités par passage, son débit de chantier a logiquement été divisé par deux. Il a fallu revoir l'organisation du travail. Les panneaux récupérateurs sont chronophages, y compris en entretien. « Il faut les nettoyer soigneusement après chaque traitement. Des débris végétaux sont aspirés avec la bouillie et colmatent rapidement le système de récupération », prévient Dominique Foucaud.
Aux vignerons qui souhaitent s'essayer aux panneaux récupérateurs, il conseille d'être très au point sur le calcul du volume de bouillie. « Pour adapter les quantités, j'ai estimé le taux de récupération en utilisant des valeurs moyennes (soit 60 à 70 % en début de végétation et de 20 à 30 % en fin de campagne, NDLR). J'ai diminué le volume d'autant, mais gardé une marge de sécurité », explique-t-il. Et quand il lui restait des excédents de bouillie, il les transvasait dans le pulvé pneumatique standard du château, qui tournait en même temps.
En 2015, le Château Dillon a utilisé le panneau récupérateur Dhugues en priorité sur les zones voisines d'habitations, soit sur 7 de ses 40 ha. « Je suis très satisfait de ce matériel y compris sur le plan pratique, même s'il demande plus de temps de travail. Visuellement, sans avoir fait de mesures, on constate qu'il y a bien moins d'embruns dégagés. On se rend compte que l'on fait quelque chose pour l'environnement », apprécie Dominique Foucaud.
Monté sur un tracteur Pellenc, ce dispositif de pulvérisation est estimé à 49 000 €, mais dans les faits, il a été facturé d'occasion, pour 37 000 €.
Banton et Lauret
« C'est plus cher pour nos clients »
À Bordeaux, des exploitations ne souhaitent traiter que leurs parcelles dites sensibles (à proximité d'écoles, d'habitations, de ruisseaux...) avec des panneaux récupérateurs. Elles ne veulent donc pas s'équiper pour cela. Banton et Lauret s'adresse à elles. Début 2015, ce prestataire de services a investi dans la pulvérisation confinée en achetant un Lipco de Clemens, qu'il a monté sur un enjambeur à trois roues Tecnoma. Cette machine a rejoint un parc de 26 pulvérisateurs traitant annuellement 850 à 900 hectares. Elle a travaillé sur 250 ha, essentiellement dans le Libournais et les Graves. « On a tourné de début mai à début septembre, quasiment tous les jours », rapporte Benoît Morgant, le responsable des prestations phytosanitaires pour Banton et Lauret.
En pratique, le prestataire a dédié deux chauffeurs à ce matériel. Ils ont été formés spécifiquement à son maniement et à la gestion des bouillies. Ils ont eu pour consigne de travailler à 5 km/h, en moyenne. « Les panneaux récupérateurs se sont montrés au moins aussi efficaces que les classiques pour ce qui concerne la qualité de la protection des vignes, estime Benoît Morgant. Il est clair qu'au début de la saison, on a des taux de récupération énormes, de 60 à 70 %, mais qu'à la fin on est tombé à des taux proches de 5 à 10 %. Néanmoins, ce matériel reste intéressant pour les embruns. Les produits appliqués vont sur le feuillage. » Un fait dont il s'est assuré avec des papiers hydrosensibles.
Comme il a d'entrée de jeu utilisé intensivement son appareil, le prestataire ne cache pas avoir payé quelques pots cassés. Pourtant, le bilan est globalement satisfaisant, au point qu'il prépare l'achat de deux nouveaux panneaux récupérateurs, traitant cette fois quatre rangs par passage afin de rendre son offre plus attractive.
Car la principale limite reste le débit de chantier. « On perd en rendement, avec au maximum 6 à 7 ha traités par jour. On traite deux rangs par passage, contre trois ou quatre normalement. Il reste à faire pour améliorer la technologie », estime Benoît Morgant.
Le coût de la prestation avec les panneaux récupérateurs s'élève à 100-110 €/ha traité contre 60-70 €/ha en prestation classique, sur des vignes à 1,5 m. Le service est donc « difficile à valoriser, reconnaît Benjamin Banton, le gérant de l'entreprise. Il faut plus de demandes sur les zones à risque pour amortir le matériel, qui n'est aujourd'hui pas compétitif en termes de rapport qualité/prix pour le viticulteur, et donc pour nous. Il faut un sursaut viticole pour mobiliser plus de constructeurs et aboutir à des matériels plus performants et adaptés à toutes les situations. »
Benjamin Banton note également que de plus en plus de propriétés confient leurs traitements à des prestataires. « Au début, on palliait des besoins urgents. Maintenant, il y a une demande croissante pour sous-traiter les travaux de pulvérisation, qui deviennent très lourds en termes logistiques et humains. »
Moins de phytos, plus de main-d'oeuvre
Dans le cas du Château Dillon, la différence de coût entre le pulvérisateur standard et les panneaux récupérateurs est... presque nulle. D'après leur modélisation, le coût d'un traitement est en effet de 98,70 €/ha avec leur pulvé pneumatique - à dose pleine, avec un matériel Éole sur six rangs et amorti sur 40 ha -, contre 99 €/ha pour les panneaux récupérateurs avec un taux de récupération moyen de 43 % sur la campagne, pour trois rangs traités et un amortissement sur 20 ha.
« Au Château Dillon, les économies de produits phytosanitaires réalisées avec la pulvérisation confinée compensent les charges et investissements plus élevés », explique Cécile Moulis, chargée de l'expérimentation aux lycées viticoles publics de Bordeaux Gironde. Les panneaux récupérateurs permettent en effet de réduire les coûts d'intrants de 59 à 33,60 €/ha, tandis que les coûts d'amortissements passent de 23 à 37,60 €/ha (amortissement sur 7 ans), ceux de carburant de 4,8 à 7,40 €/ha, la main-d'oeuvre de 6,1 à 10,50 €/ha et la traction de 5,8 à 9,90 €/ha.
Ces résultats confirment le ressenti du domaine du Tariquet. En revanche, ils ne concordent pas avec les observations de Benjamin Banton selon qui « il est compliqué de faire moins cher que le standard avec les contraintes du confiné... ». Ils ne concordent pas non plus avec les premiers résultats d'une étude menée par la chambre d'agriculture de la Gironde selon laquelle il faut s'attendre à une augmentation de 10 à 30 % des coûts de traitement lorsqu'on passe à la pulvérisation confinée.
Ces constructeurs qui n'y croient pas du tout
À l'exception de Grégoire, les grands constructeurs français sont absents du marché des panneaux récupérateurs. Un paradoxe alors que les fournisseurs actuels, plus petits, affirment peiner à répondre à la demande. Ils s'en expliquent.
Directeur du département viticole de Pellenc, Jacques Servoles juge que les panneaux récupérateurs sont un retour en arrière. « Leur apogée date des années 1990, quand l'arsénite de soude était menacé d'être interdit pour sa dangerosité, rappelle-t-il. Des vignerons ont cru qu'avec les panneaux, ils pourraient continuer à l'utiliser. Mais non. Sur la moquette d'un salon, ces appareils font illusion. Mais une fois dans les rangs de vigne, ils ont toujours les mêmes problèmes de maniabilité. Avec eux, impossible de ne pas plier ou casser un panneau ! » Il ajoute que ces machines ne font que « limiter le brouillard visible ». D'autres restent persuadés que les panneaux récupérateurs ne pourront pas s'adapter à tous les vignobles. Les parcelles en dévers ou pourvues de tournières étroites leur resteront interdites.
Directeur marketing de Berthoud, Jean-Christophe Rousseau est de ce nombre. Il trouve « dommage que les instituts et politiques agricoles privilégient les panneaux récupérateurs. Il y a d'autres solutions pour optimiser la qualité de la pulvérisation, limiter les embruns et réduire les impacts sur l'environnement : le face par face. Berthoud mise dessus depuis des années. C'est le plus opérationnel et le moins coûteux, à l'achat comme à l'entretien. Mais, aujourd'hui encore, on a du mal à convaincre nos clients. Ils le jugent déjà trop cher et surtout trop contraignant. Or, les panneaux récupérateurs le sont bien plus. Avec eux, le chauffeur ne doit pas être bon. Il doit être un champion ! »
« Il y a une nuance entre le nombre d'intéressés et celui des acheteurs, confirme Jérôme Mestrude, le responsable marketing de Tecnoma. Tant qu'il n'y aura pas de réelle contrainte ou d'avantage sérieux, le marché ne bougera pas. Tecnoma ne dit pas qu'elle ne s'essaiera pas aux panneaux récupérateurs, mais nous n'avons pas de projet aujourd'hui. »
Un modèle pour calculer les coûts
La chambre d'agriculture de Gironde développe un programme informatique pour calculer le coût du passage à la pulvérisation confinée. « Nous voulons simuler, en fonction du parcellaire du viticulteur, le coût d'utilisation en temps et en argent de tout type d'appareil », explique Philippe Abadie, directeur du service entreprises, développement et formation. En 2015, la chambre d'agriculture a réalisé cinq simulations selon lesquelles la pulvérisation confinée coûterait 10 à 30 % plus cher que la classique, à cause de l'amortissement des panneaux récupérateurs et de la baisse des débits de chantier. « Nous observons aussi un effet de seuil. Au-delà de 20 ha, il faut deux appareils confinés car il n'est plus possible de traiter toute l'exploitation en moins de deux jours », ajoute Philippe Abadie. Cette année, la chambre d'agriculture va réaliser un plus grand nombre de simulations pour évaluer les conséquences du passage à la pulvérisation confinée. Elle prévoit aussi de lancer un service aux viticulteurs pour faire un calcul de leur cas particulier.