Retour

imprimer l'article Imprimer

Magazine - Etranger

Les vignes du milieu du monde

THIERRY JOLY - La vigne - n°286 - mai 2016 - page 80

Deux domaines se sont lancés dans la production de vin en Équateur, l'un en altitude, l'autre au niveau de la mer, en bordure du Pacifique. Le succès est au rendez-vous.
CHAUPI ESTANCIA, situé dans la cordillère des Andes, est le premier domaine viticole moderne créé en Équateur. T. JOLY

CHAUPI ESTANCIA, situé dans la cordillère des Andes, est le premier domaine viticole moderne créé en Équateur. T. JOLY

JORGE DURAN, l'ingénieur agronome à la tête Chaupi Estancia, cherche les variétés les mieux adaptées à des conditions météo très irrégulières.  T. JOLY

JORGE DURAN, l'ingénieur agronome à la tête Chaupi Estancia, cherche les variétés les mieux adaptées à des conditions météo très irrégulières. T. JOLY

TRENTE-DEUX CÉPAGES sont cultivés à Chaupi Estancia. Certains essais sont conduits sous tente pour protéger la vigne de la pluie et des oiseaux. T. JOLY

TRENTE-DEUX CÉPAGES sont cultivés à Chaupi Estancia. Certains essais sont conduits sous tente pour protéger la vigne de la pluie et des oiseaux. T. JOLY

PABLO TARAMELLI le fondateur du domaine Dos Hemisferios, situé en bordure du Pacifique. T. JOLY

PABLO TARAMELLI le fondateur du domaine Dos Hemisferios, situé en bordure du Pacifique. T. JOLY

CARLOS MERCHAN  l'oenologue de Dos Hemisferios, élève des vins en fûts. T. JOLY

CARLOS MERCHAN l'oenologue de Dos Hemisferios, élève des vins en fûts. T. JOLY

DES OUVRIERS préparent les fertilisants qui seront apportés à la vigne via le goutte-à-goutte. T. JOLY

DES OUVRIERS préparent les fertilisants qui seront apportés à la vigne via le goutte-à-goutte. T. JOLY

Bien qu'il soit une ancienne colonie espagnole, l'Équateur n'a jamais eu une forte tradition viticole. C'est un Américain, Dick Handal, qui a créé le premier domaine moderne, Chaupi Estancia, en 1988. Considérant au départ cette activité comme un hobby, ce n'est qu'à partir de l'an 2000 qu'il commence à commercialiser des bouteilles.

Couvrant 6 ha, dont 3 ha en production, le vignoble est situé dans la vallée de Yaruqui, à 50 km à l'ouest de Quito, la capitale. La proximité de l'équateur, à 10 km, et l'altitude de 2 400 m font que les températures extrêmes oscillent entre 3 et 25 °C au long de l'année. « Des conditions européennes, à ceci près que nous pouvons avoir les quatre saisons en une journée. En outre, depuis quinze ans, les hivers comme les étés sont moins marqués. Le climat est devenu encore plus irrégulier et la grêle a fait son apparition. En 2014, elle a détruit 20 % de la récolte », relate Jorge Duran, l'ingénieur agronome qui dirige Chaupi Estancia.

Cherchant les variétés idéales, Jorge Duran en cultive trente-deux. Toutes sont plantées à 3 000 pieds/ha. Cinq variétés occupent toutefois la quasi-totalité de la superficie : dans l'ordre, le palomino, avec 2 ha, le pinot noir, le malvasia (malvoisie), la barbera et le sangiovese.

L'ensemble des parcelles bénéficient d'une irrigation au goutte-à-goutte. Les attaques d'oïdium, de mildiou et de botrytis impliquent au minimum quatre traitements par cycle. Mais le principal problème reste l'irrégularité de la météo qui engendre de fortes variations de production. « On atteint 3 à 4 t/ha quand tout va bien, jusqu'à moitié moins les saisons difficiles, et pire encore s'il y a de fortes pluies durant la floraison. »

Ce viticulteur obtient deux récoltes de pinot noir par an, une en janvier, l'autre en août. Pour cela, il taille dès la récolte, puis applique du Dormex sur les vignes pour hâter et homogénéiser le débourrement des bourgeons latents. « Sans Dormex, la vigne repart quand il pleut, et nous nous retrouvons souvent avec des ceps à différents stades. »

Une double récolte qui est la règle à Dos Hemisferios, le second domaine équatorien situé à 50 km à l'ouest de Guayaquil - le principal centre économique du pays -, dans la plaine côtière bordant l'océan Pacifique. Une région où le climat est tropical, avec des températures extrêmes allant de 15 à 30 °C et une pluviométrie de 600 mm par an concentrée de janvier à avril. « La mer n'est qu'à 15 km et apporte des vents rafraîchissants », affirme Pablo Taramelli, qui a fondé le domaine en 2005 en plantant 6 ha de cabernet-sauvignon, merlot, malbec et chardonnay à 3 750 pieds/ha.

En août 2014, il a planté 32 ha supplémentaires, avec les mêmes variétés, en y ajoutant du tempranillo, sangiovese, petit verdot et carménère. « La production ne suffisait plus à répondre à la demande », explique Pablo Taramelli, qui écoule la moitié de ses bouteilles via une chaîne de supermarchés.

Le climat aidant, les nouveaux plants de cabernet-sauvignon ont donné leurs premiers raisins en décembre 2015. Les autres variétés le feront dès cet été. « En raison de possibles effets d'El Niño, nous avons préféré leur laisser prendre plus de vigueur », explique Pablo Taramelli

Selon les cépages, les rendements vont de 8,5 à 12 t/ha par cycle. Pablo pense atteindre sa pleine capacité de production fin 2017, avec une récolte attendue de 760 t annuelle. « Les raisins de décembre sont de meilleure qualité et plus faciles à produire que ceux qui ont mûri durant la saison des pluies (de janvier à avril). Mais nous ne pouvons pas attendre pour vendanger. Si nous tardons trop, les oiseaux mangent 10 % du raisin. Je vais sans doute m'équiper de filets pour m'en protéger », ajoute-t-il. Encore plus voraces, les chauves-souris ! Pablo les a éloignées - cela ne s'invente pas ! -, en vaporisant un mélange d'eau et d'ail.

Plus propice, la saison sèche impose toutefois d'irriguer au goutte-à-goutte deux ou trois fois par semaine pendant deux à trois heures. « Heureusement, l'eau ne coûte pas cher. » L'occasion d'apporter des nutriments au sol qui ne contient que 2 à 3 % de matières organiques.

Les deux domaines possèdent des caves climatisées dont l'équipement moderne et les fûts ont été importés du Chili, d'Argentine ou des États-Unis. Idem pour les bouteilles et les bouchons.

Située pour l'heure à Guayaquil, où les raisins sont transportés par camion réfrigéré, la cave de Dos Hemisferios sera transférée au milieu des vignes en septembre où un bâtiment sera aménagé pour l'accueil des touristes. Songeant aussi à exporter « vers les États-Unis et les Pays-Bas où nous avons des contacts prometteurs », Pablo Taramelli n'exclut pas de nouvelles plantations car il a encore des terres en réserve. Une chance que n'a pas Chaupi Estancia alors que sa production ne dépasse pas 5 000 à 10 000 bouteilles/an. « Si nous nous agrandissons, ce sera ailleurs car dans la vallée de Yaruqui le prix des terres a explosé depuis que le nouvel aéroport de Quito a été ouvert en 2013 », précise Jorge Duran.

Un manque de notoriété et de poids

Les vins de Dos Hemisferios ont beau être servis à la table du président équatorien et à des chefs d'État étrangers, peu d'Équatoriens savent que leur pays produit du vin. « Et les autres ont plus confiance dans les crus chiliens ou argentins. Dans les épiceries fines et les restaurants où nous sommes distribués, l'essentielle de notre clientèle est étrangère », souligne Jorge Duran, à la tête de Chaupi Estancia, qui accueille des écoles et des universités pour instruire ses jeunes compatriotes. Par ailleurs, les taxes qui dépassent 50 % du prix de vente local nuisent à la compétitivité des deux propriétés, avec des vins sortant respectivement de 15 € à 18 € et de 5,30 € à 15 € prix consommateur. « L'État entend développer les productions nationales, mais notre petite filière n'est pas entendue », déplore Pablo Taramelli, fondateur de Dos Hemisferios, ajoutant que même les vins qu'il exporte subissent des taxes.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :