Vincent et sa fille Camille : « On trouve plus l'empreinte du sol, plus d'authenticité dans les saveurs » B. COLLARD
Alain, 63 ans, retraité de la banque : « Il y a dix ans, les vins bio n'étaient pas la hauteur des vins conventionnels. Ce n'est plus le cas. » B. COLLARD
Aya et Naho, 37 et 26 ans, salariés d'une épicerie japonaise : « Les vignerons bio ne sont pas motivés par l'argent, mais par les valeurs morales. » B. COLLARD
François, ingénieur, 58 ans: « La vigne est la plante qui subit le plus de traitements. Donc, c'est important de boire du vin bio. » B. COLLARD
Ce ne sont pas les gens les plus acharnés à consommer du vin bio que l'on rencontre au salon Nature et Vins des Vignerons indépendants, à Paris, le 27 mai. Ni les plus attentifs à leur santé. Comme Patricia, 53 ans, documentariste, et son compagnon, Lionel, 35 ans, professeur des écoles. Ils viennent d'acheter du haut-médoc, du pouilly-fumé et un « excellent » lussac-saint-émilion. Sortant du salon, Patricia n'a qu'une hâte : s'asseoir pour faire une pause cigarette. Au journaliste, elle explique qu'elle est « très exigeante vis-à-vis de la nourriture ».
Pour leur alimentation, elle n'achète pratiquement que bio. Pour le vin, qu'ils « apprécient énormément », c'est une autre affaire. « Les vins bio, il est difficile d'en trouver, explique-t-elle. Dans les Biocoop, il n'y a pas de choix. On trouve un peu de bordeaux, mais pas de bourgogne. Du coup, nous achetons surtout des vins conventionnels. Nous sommes moins exigeants que pour les aliments. » Mais ce n'est pas un drame. En effet, « un vin, il faut qu'il soit bon car on l'achète pour le plaisir ». Ils n'en boivent que le week-end, avec leurs amis. Pour être sûrs de se faire plaisir, ils prennent des crus entre 15 et 30 euros la bouteille.
Pour Michel, c'est la même chose. « Le bio, ce n'est pas ma première préoccupation quand j'achète du vin, affirme ce consommateur régulier. Ce qui compte, c'est le goût, la robe et que le vin soit en accord avec le plat que l'on a préparé. » Célibataire et retraité de la banque, Michel boit du vin tous les jours avec le fromage, le plus souvent du côtes-du-rhône et parfois du beaujolais. Pour les grandes occasions, il apprécie le pauillac. Il doute qu'il en existe en bio. Pour lui, « le bio, c'est surtout pour les vins de pays ». Pas pour les grands vins.
Pour trois jeunes visiteurs, le vin bénéficie aussid'un statut à part. Mais leur raisonnement est plus quantitatif que qualitatif. Mélissa, 27 ans, ingénieur qualité, est venue au salon avec deux amis : Samantha, 27 ans, ingénieur informatique, et Anthony, 34 ans, inspecteur des finances publiques. Mélissa mange surtout bio. Et comme c'est plus cher, elle « achète moins, mais mieux ». Tous les trois sont des consommateurs occasionnels de vin. De ce fait, pour eux, « il est plus important de consommer des légumes biologiques que du vin biologique ». Ce 27 mai, ils viennent pour la première fois sur un salon de vins bio, « pour se faire une opinion sur la qualité et les prix ». Ils ressortent ravis d'avoir trouvé un côtes-du-rhône à 9,50 euros la bouteille. « Un très bon rapport qualité-prix », assurent-ils. Leur visite les a convaincus que « les vins bio ne sont pas meilleurs. Peut-être qu'on aura moins de problèmes digestifs, mais ça, on le saura le lendemain de la consommation ! », s'amusent-ils.
Dans la même veine, Sonia, 54 ans, coiffeuse à domicile, observe : « Les gens qui boivent régulièrement, eux, ont intérêt à boire bio. » Ce qui n'est pas son cas. De plus, elle a des doutes. « Le vin bio, jusqu'à présent, je n'y croyais pas, dit-elle. Car même si les analyses disent qu'ils sont bio, la terre, elle, ne l'est pas car elle a subi des traitements durant de longues années. »
Pour François, 58 ans, ingénieur automobile, il ne s'agit pas de penser à soi, mais à l'environnement. Il s'est mis à consommer bio « pour préserver l'environnement plutôt que ma santé et pour soutenir ceux qui travaillent sans chimie ». Il observe que « la vigne, c'est la plante qui subit le plus de traitements, avec les pommiers. Donc, c'est important, si on mange des pommes bio, de boire aussi du vin bio. C'est pour nos petits-enfants, pour leur laisser la planète en bon état ».
S'agissant de la qualité, les avis divergent. Vincent, 54 ans, directeur d'une compagnie d'assurance, juge que les vins biologiques sont meilleurs. Mais il ne parle pas de plaisir gourmand. « On trouve plus l'empreinte du sol, plus d'authenticité dans les saveurs », estime-t-il. Et il ajoute : « On a moins mal au crâne le lendemain. Les vins sont plus digestes, meilleurs pour le corps. » François est du même avis : « Les vins bio sont meilleurs car il n'y a pas de produits chimiques qui altèrent leur goût. »
Les autres visiteurs sont plus critiques. Le plus sévère, c'est Laurent, 56 ans, cadre dirigeant dans l'audiovisuel. « Les vins bio, il y en a des bons et des mauvais, assène-t-il. J'ai goûté des choses sans intérêt. Beaucoup sont oxydés. » Heureusement, ceux qu'il a trouvés ne le sont pas. Il rapporte deux rieslings et un assemblage de pinot gris, gewurztraminer et muscat. « Des vins au bel équilibre », savoure-t-il.
De son côté, Alain, consommateur régulier de vin, constate que les choses s'améliorent. Il est venu avec sa femme, bien plus attachée que lui à manger bio. À 63 ans, ce retraité de la banque a été affecté partout à travers la France. Ce qui l'a amené à découvrir les vignobles. « Il y a dix ans, les vins de la viticulture biologique n'étaient pas à la hauteur des conventionnels, soutient-il. Ce n'est plus le cas. Maintenant, on trouve des vins bio médaillés. »
Mais il reste un secteur dans lequel ils doivent encore progresser : l'habillage. « Les bouteilles n'ont pas la même qualité de présentation, déplore Alain. Les étiquettes sont souvent démodées. Or, il faut que les vins soient attrayants en magasin. » Mais même si tel était le cas, il ne révolutionnerait pas ses habitudes. Il achète beaucoup à des producteurs auxquels il est fidèle depuis longtemps. Il tient à préserver cette relation, même si ces viticulteurs sont conventionnels. En revanche, il leur demande « de faire un effort, de mettre moins de pesticides ». Ce qu'ils font. « Maintenant, ils attendent le dernier moment pour traiter. Ils mesurent la dose de produit qu'ils mettent. »
Si Laurent achète des vins biologiques, c'est parce que « la démarche est intéressante. Il y a le respect de la nature, une attention portée à la vigne et l'utilisation de produits plus sains. Les viticulteurs bio sont plus attentifs à provoquer du plaisir ». « Ils ne sont pas motivés par l'argent, mais par les valeurs morales », ajoutent Aya 37 ans, et Naho, 26 ans, salariés dans une épicerie japonaise. « Ils recherchent la qualité, pas la production pour la production », approuve Alain. « Ils se mettent plus la pression que les autres. C'est plus de travail et ça coûte plus cher de produire sans pesticide », avance Vincent.
Il semble donc acquis pour nos consommateurs que les bios sont mus par les meilleures intentions. Pour autant, ils restent critiques. Anne, une avocate de 42 ans, est convaincue que « des résidus, il y en a dans tous les produits. Bien sûr, dans les vins bio, il y en a moins. Mais je n'ai qu'une confiance limitée dans le label ».
Car, hormis les plus jeunes, tous savent que les vignes sont traitées, même en viticulture biologique. Avec quoi ? C'est là que les choses se compliquent. Michel croit savoir que les viticulteurs utilisent le « bouillon bordelais ».
« Vous voulez dire la bouillie bordelaise ? »
« Oui, c'est ça : la bouillie bordelaise. C'est un traitement naturel. »
Pour Alain, « les traitements bio sont dégradables ». François est moins catégorique : « La vigne bio est traitée avec des produits bio, dit-il. Mais ces produits ne sont pas tous naturels et ils ne sont pas tous neutres pour la terre. »
S'agissant de la vinification bio, nos consommateurs sont encore plus perdus. Aucun ne sait en quoi cela consiste. Et là encore, les plus âgés sont un peu mieux informés que les plus jeunes. Pour eux, les bios emploient du soufre. À 27 ans, Mélissa vient de l'apprendre. « Les vins bio, je pensais qu'ils étaient sans sulfites. Je me suis trompée. C'est ce que les exposants m'ont expliqué. »
Pas plus cher, excepté le bourgogne
« Aujourd'hui, les vins bio sont dans la même gamme de prix que les conventionnels. L'écart s'est atténué avec le temps », souligne, Alain, 63 ans, retraité de la banque. Vincent, 54 ans, directeur dans les assurances, acquiesce : « Ce n'est pas plus cher. » Les autres consommateurs rencontrés ce 27 mai sont également d'accord.
François, 58 ans, ingénieur automobile, donne comme explication : « Le vin bio, c'est différent des fruits et légumes bio qui, eux, sont plus chers que les conventionnels. Le vin, c'est plus sa renommée qui fait son prix que son mode de culture. » Patricia, 53 ans, documentariste, nuance : « Le vin bio, ce n'est pas plus cher... sauf le bourgogne. »