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AU COEUR DU MÉTIER

NATHALIE BRUEL ET SA SOEUR BRIGITTE SURRUSCA « Nous avons sauvé notre domaine »

FLORENCE BAL - La vigne - n°287 - juin 2016 - page 26

NATHALIE BRUEL ET SA SOEUR BRIGITTE SURRUSCA ont bravé beaucoup d'épreuves pour redresser leur domaine et satisfaire les acheteurs. Malgré leurs réticences, elles se sont converties au bio pour regagner un marché vital.
NATHALIE BRUEL ET BRIGITTE SURRUSCA inspectent leurs vignes plantées sur des sols de sables typiques de la Petite Camargue. F. BAL

NATHALIE BRUEL ET BRIGITTE SURRUSCA inspectent leurs vignes plantées sur des sols de sables typiques de la Petite Camargue. F. BAL

LES RANGS DE CETTE PARCELLE DE GRENACHE GRIS sont binés à la main, car le passage d'un intercep provoquerait trop de casse. En effet, la vigne est jeune et enracinée superficiellement. F. BAL

LES RANGS DE CETTE PARCELLE DE GRENACHE GRIS sont binés à la main, car le passage d'un intercep provoquerait trop de casse. En effet, la vigne est jeune et enracinée superficiellement. F. BAL

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

DANS LE CAVEAU, INSTALLÉ EN 2000, les soeurs vendent des produits locaux comme le sel et le riz de Camargue en plus de leurs vins. Elles accueillent par ailleurs les camping-caristes sur leur beau domaine, en pleine nature camarguaise. F. BAL

DANS LE CAVEAU, INSTALLÉ EN 2000, les soeurs vendent des produits locaux comme le sel et le riz de Camargue en plus de leurs vins. Elles accueillent par ailleurs les camping-caristes sur leur beau domaine, en pleine nature camarguaise. F. BAL

NATHALIE BRUEL, OENOLOGUE, goûte le gris de gris 2016 élevé en cuves de béton. F. BAL

NATHALIE BRUEL, OENOLOGUE, goûte le gris de gris 2016 élevé en cuves de béton. F. BAL

« Nous étions les plus mauvaises élèves et maintenant, nous sommes presqu'en avance », plaisantent Nathalie Bruel (46 ans) et sa soeur Brigitte Surrusca (57 ans), à la tête du domaine du Petit Chaumont, à Aigues-Mortes, dans le Gard. Depuis huit ans, elles ont investi près d'un million d'euros pour moderniser leur exploitation, qui en avait bien besoin. Située en Petite Camargue, celle-ci compte 190 ha dont 120 de vignes en IGP Sable de Camargue.

Le Petit Chaumont est singulier à bien des égards. Il produit presque uniquement des vins gris et gris de gris, rose pâle, légers et fruités, à boire dans l'année. Il repose sur des sables du delta du Rhône, entre mer et étangs, de 1 m à 1,2 m d'altitude seulement. À 80 cm de profondeur, affleure une nappe d'eau salée. Pour l'empêcher de remonter et de brûler les vignes, il faut irriguer et entretenir les canaux qui apportent de l'eau douce dans ces terres très pauvres. Et il faut également lutter contre l'érosion éolienne en fixant le sable grâce à l'enherbement.

Autre particularité du domaine : il vend tout son vrac par le biais de la Coop des Vignerons des sables dont il est l'un des huit adhérents. Cette coopérative ne vinifie pas. Ses membres le font dans leur chai, sous la houlette du même oenologue, pour produire un vin gris. La coopérative vend la production de vrac des vignerons, qui se sont également regroupés en Cuma.

Rapatriés d'Algérie dans les années soixante, Yvon et Alain Bruel, le grand-père et le père de Brigitte et Nathalie, reconstruisent le vignoble détruit et miné durant la Seconde Guerre mondiale. Alain se montre très entreprenant. Il invente la première tête de récolte de machine à vendanger. Il creuse des canaux pour assainir le vignoble. Il crée la coopérative de vente des vins, tout en étant l'un des pionniers des Vignerons indépendants.

En 1986, Brigitte vient prêter main-forte à ses parents. Nathalie arrive en 1992, diplôme d'oenologue en poche. En 2007, après le départ à la retraite de leurs parents, les deux soeurs prennent les choses en mains. Il était temps car le domaine tournait au ralenti depuis des années. Les plantations avaient été arrêtées en 2001. Tout le matériel avait vieilli. Il n'y avait plus qu'un seul pulvérisateur. « On était équipé de bric et de broc », racontent les vigneronnes. Jusqu'en 2007, Nathalie vinifiait avec un pressoir continu et un égouttoir dynamique. Elle refroidissait ses cuves comme elle le pouvait. « Je me relevais la nuit pour changer les drapeaux de cuves », raconte-t-elle.

En 2008, elle achète deux pressoirs pneumatiques Della Toffola de 100 hl et installe un groupe de froid avec drapeaux fixes. « Soudain, quel confort de travail ! », se souvient-elle. Suit une foule d'autres investissements : deux pulvérisateurs de 1 500 l à jets projetés, quatre tracteurs dont trois avec cabine, une décavaillonneuse, des charrues, un intercep, une épampreuse, deux écimeuses, etc.

2008 est aussi le début d'une série noire. Cette année-là, la grêle détruit 45 % de la récolte au mois d'avril. L'année suivante, les vignes sont inondées pendant 75 jours. En 2010, elles subissent la sécheresse. À chaque fois, la récolte trinque. « La vigne a beaucoup souffert pendant trois ans. C'était à pleurer. Heureusement qu'en 2011, c'est reparti doucement. »

À la même époque, les adhérents de la coopérative entament une réflexion avec Jeanjean, leur partenaire et principal acheteur. Les deux parties discutent de la qualité des approvisionnements et de la stabilité des prix. « Il fallait qu'on apporte un plus au client, raconte Nathalie. Patrick Guiraud, le président de la coop, lui-même en bio, a insisté pour qu'on se convertisse tous en bio. Nous étions réticentes. Nous lui répondions : "On est en lutte raisonnée, c'est déjà bien." Lui affirmait : "Ce n'est pas suffisant." Il nous a tous convaincus. Il avait raison, parce que le bio, c'est l'avenir. Il y a trop de cancers, ça suffit ! Et en plus, cela a conforté nos marchés. » « J'étais tout à fait opposée au bio, confie aujourd'hui Brigitte. J'avais terriblement peur. Mais maintenant, je trouve qu'on a eu raison. »

Comble de malchance, à cette époque, deux salariés, piliers du mas, prennent leur retraite et les deux soeurs font des erreurs de recrutement pour les remplacer. « Cela a été très compliqué », poursuivent-elles. Mais elles ont persévéré, se sont montrées pugnaces. À chaque coup du sort, « nous avons trouvé des solutions. Au bout du compte, cela nous a permis de progresser. »

Sur le plan technique, « la conversion s'est faite dans la douleur ». Le désherbage mécanique s'est d'abord avéré ingérable. Les vignes étaient plantées sous des bâches en plastique qu'il a fallu retirer à la main pour faire passer les interceps. Puis, au début du décavaillonnage, beaucoup de ceps ont été arrachés car ils étaient enracinés superficiellement du fait de la nappe d'eau salée. Il a aussi fallu du temps pour que le domaine acquière le savoir-faire et les bons outils pour maîtriser l'enherbement. Aujourd'hui encore, dans les plantiers, il n'y a pas d'autre solution que de biner à la main au pied des jeunes souches.

Les deux soeurs obtiennent la certification AB en 2011. Lors de ce passage en bio, les coûts de production ont augmenté de 30 %. Les prix en vrac ont augmenté d'autant. En revanche, les vins en bouteilles n'ont pris que de 2 à 3 % par an, pour ne pas déstabiliser la clientèle.

Sur le plan commercial, les ventes conditionnées représentent 30 % de la production et la moitié du chiffre d'affaires de l'exploitation. Les deux tiers de ces ventes se font auprès de grossistes et du CHR.

Depuis 2000, le domaine dispose d'un vaste caveau boutique, ouvert 6 jours sur 7. Il y vend ses vins et des produits locaux. Son offre se répartit en trois gammes. Au sommet, la gamme Prestige. Le coeur de gamme, la ligne Nef Saint-Louis, rappelle que le roi Louis IX est parti du port d'Aigues-Mortes pour les Croisades. Puis la série Déco décline, sur les mêmes vins, deux motifs camarguais sérigraphiés sur les bouteilles : des flamants roses et une manade de taureaux et chevaux. « Elle plaît énormément aux touristes, commentent les deux soeurs. On est obligé de la garder. » Quant à la cuvée, MamZ'elles Grisgris, créée en 2013, elle apporte une « touche féminine » à l'ensemble.

Les gris de gris sont élaborés à partir des cépages méridionaux, grenaches noir et gris, carignan et cinsault. Dans les gris entrent également du merlot, du cabernet, de la syrah et des blancs. « La difficulté est d'obtenir à la fois des arômes et une teinte claire », confie Nathalie.

La vendange mécanique, avec égreneur embarqué, démarre à 2 heures du matin. Tout est inerté. Les fermentations se font entre 14 et 18 °C. Il n'y a pas de malo. Les vins sont élevés sur lies fines pour conserver de la fraîcheur. Depuis 2012, ils sont vinifiés en respectant le cahier des charges bio.

Quand Nathalie et Brigitte regardent par quoi elles sont passées, elles s'étonnent d'avoir si bien rattrapé leur retard. Et quand elles se tournent vers l'avenir, elles constatent qu'elles ne sont pas au bout de leurs peines ! Leur objectif est de retrouver le plein potentiel de production de leurs 120 ha d'ici trois ans, soit 9 000 hl/an. En effet, elles n'arrivent pas à fournir la demande, au point d'avoir dû arrêter de travailler avec Hong Kong.

Pour cela, elles rajeunissent leur vignoble et installent le goutte-à-goutte. En six ans, elles ont replanté 22 ha de grenaches gris et noir. Cette année, le programme se poursuit sur 6 ha. L'an prochain, elles remplaceront 22 000 pieds manquants. Elles ont aussi entrepris de rénover leur cave qui abrite 15 000 hl de cuves en béton revêtues d'époxy. À la tête de leur « nef », elles ont sauvé leur domaine et mettent le cap sur l'avenir... d'autant que l'IGP Sable de Camargue espère devenir AOC en 2017 ou 2018.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

La coopérative des Vignerons des sables dont elles sont membres fonctionne bien. « La plus belle chose, c'est l'unité entre nous et le travail collectif. On se soutient les uns les autres. C'est ce qui fait qu'on tient. »

Elles sont fières d'avoir réussi dans un métier où les hommes sont majoritaires et souvent machos.

Elles ont réussi le lancement de leurs cuvées féminines, Elles et MamZ'elles Grisgris.

La conversion en bio a été très difficile mais, aujourd'hui, c'est un avantage.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ELLES NE REFERONT PLUS

Elles ont planté du grenache gris en haute tige sur SO4 pour éviter l'épamprage et lutter contre les lapins. Malheureusement, « ce porte-greffe est trop fin par rapport aux gros bois du grenache ».

Elles n'en peuvent plus des loupés de l'administration, de la paperasserie, de la traçabilité, des lois qui s'empilent et compliquent le travail.

Pendant des années Brigitte aurait préféré un emploi salarié. « Cela aurait été beaucoup plus facile. » Mais aujourd'hui, les choses vont mieux et elle ne regrette plus son choix.

LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE La majorité de la production pour la marque Les Embruns

- Les deux soeurs commercialisent tout leur vrac, soit 70 % de leur production, via la coopérative de vente Coop des Vignerons des sables, qui regroupe huit vignerons indépendants. Cette dernière revend à des acheteurs, au premier rang desquels la maison Jeanjean (groupe Advini), avec qui elle partage la première marque bio de France, Les Embruns, en IGP Sable de Camargue. « Avec la coopérative, nous avons des contrats d'approvisionnement de cinq ans, c'est une sécurité », soulignent les vigneronnes. Par ce biais, le domaine vend également, depuis 2014, une partie de son vin en vrac sous le nom de Domaine Mas Mellot.

- Parallèlement, elles valorisent davantage de vins en bouteilles : 200 000 cols en 2015 contre 110 000 en 2007. 130 000 sont destinés à des grossistes et des enseignes nationales du CHR. 40 000 sont vendus dans leur caveau-boutique. Comme le domaine est vaste et idéalement situé - à côté de la station balnéaire de la Grande-Motte - elles accueillent les camping-caristes du site France Passion afin de développer encore les ventes directes.

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L'exploitation

Main-d'oeuvre : Brigitte et Nathalie, avec huit permanents et des occasionnels, soit 12,5 ETP salariés

Surface : 120 ha en IGP Sable de Camargue dont 100 en production

Production 2015 : 6 667 hl + 500 hl de jus de raisin

Densité de plantation : 4 000 pieds/ha

Taille : guyot

Cépages : grenaches noir et gris, merlot, cabernet franc, cabernet-sauvignon, carignan, cinsault, chardonnay, sauvignon, clairette, ugni blanc, syrah et alicante

L'essentiel de l'offre

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