Votre vin présente-t-il un risque de réduction en bouteille ? Le laboratoire d'analyse des arômes et d'oenologie de l'Université de Saragosse, en Espagne, lance un test pour le savoir. Il part d'un constat méconnu : les molécules responsables des goûts réduits sont présentes dans les vins dès la fin de la fermentation alcoolique. Mais, elles ne sont pas, pour l'essentiel, perceptibles, car elles sont combinées avec le cuivre. Au cours du vieillissement en bouteille, ces complexes se fracturent libérant de l'H2S, du méthanethiol et de l'éthanethiol, les principaux responsables des notes de réduction. « Contrairement à ce que croient encore beaucoup d'oenologues, ces molécules ne précipitent pas avec le cuivre. Elles restent dans le vin et sont libérées au cours du vieillissement en bouteille », affirme Vicente Ferreira, directeur du laboratoire de Saragosse.
Le test qu'il a mis au point porte sur les vins jeunes et prédit si ceux-ci sont susceptibles de développer des arômes de réduction deux ans plus tard. Pour ce faire, les chercheurs analysent les vins en fin de fermentation alcoolique ou après la malolactique. Ils mesurent tous les composés qui participent de près ou de loin aux odeurs de réduit, dont les trois plus importants : l'H2S, responsable de l'odeur d'oeuf pourri, le méthanethiol, qui évoque des notes croupies, et l'éthanethiol, au goût d'oignon. D'autres disulfures et mercaptans sont également mesurés.
Le laboratoire dose ces substances sous forme libre et combinée. Puis il réitère l'analyse après deux jours de vieillissement accéléré au cours desquels il ajoute de petites quantités d'oxygène en maintenant les vins à 45 °C. Les valeurs obtenues après ce traitement de choc sont proportionnelles à celles constatées après deux ans de vieillissement en bouteille (à 25 °C sans contact avec l'oxygène).
Les premiers tests ont montré d'énormes écarts entre les vins. Leur capacité à former de l'H2S varie de 1 à 20 ; pour le méthanethiol, le rapport est de 1 à 10. « Ces écarts augmenteront certainement lorsque nous aurons analysé plus d'échantillons », précise Vicente Ferreira.
Ce nouveau test présente plusieurs intérêts. « Sachant qu'un vin est sensible à la réduction, on peut réaliser un traitement adéquat, comme une micro-oxygénation. C'est l'une des mesures les plus efficaces pour empêcher l'apparition des goûts de réduit. On peut aussi choisir la perméabilité à l'oxygène du bouchon ou de la capsule, même si on sait qu'un bouchon perméable retarde, mais n'empêche pas l'apparition de goûts de réduit. Enfin, avec ce test, on a de quoi évaluer l'efficacité des traitements contre la réduction », indique Vicente Ferreira.
Cette analyse est proposée en Espagne à un prix inférieur à 200 € l'échantillon. Aux dires du laboratoire, quatre caves l'ont d'ores et déjà expérimentée.
Un test similaire est à l'étude pour prédire l'apparition de notes d'oxydation. Vicente Ferreira soutient que, comme les goûts de réduit, les substances responsables de ces déviations sont présentes dans les vins dès la fin de la fermentation, mais qu'elles passent inaperçues car elles sont combinées avec le SO2. En fin de fermentation, il dose la quantité d'aldéhydes d'oxydation déjà présents dans le vin et leurs précurseurs. Si la première valeur est élevée, le vin développera des notes d'oxydation dès qu'il aura consommé le SO2 libre. Si la seconde valeur est élevée, cette déviation se produira lorsque le SO2 libre aura disparu et qu'en plus de cela le vin sera soumis à des facteurs oxydatifs, comme un apport d'oxygène ou une forte température.
« Lorsqu'un vin est déjà oxydé, il n'y a plus grand-chose à faire. Mais si notre test prédit une oxydation à terme, on peut mettre en oeuvre des mesures de protection lors de la mise en bouteille, ajouter des antioxydants ou employer un bouchage particulièrement étanche. Notre test permet aussi de prévoir combien de temps un vin peut résister à l'oxydation, et donc d'indiquer une date limite de consommation », affirme Vicente Ferreira.
Ce test en est encore au stade expérimental. Les chercheurs doivent le valider quelles que soient les conditions d'embouteillage, de stockage et d'expédition. Ils espèrent aboutir à un résultat final d'ici un an.
L'apparition de goûts de réduit : un phénomène complexe
« La réduction est un phénomène complexe impliquant de nombreux critères, qui interagissent entre eux », explique Vicente Ferreira (photo). Pour cette raison, on ne peut pas dire précisément quels types de vins ou de vinifications sont prédisposés au risque de réduction. « Tous les facteurs affectant le métabolisme des composés soufrés par des levures pendant la fermentation alcoolique sont impliqués, poursuit-il. Certains cépages, comme le tempranillo et la syrah, sont plus sensibles que d'autres, comme le grenache. Les choix techniques de vinification peuvent également affecter le développement de goûts de réduit sans que, là encore, nous ayons une compréhension complète des interactions possibles. Chaque levure a une capacité génétique déterminée à former des goûts de réduit, mais l'oenologue peut les minimiser en s'assurant d'un niveau suffisant d'azote assimilable dans les moûts et par une oxygénation adéquate pendant la fermentation. » Le manque d'azote dans les moûts est en effet un facteur bien connu, et qu'il faut à tout prix éviter, dans l'apparition de goût de réduit.
ERWAN GUEVEL, INGÉNIEUR AGRONOME ET OENOLOGUE CHEZ NATOLI & ASSOCIÉS « Davantage de goûts de réduit que par le passé »
« À ce jour, nous sommes incapables de savoir si un vin risque de développer des goûts de réduit après la mise en bouteille. Si ce test permet réellement de prédire cette évolution de façon fiable et réitérable, c'est une grande avancée. On peut imaginer qu'à terme il viendra compléter la batterie d'analyses à laquelle nous procédons couramment avant la mise en bouteille pour vérifier la stabilité des vins. Aujourd'hui, sur le terrain, nous constatons que les caractères réduits après la fermentation sont plus fréquents que par le passé. C'est sans doute le revers de la médaille de la protection contre l'oxydation, à laquelle les vignerons ont été largement sensibilisés. Nous y remédions en augmentant la fréquence de nos contrôles et dégustations pour identifier le problème au plus tôt : tous les mois, nous réalisons un bilan des vins. Nous surveillons également l'apparition des caractères de réduit en fermentation. On sait qu'ils sont liés à des carences azotées. Nous pouvons les déceler en amont lors des contrôles de maturité ou par des analyses pétiolaires. On peut alors y remédier avec des pulvérisations foliaires sur la vigne à la véraison ou par des ajouts de phosphate de diammonium (en bio) ou de sulfate d'ammonium dans les moûts. Une fois en bouteille, le vin entre en apnée. Nous veillons à ne pas arriver à cette étape en phase excessivement réductrice. De même, on observe des problèmes d'oxygène dissous dans le cas de conditionnements trop peu protégés. Il faut un équilibre d'oxydo-réduction. Les tests mis au point par ces chercheurs espagnols constituent une voie intéressante que nous allons creuser. »