JOËL SOURBIER (au centre) et son fils Benjamin (à gauche) avec Vincent Libner, le président de la coop Les Vignerons d'Oléron, au magasin qui commercialise un tiers des ventes conditionnées. F. BAL
DANS UNE PARCELLE DE SAUVIGNON en vin de pays plantée en 1999, Joël Sourbier entretient le palissage avec son fils Benjamin, qui travaille sur l'exploitation en alternance. F. BAL
« C'est une fierté d'élaborer notre vin de pays, de vendre directement nos bouteilles et pas seulement du cognac au négoce. » Joël Sourbier, adhérent des Vignerons d'Oléron, à Saint-Pierre-d'Oléron (300 ha, CA : 4 millions euros), en Charente-Maritime, ne tarit pas d'éloges sur l'initiative prise par sa coopérative, il y a vingt ans, de se diversifier en vin de pays.
« Ce fut une très bonne décision, estime-t-il. Aujourd'hui, la coopérative vit grâce à cela. Nous avons une certaine indépendance. Nous maîtrisons le conditionnement et les ventes directes de pineau et surtout de vins de pays. Nous avons amélioré nos revenus. » Car les vignerons de l'île ne peuvent pas tout attendre du cognac. Leurs terres sont en effet classées en « bois ordinaires », au bas de l'échelle des crus.
Depuis 2000, la rémunération moyenne des adhérents a été multipliée par 2,5 pour s'élever à 5 730 €/ha en 2014. Joël Sourbier peut envisager sereinement l'avenir. Son exploitation familiale, située sur l'île, à Dolus-d'Oléron, compte 27 ha de vignes en 2016, dont 9 en vin de pays. Lorsqu'il la reprend en 1994, trois ans avant le décès de son père Michel, elle ne comprend que 7 ha de vignes et 70 ares de pommiers. À l'époque, le cognac est en crise. La coopérative vend quasiment toute sa production au négoce. « Le négoce est roi. Il commande. Il impose ses prix, raconte Joël Sourbier. D'un côté, c'est normal. C'est lui qui commercialise le cognac en bouteilles. Mais nous, on ne maîtrise rien. »
« Cela n'allait pas trop bien, poursuit-il. En 1997, la coopérative nous a demandé de nous diversifier et de planter des cépages pour élaborer des vins de pays charentais, en profitant des aides à la reconversion. » Des orientations qu'il accueille favorablement.
Deux ans plus tard, les viticulteurs oléronais obtiennent le droit d'ajouter la mention « Île d'Oléron » à leurs vins de pays charentais. C'est un pas important pour la notoriété et la différenciation de leur production. Depuis, Joël Sourbier n'a cessé de s'agrandir. « À chaque fois qu'un voisin a pris sa retraite, j'ai repris son vignoble », raconte-t-il. Pour produire des vins de pays, il a planté de nouveaux cépages tous les ans, d'abord du sauvignon et du merlot, puis, dernièrement, du cabernet franc et du sémillon. Soucieux de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, il agrandit aussi son petit verger de pommiers à 2,7 ha.
Parallèlement, pour devancer la demande de la grande distribution en matière de traçabilité, la coopérative s'est engagée dans la certification Agri-Confiance pour la production de vins de pays. Les Vignerons d'Oléron l'obtiennent en 2005. « On l'a d'abord pris comme une contrainte. En réalité, ce n'en était pas une, raconte Joël Sourbier. On s'est rendu compte que c'était bénéfique car cela instaurait de nouvelles méthodes de travail et davantage d'échanges entre nous à l'occasion de réunions spécifiques organisées au vignoble ou à la coop. Tout le monde y a adhéré. Bien sûr, il a fallu tout enregistrer, tout noter : les intrants et les interventions. Je n'y étais pas habitué. Mais c'est simple. Et une fois que c'est fait, c'est fini. Je suis aussi un consommateur et j'aime savoir ce que j'achète. Je comprends la demande de traçabilité. »
Joël Sourbier construit « une cabane à phytos dans les vignes ». Il fait contrôler régulièrement son pulvérisateur Ideal de 1 500 l traîné. Cette certification l'oblige à mieux entretenir son vignoble, « à être plus carré dans les vignes ». En effet, la coopérative instaure une grille de paiement qui tient compte de la conduite des vignes, de la maturité et de la qualité sanitaire à la réception de la vendange. Son maître de chai et un technicien de la chambre d'agriculture passent trois fois par an pour contrôler les vignes, entre le mois de mai et la veille des vendanges. En vin de pays, Joël Sourbier doit raccourcir la taille pour conserver 12 à 15 yeux par souche en guyot double contre le double dans les vignes destinées au cognac. Il enherbe son vignoble en vin de pays un rang sur deux de manière à réduire la vigueur. Il cultive l'autre rang car c'est moins cher que le désherbage et il a « toujours préféré travailler la terre ». Il désherbe seulement la ligne des souches.
En 2015, il a revendiqué 7,5 ha en vins de pays : 1,5 ha de sauvignon et 6 ha de merlot et cabernet franc. Cette surface va passer à 9 hectares dès 2016.
Le succès des vins de pays a engendré une autre problématique pour la coopérative. Personne ne voulait plus produire de merlot ou d'ugni blanc pour le pineau des Charentes. Car il faut atteindre 10° minimum à la récolte pour le pineau contre 9° pour les vins de pays. « Sans contrepartie financière, ce n'était pas attractif », confirme Joël Sourbier. Résultat ? La coopérative n'a pas augmenté ses prix d'achat de raisins pour le pineau, mais, depuis 2008, elle a imposé à ses adhérents d'y affecter 10 % de leur production. Le pineau représente en effet la moitié du chiffre d'affaires de ses ventes conditionnées. La coopérative devait sécuriser son approvisionnement.
À 48 ans, Joël Sourbier prépare depuis deux ans l'installation de son fils, Benjamin, âgé de 17 ans. Ce dernier suit un Capa vigne et vin au lycée agro-viticole de Jonzac (Charente-Maritime) et effectue sa première année en alternance chez son père. Il devrait revenir à ses côtés dans quatre ans. Dans cette optique, Joël Sourbier s'est encore agrandi et a repris 3 ha de vigne en 2015, puis 6 en 2016.
À partir de cette année, il replantera les vignes d'ugni blanc destinées au cognac à 3 m sur 1 m, au lieu de 2,5 m sur 1 m. Pour réduire les charges de main-d'oeuvre liées au relevage, il les palissera sur trois fils fixes au lieu de cinq. « Les bois vont retomber légèrement. Nous avons tous un peu peur du vent, mais on verra ce que cela donne », note Joël Sourbier, qui envisage de replanter 50 ares dans un premier temps.
Mais son grand projet serait de planter 10 ha de nouvelles vignes en dix ans, en vins de pays, d'une part, et en vins de France avec des cépages résistants aux maladies, d'autre part (voir encadré). « Si j'obtiens des autorisations de plantations, bien sûr », souligne-t-il. Et si ces cépages sont autorisés. Mais il a bon espoir.
La première parcelle qu'il pressent pour accueillir des cépages résistants fait 3 ha et se situe à la sortie du pont d'Oléron, emprunté par 2 millions de personnes tous les ans. Il vient d'y réaliser des analyses de sol et espère pouvoir planter en 2017 dans un cadre expérimental supervisé par la coopérative.
Cette parcelle est à proximité immédiate des petites cabanes à huîtres typiques de l'île. « Là, il est hors de question de traiter, pour préserver l'ostréiculture et l'IGP huîtres Marennes Oléron », continue Joël Sourbier. La parcelle sera, à terme, le point de départ d'un circuit oenogastronomique associant la découverte et la dégustation des huîtres et des vins locaux. L'absence de traitements sera mise en avant auprès des nombreux touristes qui visitent ou séjournent sur l'île. La population d'Oléron passe en effet de 30 000 habitants l'hiver à 300 000 l'été. Le projet est porté par la coopérative et les instances locales.
« On a un cadre de vie très agréable et une manne touristique qui nous fait vivre », souligne Joël Sourbier. Il vend d'ailleurs en direct une partie de sa production de pommes et jus de pommes depuis 2004. « J'aime le contact, j'apprécie les relations avec les clients qui viennent acheter, confie-t-il. Mais je n'aurais pas aimé faire mon vin, ni le vendre. C'est compliqué. »
Dans un monde où il y a de plus en plus de loisirs, il en profite lui-même « grâce à la coopérative » et part régulièrement en vacances. « Moi, je taille, je produis et je livre les raisins. La coopérative s'occupe de tout le reste. À mes yeux, c'est un vrai luxe », explique-t-il, reconnaissant.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
« On a surmonté la crise en se diversifiant en vins de pays, en se retroussant les manches pour vendre nos vins en bouteilles et pas seulement du cognac au négoce. »
Il est très content du choix de son fils Benjamin de s'installer à ses côtés.
Depuis trois ans, sur les vignes qui ont moins de 20 ans, il complante 1 000 ceps tous les ans, 200 en vin de pays et 800 en ugni blanc, pour remplacer les manquants.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS
« Depuis 1999, je me suis diversifié en vin de pays au détriment de la restructuration du vignoble de cognac. Aujourd'hui, celui-ci est vieillissant, avec un âge moyen de 40 ans et un très fort taux de mortalité. »
« Les primes d'arrachage, c'est bien mais heureusement qu'elles ont été stoppées en 1988 sinon je n'aurais pas pu acheter de vignes ni m'agrandir et il n'y aurait plus de vignoble sur l'île. À l'époque, il était plus intéressant de bénéficier des primes que de vendre ses terres à un voisin. »
Joël Sourbier estime avoir trop tardé pour remplacer les manquants liés à la mortalité de son vignoble. Celle-ci atteint 5 % de pieds par an, en particulier sur le sauvignon, l'ugni blanc et avec les porte-greffes SO2.
LA STRATÉGIE DE LA COOPÉRATIVE « Nous voulons miser sur les cépages résistants »
Les Vignerons d'Oléron souhaite planter des cépages résistants au mildiou et à l'oïdium pour produire des vins de France. En avril 2015, Pierre-Luc Alla, le directeur, s'est rendu au domaine la Colombette, dans l'Hérault, pionnier en la matière. Il y a rencontré Vincent Pugibet, propriétaire avec son père François. « Nous avons ensuite visité l'institut de Fribourg, en Allemagne, qui a obtenu des variétés résistantes et suivi une formation avec l'ICV », explique-t-il. Ces visites ont convaincu la coopérative de l'intérêt de ces variétés et l'ont aidé à faire son choix. Elle souhaite planter du souvignier gris et du muscaris, en blanc, et du cabertin en rouge. « Leurs qualités organoleptiques complèteraient bien nos cépages », avance le directeur. Des variétés qui pourraient être autorisées dès l'été prochain.
« L'avantage pour nous serait triple, continue le directeur. Comme les adhérents vont planter un vignoble neuf, ils pourront dessiner de grandes parcelles facilement mécanisables et rentables. Ils traiteront moins, ce qui réduira les coûts de production. Et ces variétés tolérantes constitueront une belle vitrine de nos efforts en matière de respect de l'environnement pour des nombreux touristes de l'île. » L'implantation se fera d'abord à titre expérimental.