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DOSSIER - Exportations : comment relancer la machine

Exportations Comment relancer la machine

PAR MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°286 - mai 2016 - page 20

Depuis quinze ans, les vins français perdent des parts de marché à l'exportation. Le négoce appelle à plus de compétitivité sur les entrées et milieux de gamme. Son discours peine à convaincre la production.
LE CHIFFRE D'AFFAIRES RECORD des ventes de vins français à l'international en 2015 ne doit pas masquer la baisse de nos volumes exportés. © MESSE DUESSELDORF

LE CHIFFRE D'AFFAIRES RECORD des ventes de vins français à l'international en 2015 ne doit pas masquer la baisse de nos volumes exportés. © MESSE DUESSELDORF

C'est l'histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut se féliciter comme se désoler de l'évolution des exportations françaises en 2015.

Une baisse des volumes exportés

En valeur, elles atteignent le chiffre record de 8,27 milliards d'euros, grâce à un rebond de 6,8 % après deux années de recul. « Les prix des vins exportés par la France comptent parmi les plus élevés du monde, ce qui traduit un positionnement sur des produits bien valorisés, et même de plus en plus valorisés [...] depuis quinze ans », constate FranceAgriMer, dans son bilan 2015 du commerce extérieur du vin. L'envers du décor, c'est le nouveau recul des volumes, pour la troisième année consécutive. « Entre 2013 et 2015, ce sont 16 millions de caisses de vins tranquilles qui n'auront pas été vendues à l'international, soit 1,4 million d'hectolitres », déplore la Fédération des exportateurs de vins & spiritueux (FEVS). Ce recul s'explique en partie par la faiblesse des disponibilités après la récolte 2013, historiquement faible dans toutes les régions à l'exception du Languedoc-Roussillon, qui a été pénalisée l'année suivante. Et c'est la double peine car ce manque de volumes a provoqué une hausse des prix, dégradant la compétitivité des vins français.

Le problème n'est pas que conjoncturel. Depuis quinze ans, la part de marché des vins français dans les échanges mondiaux ne cesse de fondre : en volume, elle est passée de 25 à 14 %. En valeur, elle a reculé de 45 à 30 %. Ce qui signifie que même si nos ventes progressent en valeur, elles augmentent moins vite que celles de nos concurrents.

Un manque de compétitivité sur les milieux et entrées de gamme

« Nos vins haut de gamme se portent très bien, mais nous perdons pied sur nos entrées de gamme et sur les vins premium qui constituent l'essentiel du marché mondial, analyse Laurent Delaunay, patron fondateur de la maison Badet Clément & Co. Depuis quinze ans, on assiste à l'émergence des vins de marque sur ce segment de marché, et cette évolution profite essentiellement aux vins du Nouveau Monde. Dans le Top 20 des marques mondiales, une seule est française : J.P. Chenet. Avec ses vins de terroir, la France propose des vins culturels, qui s'adressent à un public restreint. Pour conquérir ce coeur de gamme, nous devons réorienter notre offre vers des vins de consommation facile. »

Une position également défendue par Jean-Marie Barillère, président du Cniv : « Nos pertes de parts de marché sont le résultat d'une stratégie voulue : l'orientation de notre vignoble vers le tout IG. On a voulu appliquer les règles de production des vins très haut de gamme aux vins premium. Ce dogme du tout IG aboutit à une multiplicité de dénominations qui rendent l'offre française incompréhensible. Notre système n'est pas adapté au marché international. »

Le Languedocien Jean-Claude Mas, fondateur des Domaines Paul Mas, est plus nuancé. « Les néoconsommateurs accordent peu d'importance à l'appellation. Ils recherchent des vins gourmands et faciles à boire. L'offre doit donc être simplifiée. Mais, sur les marchés plus matures, comme en Europe, la complexité de notre offre est un atout pour séduire une clientèle plus élitiste. »

Michel Chapoutier, qui a décroché pour la troisième année consécutive le titre envié de marque française de vins la plus admirée au monde, plaide aussi pour une meilleure segmentation de l'offre française. « En France, on est obsédé par les grands vins, confie-t-il. On a snobé les entrées de gamme. C'est une erreur. On ne prend pas un escalier dont il manque les trois premières marches. Pour vendre nos hauts de gamme, il faut qu'on sache faire des vins sympas d'entrée de gamme. » Le producteur-négociant rhodanien pointe les anomalies de notre système. « À travers le jeu des replis, les vins d'entrée de gamme sont produits par des vignobles d'IGP ou d'AOP. C'est une incohérence économique. Dans les exploitations, il faudrait des vignes dédiées à la production d'entrée de gamme sur les terres les plus productives et des vignes ne produisant que de l'AOP sur les terroirs les plus qualitatifs. Des AOP à moins de 4 € la bouteille, ça ne devrait pas exister. Nos AOP doivent rester des produits d'exception. Nous avons trop d'AOP régionaux qui ne sont pas dans le bon créneau de prix. »

La production réticente à se lancer dans les hauts rendements

Soutenue par l'Anivin, l'idée de développer des vignobles à hauts rendements pour la production de vins sans IG ne semble pourtant pas rencontrer l'adhésion de la production. Gérard Bancillon, secrétaire général de l'ODG Pays d'Oc, est vent debout contre ce projet : « En France, nous avons une réglementation plus restrictive que dans d'autres pays. Nous ne pourrons jamais être compétitifs sur ces vins premier prix. »

Bernard Farges, président de la Cnaoc, est tout aussi réticent : « Créer une filière de vins de misère n'intéresse pas grand monde. Pour nous développer à l'export, appuyons-nous sur nos points forts plutôt que sur nos points faibles. Nos IG en sont un. Nous avons des IG capables de fournir de gros volumes pour l'export. C'est là-dessus qu'il faut capitaliser, en développant des forces commerciales capables de défendre ce positionnement. Ce n'est pas un handicap d'avoir beaucoup d'appellations. Le succès des vins italiens, qui en comptent une multitude, nous prouve le contraire. »

Des vendeurs trop peu qualifiés

Alors, où est le problème ? « Nous avons besoin de vendeurs d'élite, mais en France, on ne sait pas en former, déplore Michel Chapoutier. Dans nos grandes écoles de commerce, les étudiants s'orientent vers la finance ou le marketing, et non vers la vente. Les BTS Forces de vente, c'est bien joli, mais nous avons besoin de pointures pour l'export. » Un constat partagé par Jean-Claude Mas : « Je n'ai jamais reçu de CV d'étudiant d'HEC ou de l'Essec. La filière a sans doute un effort à faire dans ces écoles pour attirer les jeunes talents. »

Autre handicap : la taille des opérateurs

« Pour aborder la grande distribution à l'étranger, il faut des budgets conséquents. Nous manquons d'entreprises de dimension internationale, capables de fournir de gros volumes et de supporter les coûts de distribution », constate Jérôme Agostini, le directeur du Cniv. Bernard Farges, lui, pointe la sous-utilisation des fonds européens pour la promotion dans les pays tiers. « Il est aberrant que ces aides soient si peu utilisées. Les procédures sont beaucoup trop lourdes et complexes. Le dispositif n'est pas opérant. C'est un échec collectif », souligne-t-il.

Des atouts sur lesquels il faut miser

Pour autant, rien n'est perdu. « Il est encore temps de s'adapter. Les vins français ont une cote incroyable. Notre style de vie et notre gastronomie sont des atouts formidables pour mettre en avant nos vins. Il faut être plus à l'écoute du consommateur et réfléchir à de nouveaux concepts marketing répondant à ses attentes, tout en véhiculant cette image française », suggère Laurent Delaunay.

« Quand on sait s'en servir, le label France aide à vendre. Il faut peu de chose pour revenir dans le coup. Il faut surprendre et sortir de nos clichés », confirme Jean-Claude Mas.

Pour les négociants, la réflexion doit être menée avec la production. « Il faut travailler main dans la main et que chacun fasse son métier : aux producteurs de produire les vins attendus avec une garantie de revenu, aux metteurs en marché d'assurer marketing et commercialisation », soutient le Languedocien. « Sortons de la guerre des clochers. Il faut une coopération entre production et négoce, qui passe par la contractualisation », défend le Bourguignon. La reconquête de nos marchés export passe aussi par une filière plus soudée.

Ça bouge du côté des accords de libre-échange

Au Vietnam, l'affaire est résolue. En 2015, ce pays a signé un accord de libre-échange avec l'Union européenne : les droits de douanes, qui s'élevaient à 50 % pour les vins, seront ramenés à zéro en sept ans. Le Mexique, le Chili et l'Afrique du Sud ont déjà signé de tels accords. Mais nombre d'États soumettent encore les vins européens à des taxes exorbitantes : c'est le cas de l'Inde (150 %), de l'Égypte, de la Thaïlande et du Brésil. Au Japon et en Chine, nos vins subissent une taxe respective de 54 et 14 %, alors que leurs concurrents du Chili ou d'Australie entrent sans droits de douane. Le montant de ces droits est d'autant plus crucial qu'il sert de base au calcul d'autres taxes, créant ainsi un effet « boule de neige ». Des accords de libre-échange sont en discussion, dont le Tipp avec les États-Unis, lequel devrait supprimer les derniers droits de douane applicables aux vins expédiés outre-Atlantique. Les négociations avec le Canada, le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la Malaisie devraient, elles, vite aboutir selon la FEVS (Fédération des exportateurs de vins & spiritueux). Mais les tractations avec l'Inde, la Thaïlande et le Mercosur sont moins bien engagées.

PASCAL FERNAND, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DES VINS ET SPIRITUEUX EN AMÉRIQUE DU NORD (APVSA), À MONTRÉAL « Les importateurs américains veulent gagner de l'argent »

 © APVSA

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À la tête de l'APVSA depuis 1999, Pascal Fernand accompagne plus de trois cents vignerons par an, dont une grande partie de Français, dans leur recherche d'importateurs et de distributeurs au Canada et aux États-Unis. « Les importateurs américains cherchent des vins qui se vendront bien et qui leur feront gagner de l'argent. Nombre de producteurs français sont encore persuadés que leurs vins vont se vendre parce qu'ils sont français. C'est vrai pour certaines régions comme la Bourgogne et le Sancerrois, très demandées, mais pas pour toutes. Les producteurs doivent se déplacer et rencontrer les importateurs. Il ne suffit pas d'envoyer des échantillons. Il faut se rendre sur place, présenter ses vins et avoir une histoire à raconter. La maîtrise de l'anglais est évidemment impérative. Coller aux attentes du consommateur américain est tout aussi primordial. Les Français sont souvent trop conservateurs. Ici, l'avenir du vin, ce sont les jeunes. Il faut des packagings modernes, des étiquettes épurées, sans trop de texte à lire. Et ne pas craindre d'utiliser la capsule à vis, même pour les sancerres. »

Provence : dans la cour des grands

C'est la success-story des vins français à l'étranger. En dix ans, les exportations de vins de Provence ont été multipliées par 4 en volume et 9,5 en valeur. Sur la seule année 2015, la Provence enregistre de loin les meilleures progressions dans toutes les AOC françaises de vins tranquilles : + 31 % en volume, + 43 % en valeur. Ses exportations se sont élevées à 237 500 hl, soit 21 % du total des ventes. En valeur, elles ont atteint 132 M€. Qui plus est, ses vins sont de mieux en mieux valorisés. Parti de 1,50 € au début des années 2000, le prix moyen du litre exporté s'établit aujourd'hui à 4,20 €. Un succès lié à l'engouement pour les rosés et au travail accompli par la profession. « La qualité de nos rosés ne cesse d'augmenter. La Provence est désormais la référence mondiale pour les rosés haut de gamme. Quand un distributeur veut référencer des rosés, il commence forcément par un rosé de Provence », analyse Éric Dufavet, directeur de l'interprofession (CIVP). Les vignerons bénéficient également de l'image de leur région. « Le vin de Provence, c'est plus qu'un produit : c'est de l'imaginaire. Le consommateur achète une région qui le fait rêver », poursuit Éric Dufavet. Autre explication de cette percée fulgurante : la Provence profite d'une nouvelle tendance aux États-Unis. « Les Américains se sont détournés des "blush", ces rosés sucrés jusqu'ici très prisés, au profit des rosés secs, jugés plus diététiques », observe-t-il. Depuis 2009, grâce aux aides européennes, le CIVP a doublé son budget de promotion dans les pays tiers et notamment aux États-Unis, son premier client à l'export. Pour accompagner la montée en gamme de ses rosés, l'interprofession a concentré sa communication sur l'accroche « Provence : the gold standard » (le luxe abordable). Une manière de souligner que la région joue désormais dans la cour des grands.

Cahors : le succès du French Malbec

À contre-courant de la tendance nationale, l'AOC Cahors poursuit sa percée à l'export. En 2015, elle progresse encore de 8 % en volume et de 13 % en valeur. Certes, les chiffres restent modestes : l'appellation n'exporte que 37 800 hl, soit 25 % de sa production. Mais, en cinq ans, ses ventes à l'étranger ont progressé de plus de 70 %, en volume comme en valeur. « Nous sommes à mi-parcours de notre objectif qui est d'exporter 50 % de notre production », commente Jérémy Arnaud, directeur marketing de l'interprofession (UIVC). Le trio de tête des importateurs est anglo-saxon : Canada, États-Unis et Royaume-Uni. Dans ces pays, le malbec est devenu tendance grâce aux Argentins qui ont fait de ce cépage français leur variété emblématique. Toute l'habileté de l'UIVC a été d'intégrer cette mouvance en mettant en avant le cépage malbec, plutôt que la seule origine Cahors. « Nous avions la possibilité de nous rallier à la bannière du Sud-Ouest. Nous avons préféré consacrer tous nos moyens à une communication ciblée sur le triptyque : Cahors Malbec France. Ce positionnement nous paraissait plus apte à entrer en résonance sur le marché mondial », explique Jérémy Arnaud. Cette stratégie s'illustre par le placement systématique depuis 2009 du pavillon interprofessionnel « Cahors Malbec » à côté de celui des Argentins lors des salons Vinexpo à Bordeaux, mais aussi à Hong Kong. La stratégie semble payante : à partir de 2011, l'export décolle. Absent de Grande-Bretagne il y a cinq ans, le Cahors représente désormais 10 000 hl sur ce marché très concurrentiel. « Nous y sommes entrés avec des prix serrés. Le but aujourd'hui est de monter en gamme. C'est l'enjeu de notre stratégie Future Malbec grand cru, qui vise à faire de Cahors le berceau des grands crus de Malbec. »

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