Cela s'appelle de la rétro-observation. Jérôme Poulenard et Pierre Sabatier, respectivement pédologue et géologue à l'université de Savoie, ont analysé les sédiments déposés au fond du lac de Saint-André, sur la commune des Marches (Savoie). Les eaux de ce lac proviennent d'un bassin-versant planté de 17 ha de vignes. Les chercheurs ont d'abord daté les sédiments. Ils se sont penchés sur les plus récents, ceux déposés entre 1890 et 2010. Ils ont mesuré les quantités de matières actives présentes dans ces dépôts et ont relié leurs résultats à la période d'utilisation des produits.
Une comparaison fructueuse
« Pour l'essentiel, on voit apparaître les matières actives au moment où les viticulteurs ont commencé à les utiliser, puis disparaître quand ils les ont abandonnées au profit d'autres matières actives ou parce qu'elles ont été interdites », explique Jérôme Poulenard.
Les chercheurs ont ainsi pu retracer l'histoire du cuivre. « Il apparaît dans les sédiments dès la fin du XIXe siècle au moment où les viticulteurs ont commencé à l'appliquer contre le mildiou. Puis sa présence augmente jusqu'à atteindre un pic après la Seconde Guerre mondiale. Les quantités retrouvées restent par la suite stables avant de diminuer à partir des années 1990, lorsque les viticulteurs ont réduit leurs applications. »
Autre exemple : le zinc dont la présence dans les sédiments est à mettre en relation avec l'utilisation du mancozèbe contre le mildiou et le black-rot. « Introduit dans les années 1960, on le retrouve de manière forte jusque dans les années 1980. Puis, il baisse. »
Des résultats inattendus
C'est le cas avec le DDT, interdit en France depuis 1972. Cet insecticide apparaît dans les sédiments datés du début du XXe siècle. Ses teneurs augmentent dans les années 1960, avec un pic dans les années 1970, puis décroissent très fortement jusqu'à presque disparaître. Logique. Mais le DDT réapparaît de façon importante dans les sédiments datés des années 1990, soit plus de vingt ans après son interdiction. Bigre ! Y aurait-il eu des utilisations frauduleuses ? En réalité, non. Ce pic de DDT est principalement constitué de DDE, un composé issu de la dégradation du DDT à l'air libre. Pour les chercheurs, ce phénomène est dû à une remobilisation du DDT qui était stocké dans les sols, juste au-dessus du lac.
Au même moment que le DDT, les chercheurs notent l'apparition dans les sédiments de l'AMPA, le métabolite du glyphosate. Ils découvrent également qu'à cette période le taux de sédimentation a doublé, ce qui témoigne d'une aggravation de l'érosion. Leur interprétation ? « Le désherbage chimique des vignes a favorisé l'érosion des sols. Cela a engendré une remobilisation du DDT et son transfert dans les eaux du lac. »
Une amélioration depuis 2007
À partir de 2007, les viticulteurs ont enherbé les vignes. Du coup, les dépôts de sédiments ont diminué pour revenir au même niveau que celui des années 1970, ce qui atteste d'une nette baisse de l'érosion. Dans les sédiments datant de 2007 à 2011, le DDT a disparu. Les teneurs en AMPA et celles de tous les produits phytosanitaires utilisés ont diminué. Le résultat des efforts environnementaux consentis par les viticulteurs.