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VIN

Filtration Des conseils bienvenus

MARION BAZIREAU - La vigne - n°286 - mai 2016 - page 46

Lors d'une matinée technique, trois experts ont donné plusieurs clés pour bien préparer les vins à la filtration et réussir l'opération.
LA FILTRATION ne doit pas être la première opération pour clarifier les vins. © P. ROY

LA FILTRATION ne doit pas être la première opération pour clarifier les vins. © P. ROY

« La filtration est rarement neutre. En dessous de 3 µm, il arrive assez souvent qu'elle porte préjudice au vin. » C'est par ce constat sévère qu'Hervé Romat, consultant et expert en filtration, a ouvert la matinée de l'Association des oenologues et techniciens du Gaillacois, le 8 avril dernier. « Le fruité part en premier. Le vin peut également perdre en longueur, devenir plus acide et plus amer. »

Pas question pour autant de se passer de la filtration puisque l'expert estime que 90 % des vins non filtrés développent des problèmes en bouteille. Partant de ce constat, il a donné des pistes aux vignerons pour qu'ils préparent au mieux leurs vins, épaulé par Rémi Winterholer, du service technique de Lamothe-Abiet, et Philippe Romain, spécialiste de l'oenologie membranaire chez Gemstab.

Un NTU pour les blancs, deux pour les rouges

Rien ne sert de courir après des turbidités trop basses au moment de la mise en bouteille. « Pour les rouges, il suffit d'être entre 1 et 2 NTU. En deça, l'oeil humain ne fait plus la différence », explique Rémi Winterholer. Les vins blancs, eux, doivent être bien limpides, ce qui suppose une turbidité inférieure à 1 NTU. Pour la stabilité microbiologique, il faut s'adapter au marché. « Pour des vins de circuits courts, à consommation rapide, on peut tolérer 2 à 100 cellules/ml. Mais l'export exige souvent moins de 0,1 cellule/ml. »

Pour apprécier l'évolution de la filtrabilité des vins, il préconise d'utiliser le CFLA (Critère de filtration Lamothe & Abiet) après chaque filtration ou collage. Cet indicateur est calculé en laboratoire en filtrant le vin pendant deux minutes sur cloche et en mesurant le volume écoulé toutes les 10 secondes. « Contrairement à l'indice de colmatage ou au VMax, il s'applique à toutes les filtrations et pas seulement à la filtration finale. Il jauge l'efficacité des traitements que l'on impose au vin et détermine la meilleure filtration à mettre en place. » De surcroît, lorsqu'on a bien préparé son vin et que le CFLA est bas, on peut filtrer moins serré lors de la filtration finale, tout en retenant autant de particules et de micro-organismes et en préservant davantage les qualités sensorielles de son vin.

Bien clarifier avant de filtrer

Hervé Romat déconseille toute filtration tant que le vin ne passe pas sous la barre des 50 NTU. « Cela ne doit pas être le premier réflexe pour clarifier et stabiliser les vins. » Ainsi, la sédimentation naturelle doit être favorisée. Dans ce but, il faut éviter les cuves trop hautes. « Dès 3 m et surtout au-delà de 4 m, on rencontre des problèmes », prévient l'expert. De même, il est nécessaire de maintenir une température constante dans les chais en faisant la chasse aux courants d'air.

Pour clarifier les vins avant la filtration, le vigneron a l'embarras du choix. Il peut utiliser le froid ou centrifuger. Il dispose en outre d'une batterie d'enzymes et de colles. Rémi Winterholer préconise de les tester avant de les utiliser sur toute une cuve. « Il faut prélever deux bouteilles, en milieu de cuve ou après une homogénéisation, en traiter une, ne pas toucher à l'autre, et envoyer les deux au laboratoire pour comparer leur filtrabilité. »

Concernant les enzymes, plus on les ajoute tôt, mieux c'est. Ainsi, celles qui ont servi à la dépectinisation des moûts lors du débourbage faciliteront la clarification des vins et leur préparation à la filtration. Mais Rémi Winterholer a constaté que la gélatine ou la colle de poisson peuvent parfois se montrer plus efficaces que les enzymes pour faire baisser la turbidité et le CFLA. « Avec un collage, on peut éliminer beaucoup de micro-organismes, jusqu'à 10 000 Brettanomyces/ml », ajoute Hervé Romat.

Dans tous les cas, le vin a besoin de temps pour se clarifier. « Si on le filtre avant 4 ou 6 mois d'élevage, les glucanes et les mannoprotéines des levures, qui sont des supports d'arômes et de gras, n'auront pas eu le temps de s'hydrolyser. Trop longs, ils resteront dans le filtre. On risque d'obtenir un vin plat qui s'oxydera plus facilement. »

Gare aux stabilisants

« Depuis que les gommes de cellulose sont arrivées sur le marché, elles ont colmaté de nombreux filtres à cartouches », assure Philippe Romain. Il peut être judicieux de les injecter en sortie de filtration finale, juste avant la mise en bouteille. Lorsque l'ajout a lieu avant la filtration, Philippe Romain conseille d'attendre 24 à 48 heures avant de filtrer. En pratique, « l'indice de filtrabilité augmente pendant 4 heures après l'ajout d'un colloïde (CMC, mannoprotéines, gomme arabique, NDLR), puis il redescend », détaille Rémi Winterholer. S'agissant des gommes arabiques, celles aux propriétés « enrobantes » sont encore plus colmatantes que celles qui stabilisent les vins. À ce stade, il est très important d'avoir bien préparé son vin car « plus le CFLA est bas avant le traitement, moins il augmente après ».

Lorsque le CFLA passe sous la barre de 10, le vin est prêt pour la filtration finale sur cartouches. « Mais avant l'embouteillage, toutes les interventions sur la cuve, même un simple pompage, peuvent faire remonter l'indice de colmatage », prévient Philippe Romain. Forts de tous ses conseils, nous voilà parés !

La filtration : un procédé pas si neutre

Alors que plusieurs études ont montré l'absence d'impact sensoriel de la filtration, le Vinopôle de Blanquefort et Hervé Romat ont dévoilé des résultats contraires l'année dernière. Dans le cadre d'un projet cofinancé par le CIVB et FranceAgriMer, 28 lots de vin ont été dégustés avant et trois mois après la filtration. Celle-ci a eu un effet positif sur 8 lots, neutre sur 12 lots et négatif sur 8 lots. Alors que la filtration s'était a priori bien passée, ces derniers étaient plus astringents et moins longs en bouche qu'avant la filtration. Le type de filtre n'est pas en cause car divers matériels ont été utilisés. Ces échecs restent donc inexpliqués. Selon Hervé Romat, si les filtrations sont en général neutres sur la couleur, c'est quitte ou double sur les arômes : soit elles augmentent l'intensité aromatique, soit elles nuisent au fruité. Il arrive aussi qu'elles soient néfastes au boisé, aux tanins, à l'astringence et à la longueur. La sensation d'acidité peut, quant à elle, augmenter. Le consultant conseille d'être vigilant lorsque l'on filtre à moins de 3 µm. Pour mettre toutes les chances de son côté, il faut atteindre un CFLA ou un IC le plus bas possible.

QUATRE RECOMMANDATIONS POUR LE JOUR J

« Commencez une filtration par le haut de la cuve, les fonds de cuves ayant tendance à contenir davantage de colloïdes. Vous éviterez un colmatage brutal des filtres », conseille Philippe Romain.

De même, évitez de filtrer un vin lorsque sa température est inférieure à 15 °C. En effet, la viscosité double en passant de 20 à 4 °C. Le mieux est d'attendre les beaux jours ou de réchauffer la cuve.

Respectez les consignes de pression et de débit indiquées par les fournisseurs de filtres. Pour cela, le vin doit être prêt. « Si on bouche la moitié des pores, le vin circule à un débit deux fois plus grand dans celles qui restent. Or, pour que les filtres arrêtent les micro-organismes, le débit doit être limité. C'est valable pour tous les types de filtration », détaille Hervé Romat.

N'utilisez pas de pompe à piston car elles provoquent des à-coups.

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