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VIGNE

Pierre Galet Infatigable ampélographe

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°286 - mai 2016 - page 42

Pierre Galet est des plus grands ampélographes mondiaux. Montpellier SupAgro lui a rendu un hommage émouvant le 6 avril. L'occasion de retracer son passionnant parcours.
PIERRE GALET et son Dictionnaire encyclopédique des cépages et leurs synonymes. © S. THOMAS/AFP

PIERRE GALET et son Dictionnaire encyclopédique des cépages et leurs synonymes. © S. THOMAS/AFP

Le destin est parfois facétieux. L'ampélographie est la matière où Pierre Galet a obtenu la plus mauvaise note lors de ses études à l'École nationale d'agriculture de Montpellier. Pourtant, aujourd'hui, il est reconnu comme le « pape » de cette discipline. Sous son impulsion, cette science de l'identification des variétés de la vigne s'est modernisée grâce à une approche morphométrique qu'il a codifiée.

Pierre Galet démarre sa carrière comme oenologue. C'est en 1944, qu'il s'intéresse de plus près à la viticulture. Cette année-là, son ancien professeur, Jean Branas, lui propose un poste d'agent de contrôle au service de la protection des végétaux.

Sa mission : contrôler les plants de vigne chez les pépiniéristes, avec Henri Agnel, un autre élève ingénieur agronome de sa promotion. « À l'époque, les pépiniéristes étaient libres de cultiver les variétés de leur choix. Nous n'avions aucune information sur les porte-greffes qu'ils produisaient, ni sur ceux plantés en France. Lors des premiers contrôles, nous n'étions pas toujours bien accueillis », se souvient-il.

Les deux jeunes diplômés n'ont qu'une mince connaissance de l'ampélographie. Ils se plongent dans tous les ouvrages de référence de l'époque. Et surtout, ils vont observer les vignes de la collection de l'école de Montpellier pour repérer les critères permettant de différencier les cépages et les porte-greffes. Peu à peu, l'oeil de Pierre Galet et de son comparse s'affûtent. Lors d'un contrôle chez Richter, alors numéro un mondial de la pépinière viticole, le jeune inspecteur repère une anomalie dans une parcelle censée être plantée en 3306 C (Couderc). Ce porte-greffe possède uniquement des fleurs mâles. Or, dans cette parcelle, des pieds présentent du raisin. Pour cela, ils ont forcément émis des fleurs femelles. En fait, ce sont des pieds de 3307 C, un autre porte-greffe obtenu par Couderc, dont les bois avaient été mélangés à ceux du 3306 C. Une révélation qui a valu à Pierre Galet les foudres du puissant pépiniériste.

Peu à peu, Pierre Galet et Henri Agnel mettent au point une méthode d'identification des cépages et des porte-greffes. Dès sa publication, en 1946, dans les Annales de l'École d'agriculture, elle rencontre un succès retentissant. Cette méthode, qui sera affinée par la suite, repose sur deux critères essentiels : la villosité au bourgeonnement et des mesures de différents paramètres de la morphologie des feuilles (longueur des nervures et des angles qu'elles forment entre elles...).

En octobre 1946, Pierre Galet devient enseignant-chercheur à Montpellier SupAgro. « J'ai doublé mon salaire. Au contrôle, je gagnais moins qu'une dactylo. » Ses élèves lui réclament un manuel détaillant sa méthode d'identification. En 1952, il publie un ouvrage consacré aux porte-greffes. Ce sera le premier d'une longue série de publications qui contribuèrent à la renommée internationale de l'ampélographe montpelliérain.

En 1979, Lucie Morton, l'une de ses élèves, traduit en anglais son Précis d'ampélographie pratique. Et la prestigieuse université américaine de Cornell le publie. Les portes du continent nord-américain s'ouvrent à lui. Il ne s'y fera pas que des amis. En 1980, lors d'une visite à l'université de Davis, en Californie, il découvre de grossières erreurs. Des 99 Richter sont étiquetés comme 110 Richter et des plants de gamay passent pour du valdiguié dans la collection de l'université.

Le professeur Olmo, alors à la tête de cette institution, apprécie moyennement la leçon de son confrère français. En 1985, nouvelle offense. Après un autre périple dans la Napa Valley, Pierre Galet révèle que l'ARG 1 (Aramon Rupestris Ganzin 1), porte-greffe largement diffusé dans cette région, est sensible au phylloxera. « Les Californiens m'en ont été reconnaissants. L'université de Davis beaucoup moins. C'est elle qui possédait les vignes mères de ce porte-greffe », confesse, encore amusé, l'infatigable défenseur de l'ampélographie.

Pour honorer Pierre Galet et son travail, Montpellier SupAgro a baptisé de son nom sa collection ampélographique. L'école a également érigé un monument symbolique de la discipline ampélographique sur le campus. Celui-ci complète ceux dédiés à ses illustres prédécesseurs (Gustave Foëx, Pierre Viala, Louis Ravaz...) qui ont fait la renommée de la première chaire de viticulture en France.

L'hommage au maître

Anne-Lucie Wack, directrice générale de Montpellier SupAgro,avec Pierre Galet, le 6 avril. © SUPAGRO MONTPELLIER

Anne-Lucie Wack, directrice générale de Montpellier SupAgro,avec Pierre Galet, le 6 avril. © SUPAGRO MONTPELLIER

Le 6 avril, Montpellier SupAgro a rendu hommage à Pierre Galet. « Nous sommes fiers de célébrer un scientifique qui a changé la donne de l'ampélographie, grâce à son approche morphométrique », a introduit Anne-Lucie Wack, directrice générale de Montpellier SupAgro. Chercheurs, enseignants et anciens élèves se sont ensuite succédé à la tribune. Parmi eux, l'Américaine Lucie Morton et l'Allemande Erika Maul qui avaient fait spécialement le voyage pour témoigner leur gratitude à leur « cher professeur Galet ». Non sans malice, Erika Maul lui a offert des feuilles de vigne rapportées du fin fond de la Chine. « Probablement des Vitis pentagona, mais c'est à vous de me le confirmer », lui a-elle lancé. Puis Alain Carbonneau s'est fendu d'un éloge en vers :

« Souffrez, mon cher Maître, qu'un de vos anciens élèves / Aujourd'hui vous honore et porte admiration / C'est bien l'oeuvre du temps et un travail sans trêve /Qui forgèrent à jamais votre réputation... ».

La science de l'observation

La méthode introduite par Pierre Galet repose sur la description objective des feuilles, des rameaux et du bourgeonnement. Il soutient que ces organes sont bien plus distinctifs des cépages que les grappes et les baies. Il est le premier à décrire les feuilles adultes par des nombres. Il mesure la longueur des nervures et les angles entre les nervures. Il calcule les rapports entre la longueur des nervures secondaires et la nervure principale, et entre la longueur et la largeur de la feuille. Il conçoit des abaques pour mesurer facilement ces paramètres et un système de codification des résultats à l'aide de trois nombres. Pierre Galet distingue également cinq formes de feuille. Pour achever leur description, il s'intéresse aussi à leur découpe, leur villosité, au degré d'ouverture du sinus pétiolaire, etc. Pour les rameaux, il souligne qu'il faut avant tout observer la disposition des vrilles afin de distinguer Vitis vinifera des autres espèces car elles n'apparaissent que de manière intermittente chez Vitis vinifera. Pour les jeunes pousses, il distingue le bourgeonnement en gouttière, où les jeunes feuilles sont pliées le long de la nervure principale, du bourgeonnement épanoui où elles se déploient dès leur sortie. Il note également la couleur et la villosité. Tous ces critères décrivent de manière univoque chaque cépage et chaque porte-greffe.

40 % de remise pour Giscard d'Estaing

À 95 ans, Pierre Galet prépare un nouveau livre dont il a déjà écrit les 1 500 premières pages : La Famille des Vitacées. Ce sera son 47e ouvrage. Sa dernière publication, le Dictionnaire encyclopédique des cépages et de leurs synonymes, paru en 2015 aux éditions Libre & Solidaire, est une oeuvre monumentale qui recense plus de 10 000 variétés de vigne à travers la planète. Durant sa vie professionnelle, ce scientifique n'a cessé de publier afin de transmettre son savoir à ses étudiants, aux viticulteurs, aux pépiniéristes et aux inspecteurs de l'État. Valéry Giscard d'Estaing, alors qu'il était ministre des Finances, lui passa commande de 212 exemplaires de son Précis d'ampélographie pratique, pour tous les inspecteurs des ministères de l'Agriculture et des Finances. Mais il négocia une remise de 40 % !

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