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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Un chemin rural n'existe que s'il est utilisé

JACQUES LACHAUD - La vigne - n°287 - juin 2016 - page 71

La cour de cassation rappelle qu'un chemin rural ne peut être considéré comme tel que s'il est couramment utilisé. Un passage ne servant qu'à certains moments de l'année, à peine visible, dans une parcelle privée n'est pas un chemin rural.

Les chemins ruraux font souvent l'objet de litiges. La Cour de cassation a récemment eu à en débattre, dans un arrêt du 17 mars 2016. Eugène est propriétaire d'une parcelle qu'il tient à préserver des tiers. C'est son droit. Or, il se trouve que sa propriété borde un vignoble dont l'accès par la voie publique est difficile, mais pas impossible semble-t-il. Achille, qui exploite ces vignes, a donc pris l'habitude, en fonction des saisons et des travaux nécessaires, de passer sur la parcelle d'Eugène pour se rendre dans la sienne plutôt que d'utiliser la route.

Ce n'est pas du goût de son voisin, qui l'assigne en justice afin de lui interdire tout passage. Achille ne se laisse pas impressionner et affirme devant le tribunal qu'il existe, là où il aime passer, un chemin ouvert à la circulation. Les éléments fonciers mis à jour par un expert révèlent effectivement l'existence d'un passage qui, s'il n'est pas visible, reste pourtant praticable. Les relevés du cadastre, certains remontant à l'époque napoléonienne, montrent bien un tracé prouvant la présence d'un chemin. Et c'est sur ces présomptions que la cour d'appel de Riom donne raison à Achille, dans un arrêt du 17 novembre 2014. Elle estime alors qu'Eugène n'a pas à interdire l'accès de sa parcelle à son voisin.

Lésé, Eugène n'a plus qu'un recours pour obtenir gain de cause : faire appel au juge suprême. Et il a bien fait, car ce dernier, et c'est son rôle, a rappelé le droit aux juges de la cour d'appel. Celle-ci a en effet méconnu les articles L 161-1 et 161-2 du code rural. Le premier précise que « les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales ». Ce premier élément joue contre les juges d'appel, qui ont complètement mis de côté la déclaration du maire de la commune. Celui-ci avait effectivement affirmé qu'il « n'existe pas de chemin communal » à cet endroit précis. Cela signifie que, pour le maire qu'on suppose bien informé de ce genre de détails, le chemin en question est bien un chemin privé et ne peut donc être considéré comme chemin rural. Le second article du code rural affirme, quant à lui, que « l'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale ».

Pour la Cour de cassation, ce second article est primordial, et elle l'interprète ainsi : « l'affectation à un usage du public implique une circulation générale et continue ». C'est la condition à remplir pour pouvoir invoquer la présence d'un chemin ouvert à tous. Or, la cour d'appel a elle-même reconnu que ce chemin était à peine visible en raison d'une « utilisation très épisodique », même s'il était emprunté « de manière plus ou moins régulière par plusieurs personnes en fonction des activités agricoles des unes et des autres et suivant les périodes de l'année où elles devaient être accomplies ».

La cour d'appel avait bien conscience du caractère aléatoire des passages sur ce chemin. Mais elle n'en a pas tiré les conséquences. Le juge de Cassation casse donc l'arrêt de la cour d'appel et donne raison à Eugène, qui peut donc interdire l'accès de sa parcelle.

L'erreur d'Achille est d'avoir invoqué la notion de « chemin ». Or, il ne s'agissait pas d'un chemin rural. En effet, pour qu'il soit considéré comme tel, il aurait fallu qu'il soit revendiqué par la commune et entretenu par elle. Ce qui n'est manifestement pas le cas puisque le maire lui-même nie toute existence de chemin appartenant à la cité à cet endroit. Et, à défaut de chemin, Achille ne faisait que traverser le bien d'autrui sans autorisation et donc de manière illégale. C'est à la lumière de cet état de fait que la Cour de cassation a établi son jugement. Pour le juge, il s'agit d'une pénétration illicite sur une parcelle privée. Il aurait peut-être eu un avis différent si Achille avait évoqué une servitude, ou droit de passage. Le juge aurait alors dû considérer différemment son affaire. Mais ainsi va le droit.

Cour de cassation, 17 mars 2016, n° 15-10801

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