AUX PREMIERS SIGNES DE STRESS HYDRIQUE, les vignerons peuvent réduire l'enherbement de leurs vignes. © P. CRAPON/GFA
UN DÉBUT D'ÉTÉ 2015 TRÈS SEC À VERZENAY Ce graphique montre l'évolution de la réserve en eau dans les sols superficiels (courbe rouge), moyens (courbe jaune) et profonds (courbe verte) à Verzenay, dans la Marne, l'an dernier. Entre mi-juin et mi-juillet, cette réserve est passée en dessous de la moyenne dans les trois profondeurs. SOURCE : CIVC
Depuis deux ans, le Comité Champagne (l'interprofession) offre un nouvel outil aux viticulteurs : la météo des sols. « Il s'agit du modèle de bilan hydrique WaLIS, développé par l'Inra et l'IFV, adapté à notre contexte », explique Olivier Garcia, responsable du projet au Comité Champagne. Concrètement, ce modèle évalue l'eau disponible dans le sol pour la vigne tout au long de la saison. Pour décrire son fonctionnement, Olivier Garcia utilise l'image de la tirelire. « Nous considérons que la réserve est pleine au 1er janvier. Puis, au fur et à mesure de la saison, on y soustrait l'eau qui a transpiré par la plante et celle qui s'évapore du sol, puis on y ajoute celle apportée par les pluies. »
Le modèle calcule le niveau de remplissage de la réserve utile en 38 endroits, correspondants aux 38 stations météo installées dans tout le vignoble. Pour cela, il s'appuie sur les relevés de chaque station. « En Champagne, la réserve utile est de 200 mm en moyenne, avec des variations entre 100 et 300 mm, selon les sols. Durant tout son cycle, la vigne va consommer environ 400 mm. Sachant que les précipitations moyennes sont de 60 mm par mois et que l'évapotranspiration est comprise entre 50 et 100 mm par mois, on peut donc très rapidement se retrouver dans une situation de contrainte hydrique », note Olivier Garcia.
Un bulletin hebdomadaire
Chaque semaine, le Comité Champagne applique le modèle et diffuse les résultats dans son bulletin d'avertissement viticole et sur son extranet. Il l'envoie également par e-mail aux viticulteurs qui en ont fait la demande. Pour chaque station météo, le Comité édite ainsi un graphique sur lequel apparaît en bleu un « couloir » correspondant à la plage de réserve en eau souhaitable tout au long de la saison. Le viticulteur visualise également trois courbes correspondant à l'année en cours et indiquant, semaine après semaine, la réserve en eau dans les sols superficiels, les sols moyens et les sols profonds. Un viticulteur peut donc voir très rapidement si la réserve est suffisante ou non. Et agir en conséquence...
Une aide pour entretenir les sols
Cet outil est très utile pour piloter l'entretien des sols. « L'an passé, on a très vite vu que les courbes décrochaient. Dès le 9 juin, dans les parcelles aux sols superficiels, on a conseillé aux viticulteurs de réduire le couvert enherbé, par une tonte, un retournement mécanique ou une voie chimique s'ils n'avaient pas d'autre choix », rapporte Olivier Garcia. Le technicien rappelle d'ailleurs l'adage : « Un binage vaut deux arrosages ». Et d'expliquer : « Lorsqu'on retourne un enherbement, on met ses racines à l'air. Celles-ci arrêtent alors de consommer l'eau. Le travail du sol casse également les flux de remontée d'eau. » De cette manière, on limite la contrainte hydrique.
Organiser les vendanges
L'outil sert également à prévoir la date des vendanges. Démonstration en 2015. « Dès le 15 juillet, on a vu que les sols devenaient vraiment secs. On a alors établi les trois scénarios les plus probables. Soit la sécheresse se poursuivait jusqu'aux vendanges, comme en 1976. Dans ce cas, les viticulteurs devaient se préparer à vendanger dès la fin août. Soit le millésime se distinguait par une sécheresse jusqu'au 15 août, puis par des pluies abondantes. Dans ce cas, le risque était d'assister à des éclatements de baies et un à développement du botrytis. Les viticulteurs devaient donc se tenir prêts à anticiper les vendanges. C'est ce qui s'était passé en 2010. Soit, dernière possibilité, la saison s'achevait avec des petites pluies régulières. Les viticulteurs devaient alors se préparer à vendanger un millésime d'exception, comme en 1996 », rapporte Olivier Garcia.
Au final, qu'est-il arrivé ? « On a battu un record de sécheresse à la véraison. Puis, plusieurs épisodes pluvieux ont rechargé les sols. Les baies ont grossi sans éclater, sauf dans de rares parcelles. Selon notre modèle, le millésime 2015 s'annonce sous de très bons auspices. » Ce qui se confirme dans les chais.
Le Comité Champagne va faire évoluer l'outil en y intégrant des prévisions météo à sept jours. Cela permettra d'anticiper davantage le stress hydrique. Les viticulteurs pourront alors réduire plus tôt la concurrence exercée par les enherbements.
En Alsace, l'interprofession (Civa) met aussi à la disposition des professionnels un bilan hydrique basé sur des simulations réalisées avec le modèle WaLIS. Pour le moment, il est calibré sur une vigne standard : sol avec une réserve utile moyenne, enherbé un rang sur deux avec des pratiques culturales classiques... Le Civa le fait tourner avec les données climatiques issues de deux stations météo : l'une située à Colmar dans une zone plutôt sèche, l'autre située à Bergheim, un secteur plus arrosé. Le viticulteur ou le technicien sélectionne la station qui correspond le mieux à sa situation puis visualise à l'instant « t » la contrainte hydrique à laquelle la vigne est soumise. Il a aussi accès à des simulations pour les jours suivants établies à partir des prévisions météo et de données historiques sur trente ans. Il peut comparer l'année en cours aux années antérieures (jusqu'en 1991). Mais, contrairement au Comité Champagne, le Civa n'y associe pas de conseils techniques. À chacun de savoir ce qu'il convient de faire avec ces informations.
Un outil pour gérer l'irrigation dans le Sud
Les chambres d'agriculture du Languedoc-Roussillon et l'IFV s'appuient sur le modèle WaLIS de bilan hydrique des sols pour gérer l'irrigation. Concrètement, l'IFV utilise les données climatiques de Metéo France ou de l'Association climatologique de l'Hérault pour faire tourner le modèle WaLIS. Les résultats des simulations sont alors envoyés aux chambres. « Dans l'Hérault, ces simulations sont réalisées à partir des données de huit stations météo et pour trois types de sol (superficiel, moyen, profond). Nous les confrontons à des observations dans des parcelles de référence dans lesquelles nous faisons des constats de croissance d'apex et des mesures automatiques de la tension de l'eau et de l'humidité dans le sol. De là, nous établissons, chaque semaine, un bulletin d'irrigation diffusé sur le terrain », rapporte William Trambouze, de la chambre d'agriculture de l'Hérault.
Le Point de vue de
ANTOINE PAILLARD, VIGNERON À BOUZY (MARNE), 11 HA DE VIGNES
« Je raisonne mieux mes interventions »
« Je travaille en bio depuis deux ans. Je pratique donc le désherbage mécanique intégral. Je laisse l'herbe se développer en hiver car elle apporte de la vie dans le sol. Toutefois, elle peut rapidement s'avérer concurrentielle, c'est la raison pour laquelle je détruis ce couvert dès mars-avril, puis j'interviens toutes les deux à trois semaines. J'ai commencé à utiliser la météo des sols l'an passé. Chaque semaine, j'ai reçu un e-mail présentant l'évolution de la réserve hydrique des sols de mon secteur. Cela m'a permis de programmer plus finement mes interventions parcelle par parcelle. Début juin, lorsque j'ai vu que les courbes commençaient à décrocher, j'ai décidé d'intercaler un passage supplémentaire dans les parcelles très sensibles au stress hydrique, de manière à n'avoir aucune herbe. Par la suite, comme l'herbe ne poussait quasiment plus, je suis resté à un passage toutes les deux à trois semaines. Fin juillet, le stress hydrique persistant, j'ai effectué un dernier passage pour éliminer le peu de couvert qu'il y avait. Habituellement, j'évite d'intervenir à cette période à cause du risque de minéralisation de l'azote s'il pleut après le désherbage, ce qui favorise le botrytis. Mais, l'an passé, cela n'a pas été le cas. L'outil météo des sols est un moyen supplémentaire pour raisonner l'entretien des sols. »
Le Point de vue de
ANGÉLIQUE BILLAT, TECHNICIENNE VITICOLE CHEZ VEUVE CLICQUOT, DANS LA CÔTE DES BAR (AUBE)
« Nous affinons nos sélections parcellaires »
« Nous utilisons la météo des sols de deux manières. Elle nous permet d'abord de mieux conseiller les viticulteurs pour l'entretien des sols. Un nombre croissant d'entre eux enherbe leurs parcelles, même dans des zones qui ne s'y prêtent pas forcément. Nous devons donc les conseiller afin qu'ils puissent gérer cet enherbement sans mettre en péril leur récolte. L'an passé, l'outil nous a permis de voir qu'on entrait dans une période de stress hydrique dès le mois de juin. Dans certaines parcelles, nous avons préconisé un estivage mécanique ou chimique, pour arrêter la croissance du couvert sans le détruire. On a ainsi gagné quinze jours entre le moment où l'outil nous a alertés et l'apparition des premiers signes de stress dans le vignoble. En juillet, voyant que le modèle indiquait toujours une situation de stress, nous avons recommandé aux viticulteurs de poursuivre l'entretien des sols, afin de reboucher les fissures de surface et de limiter le dessèchement en profondeur. Mais nous utilisons aussi l'outil pour affiner nos sélections parcellaires de rouges destinés à l'élaboration des champagnes rosés. Il nous aide en effet à mieux hiérarchiser les parcelles en fonction de leur comportement hydrique et à mieux comprendre que certaines se dessèchent plus vite que d'autres. »