Il suffit de peu pour rater une fermentation en levures indigènes. Une mauvaise souche s'implante, laissant le champ libre aux levures et bactéries d'altération, et le vin se charge de défauts : H2S, phénols volatils, acétate d'éthyle ou acidité volatile... Selon Emmanuel Vinsonneau, ingénieur à l'IFV, la réalisation d'un pied de cuve est le moyen d'éviter de telles déconvenues. À condition d'adopter la bonne méthode. Il l'a cherchée au fil de trois millésimes dans un chai expérimental puis en conditions réelles dans le cadre du projet Casdar Levain Bio. Il a dévoilé ses résultats à Blanquefort, le 19 février, lors d'une journée technique organisée par le Syndicat des vignerons bio d'Aquitaine.
Pour que les fermentations soient rapides, le pied de cuve doit être bichonné. D'abord, il faut récolter un raisin sain et pas trop acide, six à huit jours avant les vendanges. « Il faut prélever l'équivalent de 3 % du volume qui sera ensemencé », explique Emmanuel Vinsonneau. Pour une cuve de 5 hl, il faut donc compter 150 kg de raisin. Mieux vaut préparer au moins deux pieds de cuve pour chaque cuve à ensemencer, et avec des raisins différents, au cas où l'un des deux tournerait mal.
Arrivé au chai, il faut presser le raisin, sans le débourber. Si le moût contient moins de 150 mg/l d'azote assimilable, il doit être complémenté avec du DAP. Pour maîtriser les micro-organismes et favoriser Saccharomyces cerevisiae, l'ingénieur conseille de sulfiter le pied de cuve entre 2 et 3 g/hl. Puis celui-ci doit être inerté tant qu'il n'est pas parti en fermentation et maintenu entre 20 et 25 °C.
En début de fermentation, Emmanuel Vinsonneau préconise une petite aération, même si elle a eu peu d'effet dans ses essais. L'important, c'est que la fermentation aille vite. « Le levain doit perdre 15 à 20 points de densité par jour. Il faut le déguster le plus souvent possible et doser l'acidité volatile avant de l'utiliser. »
Quand le pied de cuve a atteint entre 1050 et 1020 de densité, on peut l'incorporer à la cuve de fermentation. Si elle n'est pas encore rentrée, on peut temporiser en rajoutant 30 % de moût frais dans le pied de cuve. « On peut faire trois, voire quatre recharges au maximum. » Une fois la cuve ensemencée avec le levain, la fermentation démarre aussitôt « contre trois à cinq jours de latence pour les fermentations spontanées ». Et elle se termine rapidement, « parfois même plus vite qu'avec une LSA », alors que, souvent, les fermentations spontanées ne vont pas au bout.
Avec cette méthode, « nous n'avons pas détecté de production anormale d'acidité volatile ou de déviations organoleptiques », explique l'ingénieur. Après six mois d'élevage, les vins ont conservé toutes leurs qualités sensorielles. Ils ont été aussi bien notés que ceux vinifiés avec une LSA.
De même que l'on peut se passer de LSA, on peut faire l'économie de préparations bactériennes. Patrick Lucas, professeur de microbiologie à l'ISVV de Bordeaux, a une astuce pour cela. « L'ensemencement avec des bactéries sélectionnées reste la solution la plus efficace, mais l'utilisation des lies du millésime précédent donne aussi de bons résultats », a-t-il expliqué lors du colloque. Encore faut-il bien les conserver.
Dans ce but, il faut prélever des lies dès la fin de la fermentation malolactique dans une cuve non sulfitée où tout s'est bien déroulé. Ces lies seront conservées au frigo jusqu'à l'année suivante. Le plus facile est de les stocker dans des bidons de 5 ou 10 litres. Ces contenants doivent être remplis au maximum avec leur bouchon pas complètement vissé pendant les premières semaines pour que le CO2 puisse s'échapper. « Quand les bidons sont gardés entre 4 et 10 °C, ils renferment encore jusqu'à 50 % de bactéries vivantes au bout d'un an, explique Patrick Lucas. Les lies mortes auront, quant à elles, un effet nutritif pendant la fermentation malolactique. » Toutefois, il est conseillé d'envoyer ces lies au laboratoire pour s'assurer de la vitalité des bactéries lactiques et de l'absence de Brettanomyces, avant de les utiliser.
Avec des lies bien conservées, les fermentations malolactiques démarrent rapidement après l'ensemencement.
Dans ses essais sur les millésimes 2014 et 2015, le microbiologiste a observé qu'elles dégradaient l'acide malique presque aussi vite qu'une bactérie sélectionnée. Comptez 10 litres de lies de malo bien conservées pour un hectolitre de vin.
Dérivés de levures : du fruit mais peu d'azote
Philippe Cottereau, de l'IFV, a testé l'efficacité des autolysats de levure (Fermaid O, Helper et Vitaferm Bio) et des levures sèches inactivées (Auxilia, Vivactiv bio et Booster Blanc) sur un moût de caladoc très carencé en azote (seulement 60 mg/l d'azote assimilable). Il a d'abord remarqué que, si l'on apporte moins de 40 g/hl à des moûts très carencés, la complémentation en azote organique seul ne permet pas d'aller au bout des fermentations, contrairement au DAP. Il a également constaté qu'à dose équivalente, le DAP apporte 4 fois plus d'azote assimilable que les autolysats « et même 13 fois plus que les levures sèches inactivées ». 40 g/hl de DAP apportent ainsi 80 mg/l d'azote quand la même quantité d'autolysats ne fournit que 20 mg/l. Le DAP est donc de loin la solution la moins onéreuse. En revanche, apporter des autolysats en complément du DAP, dans un ordre ou dans l'autre, a permis d'écourter la durée de fermentation de quelques jours. « Et surtout, toujours en association avec du DAP, les autolysats permettent de gagner en arômes fruités car ils contiennent des précurseurs aromatiques. »
Philippe Cottereau l'a particulièrement observé avec le Fermaid O de l'ICV. Mais il met en garde : « Trop d'azote assimilable favorise aussi les goûts de réduction. La règle de 150 mg/l d'azote assimilable pour la bonne fermentation d'un vin à 12 % vol. et 30 mg/l pour chaque degré supplémentaire est certainement un peu excessive. » Lors de ses essais, les LSI ont donné des résultats plus aléatoires.
Enfin, contrairement à ce qui a été parfois dit, Philippe Cottereau n'a jamais observé d'apparition de goûts de levure avec les dérivés de levure, même à des concentrations importantes.
La bactérie lactique de terroir n'existe pas
Aucune souche d'nococcus oeni n'est spécifique d'un chai, ni même d'une région. C'est un des enseignements du projet Levain Bio, pendant lequel Patrick Lucas et plusieurs partenaires ont analysé plus de 200 vins en cours de fermentation malolactique spontanée. Ils y ont identifié quelque 3 000 souches d'nococcus oeni, dont la plupart sont communes à l'ensemble des régions. Il n'y a donc pas de souches spécifiques d'une région ou d'une exploitation, même si certaines souches restent dans un même chai plusieurs années. Les chercheurs ont en revanche identifié des souches spécifiques de quelques types de vin. Certaines n'existent en effet que dans le bourgogne blanc et le champagne, certainement du fait de leur basse acidité. Les chercheurs n'ont par ailleurs retrouvé que deux souches commerciales, preuve qu'elles n'envahissent pas l'environnement.