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VIGNE

Suivi de la maturité Dégustez les jus

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°288 - juillet 2016 - page 34

Lors du contrôle de la maturité, goûter les jus donne une bonne idée des arômes que l'on retrouvera dans les vins. Mais cela nécessite un minimum de méthode.
POUR DÉGUSTER LES JUS, il suffit de prélever un échantillon de 100 à 200 baies puis de le presser. Une fois pressé, on passe le jus à la passoire pour retirer les pépins et les pellicules et on le goûte dans la foulée. © M. GASARIAN

POUR DÉGUSTER LES JUS, il suffit de prélever un échantillon de 100 à 200 baies puis de le presser. Une fois pressé, on passe le jus à la passoire pour retirer les pépins et les pellicules et on le goûte dans la foulée. © M. GASARIAN

Déguster les jus pour apprécier la maturité ? La pratique n'est pas très répandue. Pourtant, selon plusieurs experts, son intérêt est indéniable. « La dégustation des baies n'est pas le meilleur moyen pour apprécier l'odeur d'un moût. En dégustant les jus au laboratoire après avoir pressé les baies, on y arrive mieux car on travaille en conditions contrôlées », indique Alexandre Pons, chercheur pour Seguin-Moreau et détaché à l'ISVV. L'enjeu est de taille. En effet, « l'intensité des notes herbacées et végétales des moûts diminue en cours de maturation, ce que l'on perçoit en dégustant régulièrement les jus. Puis, lorsqu'on atteint la surmaturité, des nuances de fruits cuits apparaissent sur les rouges. Toutes ces odeurs, selon leur nature, persistent dans les vins après la fermentation. En évaluant précisément l'odeur des moûts, on arrive donc à prévoir les nuances aromatiques que l'on retrouvera dans les vins », ajoute l'expert.

La dégustation des jus est donc un bon complément à la dégustation des baies. « C'est un peu plus lourd, mais riche en informations », affirme Alexandre Pons. Et d'ajouter : « Parfois, il suffit de quelques jours pour voir apparaître les notes de fruits cuits dans les moûts. » Si l'on ne désire pas en avoir dans les vins, il est grand temps de déclencher la récolte.

Anne Buchet, responsable du laboratoire de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher, partage ce point de vue. Pour elle aussi, la dégustation des jus de raisin appréhende mieux l'état aromatique d'une parcelle que la dégustation des baies car elle repose sur un échantillon plus homogène. Elle souligne que cette pratique est particulièrement intéressante pour suivre le sauvignon. En effet, ce cépage donne deux types de vins selon sa maturité : soit avec des notes de bourgeon de cassis ou d'agrumes, soit avec un profil terpénique, plus mûr, avec des notes de fruits exotiques et muscatées. « La dégustation des jus permet au viticulteur d'évaluer le profil aromatique auquel est arrivé un sauvignon », résume l'oenologue.

Anne Buchet ajoute qu'il est également intéressant de déguster les jus de gamay, de cabernet ou de côt. On peut ainsi vérifier la diminution d'intensité des notes herbacées et végétales. Et là encore, c'est une aide pour déclencher la récolte au bon moment. « Quand on goûte des jus de gamay avec des arômes de cerise fraîche, des notes acidulées, on sait que l'on va obtenir des rosés frais et pétillants. Si les notes sont plus épicées, orientées sur les fruits noirs, on aura de quoi produire un rouge de garde. » Enfin, la dégustation des jus est aussi un bon moyen de vérifier qu'il n'y a pas de goût moisi-terreux.

Un bémol toutefois : la dégustation des jus ne donne aucune indication sur les pépins. Or, leur état de maturité détermine l'astringence et la qualité des tanins. Dans ce cas, deux solutions : soit on conserve les pépins et on les goûte à part, soit on déguste des baies en complément des jus.

À l'ICV, Jacques Rousseau est moins convaincu. « La dégustation des jus est peut-être plus facile que celle des baies pour apprécier la qualité aromatique des moûts. Toutefois, elle ne permet pas d'apprécier la qualité des pellicules et des tanins », précise-t-il. De plus, d'après lui, il faut se montrer très rigoureux dans la préparation des échantillons et suivre toujours le même protocole d'extraction pour obtenir des résultats fiables. Dans sa région, les viticulteurs préfèrent donc en rester à la dégustation des baies « qui se fait à la vigne et qui apporte une information immédiate », observe Jacques Rousseau.

Goûter les jus : comment procéder

OEnologue à la CA du Loir-et-Cher, Anne Buchet recommande de prélever 100 à 200 baies en veillant à ce que l'échantillon soit représentatif de l'ensemble de la parcelle. Ensuite, on presse le jus, « soit à la main, directement dans le sac, soit avec un presse-purée. Il ne faut surtout pas le broyer, car les pépins se retrouvent alors dans le jus, donnant une amertume qui va fausser la dégustation ». On peut aussi utiliser une presse à échantillon vendue dans le commerce. Une fois pressé, on passe le jus à la passoire pour retirer pépins et pellicules et on le goûte dans la foulée. « Attention, le jus ne doit pas être trop froid, sinon on ne percevra pas bien les arômes », explique l'oenologue tourangelle. « Les baies doivent être propres. Les traces éventuelles de terre et les résidus de produits phytosanitaires doivent être retirés avant de presser les baies », précise Alexandre Pons (Seguin-Moreau, ISVV). Le chercheur insiste également sur la nécessité de respecter le même protocole d'extraction à chaque dégustation. Jacques Rousseau de l'ICV ajoute : « Il faut également déguster les jus sans trop attendre. Dans l'heure qui suit l'extraction, on peut avoir une hausse significative du pH. Dans ce cas, les derniers jus paraîtront plus acides. Si l'on prépare dix ou vingt échantillons, cela peut amener un biais. » Sans compter que si l'on attend trop, les jus risquent de s'oxyder.

Le Point de vue de

CHRISTOPHE DIDIER, DU CENTRE VINICOLE CHAMPAGNE NICOLAS FEUILLATTE

« Un bon moyen pour comparer les parcelles »

« Nous incitons nos adhérents à déguster les baies et les jus, en plus des contrôles de maturité classiques. Les analyses physico-chimiques (degré, acidité totale) restent la base, mais la dégustation des baies et des jus permet de mieux appréhender l'évolution aromatique et l'expression du terroir. En effet, pour un même degré et un même niveau d'acidité totale, on peut avoir une perception en bouche différente d'une parcelle à l'autre. On peut notamment avoir un côté acidulé plus ou moins marqué. Ces dégustations permettent de mieux gérer le circuit de cueillette. L'an passé, nous avons organisé des animations dans plusieurs coopératives de notre groupement. On a commencé par faire goûter les baies aux vignerons. Ce qui donne un premier apperçu de la sucrosité et de l'acidité. Toutefois, pour eux, l'exercice n'est pas évident. Ils se retrouvent en bouche avec du jus, des peaux et des pépins. Ils ont donc dû mal à exprimer leur ressenti. On a donc pressé des baies et on leur a fait boire les jus. Ils ont pu mieux appréhender l'expression aromatique. En outre, c'est un bon moyen pour comparer les parcelles entre elles. Cependant, il faut déguster les jus rapidement après leur pressurage, avant qu'ils ne s'oxydent. On va renouveler et développer l'opération cette année. De même, on incite les responsables de pressoir à goûter les moûts durant le débourbage. On leur conseille de se rendre avec leurs échantillons dans une pièce neutre et de les goûter dans des verres à dégustation. Cela leur permettra de mieux détecter d'éventuelles déviations aromatiques. »

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