MATTHIEU ET RENAUD MABILLOT ont aménagé un caveau d'accueil au siège de leur exploitation. Aujourd'hui, seulement 20 % de leurs ventes se font auprès des particuliers. F. BAL
INSPECTION DES VIGNES fin mai. Bonne nouvelle : malgré les 170 mm de pluie au mois de mai, pas de mildiou. F. BAL
LES DEUX FRÈRES dégustent en compagnie de Stéphane Vaillant (à droite), le maître de chai de la coopérative de Reuilly, le blanc 2015. F. BAL
« Nous sommes nés dans les céréales. Le démarrage de l'activité viticole dans les années 1990 est un bon souvenir d'enfance pour nous », racontent les deux frères Matthieu et Renaud Mabillot, du domaine Mabillot, à Sainte-Lizaigne, dans l'Indre. Vingt-cinq ans plus tard, ils sont à la tête de l'exploitation familiale. Celle-ci compte 280 ha de grandes cultures et 9 ha de vignes en Reuilly, une petite appellation d'à peine 250 ha plantés. « C'est une appellation porteuse du Centre-Loire, continuent-ils. Reuilly a été mis en avant grâce à Sancerre qui nous a tirés vers le haut. »
Les frères Mabillot mettent en bouteilles toute leur production - soit entre 50 000 et 60 000 cols par an -, réparties pour les deux tiers en blanc, pour un quart en rouge et pour le solde en rosé. Ils vendent les trois quarts de leur production à des cavistes et à des restaurateurs par l'intermédiaire d'agents.
Tous deux ont acquis des expériences professionnelles à l'extérieur « avant de revenir aux sources ». Matthieu, 37 ans, est titulaire d'un BTS viti-oeno complété par une formation commerciale. Il a travaillé dans des domaines californiens et australiens, à la tonnellerie Taransaud et a vendu des verres pour Cristal d'Arques à des cavistes et autres professionnels. Des expériences idéales pour se constituer un carnet d'adresses. En 2008, Matthieu s'installe avec son père Alain.
Renaud, 39 ans, titulaire d'un BTS électronique, a installé des machines de l'agroalimentaire dans une vingtaine de pays pendant douze ans. En juin 2012, son père lui annonce qu'il part à la retraite à la fin de l'année. Sans hésitation, il revient lui aussi sur l'exploitation et prend en charge les grandes cultures. Matthieu, lui, s'occupe prioritairement des vignes. Tous deux sont cogérants de leur EARL et participent aux deux activités.
L'aventure viticole du domaine démarre en 1991. « À l'époque, la Pac venait d'être instaurée, les céréaliers cherchaient une diversification. Certains avaient déjà un peu de vignes », relatent les deux frères. L'un d'entre eux propose de monter une coopérative de vinification. L'année suivante, sept céréaliers, dont Alain Mabillot, créent le Chai de Reuilly.
« Nous fonctionnons comme une Cuma, précise Matthieu. Le Chai est une structure de matériel en commun depuis la vendange jusqu'à l'expédition des vins. » Ainsi, chaque coopérateur vinifie, élève et conditionne sa récolte, aidé du maître de chai employé par la coopérative.Celle-ci possède deux machines à vendanger dont une avec un égreneur intégré, quatre pressoirs pneumatiques Bucher et 5 500 hl de cuverie thermorégulée. Les vignerons restent propriétaires de leur récolte. Ils paient la coopérative au prorata de la surface et du nombre d'hectolitres produits. Ensemble, ils produisent 3 000 à 3 500 hl par an sur 60 ha.
À l'arrivée de Matthieu, le domaine propose, côté vins, une cuvée de base dans les trois couleurs et un rouge élevé en fût rebaptisé La Ferté. Matthieu procède à deux sélections parcellaires en blanc pour monter en gamme (10,50 €/col). Les deux vins connaissent une macération préfermentaire de 3 à 5 heures avant le pressurage. Le premier est élevé dix mois en cuve, le second un an en fût de 400 l. Pour les rouges, « nous avons complètement changé la manière de travailler pour nous adapter aux marchés, précise Matthieu. Nous extrayons beaucoup moins pour garder du fruit. Les cuvaisons sont plus courtes, de dix à douze jours au lieu de vingt jours auparavant ». Le reuilly rosé, appelé « gris » localement, est issu d'un pressurage direct de pinot gris complété par une saignée de pinot noir (15 %).
Sur le plan commercial, leur père démarre en 1994 sur des foires et marchés locaux. Assez rapidement, il rencontre un agent anglais, spécialiste des vins de Loire. Grâce à lui, il trouve des marchés en Angleterre puis en Hollande. L'export se développe. En 2008, à l'arrivée de Matthieu, ce débouché représente un tiers des ventes, majoritairement vers les pays anglo-saxons. La clientèle particulière, elle, achète 20 % de la production. « Je n'ai pas cherché à la développer, souligne Matthieu. Nous accueillons volontiers les consommateurs au caveau, mais nous ne participons pas à des salons destinés au grand public. Car c'est toute une gymnastique : il faut être organisé et être capable d'envoyer des mailings, préparer la voiture, partir loin et toujours le week-end. Nous travaillons suffisamment durant la semaine. Ce n'est pas notre choix. »
En 2009 et 2010, contrecoup de la crise bancaire et financière, les ventes à l'export chutent. Matthieu doit trouver de nouveaux débouchés. Travaillant déjà avec deux agents à Paris et en Picardie, il en trouve cinq supplémentaires pour les régions Nord, Ouest, Sud-Ouest, Paris et le Centre « pour accroître notre diffusion sur le réseau CHR, explique-t-il. Nos vins sont bons et nos prix intéressants - autour de dix euros chez les cavistes. Maintenant, des agents nous contactent par bouche à oreille pour travailler avec nous », avance-t-il.
Depuis quatre ans, le domaine participe au salon professionnel Loire en Scène, qui a lieu chaque mois de mai à Paris. « Il nous a donné une visibilité dans la presse et auprès des restaurateurs parisiens », analysent les deux frères.
Pour la première fois cette année, ils ont organisé le lundi 30 mai un méchoui avec une cinquantaine de leurs clients restaurateurs et cavistes régionaux. « C'est une belle partie de notre clientèle. Nous avons voulu les remercier », racontent-ils. Le temps n'était pas de la partie, malgré cela la journée a été « réussie ».
Autre piste pour faire parler d'eux : en 2014, ils ont élaboré Vindiou, un rosé avec un peu de sucre résiduel (3 g/l), élevé 7 mois en cuve. « En réalité, nous avons eu un arrêt de fermentation, confie Matthieu. Et nous nous sommes dit pourquoi ne pas créer une cuvée éphémère, différente de nos autres vins qui sont très secs. » Renaud complète : « Il est intéressant de susciter l'envie et d'éveiller la curiosité des consommateurs avec un peu de mystère. »
Ils produisent seulement 6 hl de Vindiou, dont ils tirent 300 bouteilles de 75 cl vendues à 9 € TTC, mais aussi des jéroboams et magnums. « Ce rosé a moins de fraîcheur et est plus gras que l'autre ; les clients étaient un peu perdus », continuent-ils. Mais, finalement, certains agents leur en redemandent. Peut-être renouvelleront-ils l'opération l'an prochain.
Déléguer les ventes aux restaurateurs et cavistes à des agents leur a permis d'être plus disponibles pour les travaux au chai et à la vigne. À la vigne justement, le domaine enherbe les interrangs depuis le début des années 2000 pour limiter l'érosion et la vigueur, et pour pouvoir passer dans les parcelles quelles que soient les conditions climatiques. Depuis trois à quatre ans, il travaille le sol sur le rang. Ils sont désormais en lutte raisonnée, mais non certifiés.
Depuis 2008, les deux frères ont planté 2,5 ha. Ils espèrent s'agrandir à 12 ha d'ici à trois ans, « mais l'accès au foncier en AOC Reuilly est très difficile, affirment-ils. Les prix atteignent 60 000 à 80 000 € par hectare de vigne planté, et les agriculteurs qui ont des terrains en AOC ne vendent pas ». Sur le plan commercial, ils envisagent de vendre en direct, au caveau, des pois et des lentilles avec leurs vins pour sécuriser leurs marges. « Cela représenterait beaucoup de travail, mais on y réfléchit sérieusement », souligne Renaud. Quoi qu'il en soit, ils sont « heureux de travailler pour eux-mêmes » et de voir revenir des clients qui ont apprécié leurs vins. « Car le vin est un produit noble : quand on en parle, les yeux des gens pétillent. » Les leurs aussi.
LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE Un partenariat gagnant avec les agents commerciaux
- Faire appel à des agents commerciaux. « Les agents commerciaux sont plus à même de placer nos vins auprès de la restauration et des cavistes, explique Matthieu. Ils connaissent bien les clients y compris les mauvais payeurs. Ils ont leurs entrées, c'est leur métier. Ils seront beaucoup plus efficaces que nous pour vendre nos vins chez un caviste qui a déjà trente ou quarante échantillons en attente. » Enfin, « si des clients situés sur les zones couvertes par nos agents nous appellent en direct, nous les renvoyons systématiquement vers l'agent concerné que nous commissionnons. Tout cela fait un partenariat gagnant », jugent-ils.
- Se montrer disponible. Pour entretenir leur réseau, les deux frères gardent du temps pour la vente. Ils appellent régulièrement leurs agents et leur adressent rapidement des échantillons. Ils les accompagnent en tournée commerciale durant une ou deux journées une à deux fois par an.
« Nous ne rechignons jamais à organiser des dégustations chez les clients qui nous sollicitent, poursuivent-ils. C'est une partie du travail. »
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Ils ont développé l'exploitation de leurs parents.
« La coopérative de vinification nous permet d'avoir du matériel de pointe que nous ne pourrions pas nous payer individuellement », soulignent-ils.
Les clients et la presse apprécient beaucoup leurs sélections parcellaires commercialisées à 10,50 €/col : le Haut de la pente et Montcocu en blanc, La Ferté en rouge.
Ils sont fiers d'amener le vin, produit noble, jusqu'à sa commercialisation.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS DÉPLORENT
Leur père est retraité depuis 2012 mais reste toujours très présent sur l'exploitation. « C'est parfois difficile. Il faut composer tous ensemble, mettre de l'eau dans son vin, racontent les deux frères. Ce n'est pas évident tous les jours. »
Gérer une petite exploitation devient d'une complexité administrative trop importante.