1. Pourquoi créer une marque ?
Le but de la marque, c'est d'être connu et reconnu. « Pour moi, une marque n'est pas différente d'un nom de domaine viticole, estime Nina Izzo. Tout est une question d'état d'esprit. Votre nom de château, c'est déjà une marque. »
Alors pourquoi en faire toute une histoire et se lancer dans une réflexion sur le sujet ? « Parce que les grandes marques internationales, comme Google et Apple, par exemple, ont réussi à construire une relation durable avec leurs clients, rappelle Manaf Marouane. C'est vers cela qu'il faut aller. » Et ça, «tout le monde, grand ou petit domaine, peut y arriver», assurent nos experts.
« D'ailleurs, les vignerons ont tendance à le faire naturellement, remarque Nina Izzo. Mais à force de faire les choses les unes après les autres, sans réfléchir de manière posée, comme créer telle cuvée après telle autre, ou axer petit à petit sa communication sur l'authenticité, le message manque de clarté. » Construire sa marque, c'est prendre quelques jours de réflexion pour trouver une harmonisation et une cohérence entre le produit, son positionnement et le discours commercial.
2. Impliquez tout le monde
Pour commencer, Nina Izzo conseille toujours d'écouter ce que les salariés peuvent avoir à dire sur le sujet. « D'une part, cela permet de les impliquer dans le changement qui va s'opérer. Ensuite, ils peuvent avoir de très bonnes idées. » Manaf Marouane acquiesce : « Les salariés sont les premiers ambassadeurs de la marque, il faut les y associer. Souvent, ils sont dans l'exploitation depuis de nombreuses années, ils connaissent bien le domaine et les clients. Quand on fait du vin, tout le monde participe. C'est la même chose pour la marque, il faut que tout le monde donne son avis. » Car se positionner peut parfois nécessiter de prendre des décisions radicales, comme se concentrer sur une image de bio dans une région qui l'est peu. Dans ce cas, tout le monde doit adhérer, car « si l'on n'est pas d'accord sur le message, on ne peut pas convaincre le client », insiste Manaf Marouane.
3. Définissez votre cible
Une fois ce travail en commun réalisé, il faut travailler sur ce que Nina Izzo appelle une « ligne éditoriale ». Cela implique de se poser des questions basiques de marketing : quelle cible cherchons-nous à atteindre ? Pour quel positionnement ? « L'idéal est de savoir quel type de client vous voulez satisfaire », indique Nina Izzo. Population jeune, néophyte et modeste ? Ou plus âgée, connaisseuse et au meilleur pouvoir d'achat ? Manaf Marouane donne l'exemple d'une marque australienne partie de rien sur le marché américain. « Ils avaient construit leur marque autour de l'idée que leur vin est simple, facile à boire et sans prise de tête. Leur objectif était de toucher les gens qui n'y connaissaient rien au vin. Le succès a été au rendez-vous. »
4. Choisissez les bons outils
Les experts sont là pour vous guider si besoin. Mais vous pouvez déjà commencer par maîtriser quelques outils. Pour Nina Izzo, il est évident qu'il faut avoir un fichier client bien construit et à jour. « Je conseille à mes clients de commencer avec un fichier Excel. » Entrez tout ce que vous pouvez sur chaque client, nom et coordonnées bien sûr, mais aussi la langue parlée et la date de votre dernier échange, etc.
Incontournable également : le travail sur la charte graphique et sur le packaging. Ces deux éléments serviront de base à votre site internet. « Le site, c'est un minimum, insiste Nina Izzo. C'est la porte d'entrée vers votre domaine. Il suffit parfois de maîtriser des outils gratuits, comme Wordpress, pour commencer. »
Mais le meilleur conseil, c'est de ne pas négliger les réseaux sociaux. « Même si vous n'êtes pas adepte de Facebook, il est nécessaire au moins de créer la page de votre marque », expliquent en coeur Nina Izzo et Manaf Marouane. « Il peut arriver que quelqu'un d'autre crée une page Facebook de votre marque à votre place. Et dans ce cas, vous ne pouvez plus contrôler ce qui s'y passe », précise Manaf Marouane. L'expert encourage également les vignerons à déposer leur marque auprès de l'Inpi.
5. Mettez-vous en avant
« Le défaut des réseaux sociaux, c'est que l'on peut avoir tendance à trop parler de ses vins et de sa technique, observe Manaf Marouane. Aux États-Unis, ils ont tout compris : ils mettent de l'humain dans leurs publications et surtout considèrent que le client est au centre de tout. Je conseille donc aux vignerons de développer un lien presque personnel sur internet, et ça relève parfois de choses toutes simples, comme les remercier lorsqu'ils postent un commentaire sur votre page. » D'une manière générale, Manaf Marouane estime qu'il faut toujours répondre aux sollicitations et aux questions, même si cela peut prendre du temps.
Nina Izzo constate également que les « vignerons ont tendance à se cacher derrière leur bouteille ». Mais elle insiste : « Il faut qu'ils se mettent en avant ! Ce sont eux que les gens veulent voir. Je leur recommande souvent d'avoir de belles photos d'eux, et pas seulement de leur domaine ! » Vous pouvez sans hésiter les utiliser sur vos fiches techniques, comme le font certains réseaux de grande distribution qui ont choisi de mettre les producteurs en avant.
6. Évaluez votre stratégie
« On sait qu'on a réussi quand on a vendu son vin !, plaisante Nina Izzo. Plus, sérieusement, la vraie récompense, c'est quand quelqu'un vient vous dire qu'il vous a déjà vu quelque part. » Manaf Marouane confirme : « La réussite, c'est quand on commence à parler de vous. »
Mais l'expert insiste pour que le vigneron ne se repose pas sur ses lauriers. « Il faut surveiller ce qui se dit sur vous et sur vos vins. » Astreignez-vous à une veille, en surveillant comment votre marque et vos vins sont commentés sur les blogs et les réseaux sociaux. Une marque se doit de vivre et d'évoluer, c'est la raison pour laquelle Manaf Marouane conseille enfin d'évoquer sans crainte ses projets, ses ambitions pour l'année suivante pour « tenir sur la durée ». Une marque, ça se construit également avec le temps.
MARIE-PIERRE LALLEZ, VIGNOBLES RAGUENOT, 103 HA EN APPELLATIONS BLAYE-CÔTES-DE-BORDEAUX ET HAUT-MÉDOC (GIRONDE) « Une démarche qui nécessite du temps »
« Nous sommes une entreprise familiale. Nous avons repris l'exploitation de nos parents, le Château des Tourtes (37 hectares), il y a vingt ans. Puis, en 1998, ma soeur Emmanuelle Miller, mon mari Éric et moi-même avons acquis le Château Haut Beyzac. Si la vente des vins du domaine familial était une évidence, celle de l'autre château demandait de nouvelles habitudes de travail. Nous avons alors groupé les deux sous la marque Vignobles Raguenot. Ce travail a abouti il y a trois ans et demi, grâce à l'aide d'un cabinet conseil. Nous avons trouvé une signature - Artistes du vin - qui nous correspond. Elle illustre notre humilité face à la nature, aux raisins qu'elle veut bien nous donner, qui nous imposent de faire preuve de créativité pour produire le meilleur vin possible. Le plus difficile dans cette démarche d'appropriation de marque a été de faire évoluer notre management. Nous avons dû mettre tous les commerciaux à l'unisson pour notre argumentaire de vente et nous assurer que toute l'équipe s'appropriait la nouvelle marque. Nous avons également dû changer nos habitudes en matière de communication : les pages Facebook et Instagram au nom de la marque ont été créées et nous avons fourni des vêtements siglés Vignobles Raguenot à notre équipe. Toute la documentation mail et papier a été changée en simultané sur tous les supports. Un coût financier mais pour plus d'efficacité ! Toute cette démarche nécessite du temps, même une fois que la marque est installée, puisque beaucoup de nos clients nous connaissaient toujours sous le nom de Château des Tourtes. Nous avons dû nous adapter, mais eux aussi ! Les résultats sont très encourageants. »