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Magazine - Etranger

Catamarca La vallée désolée

ANGELINE MONTOYA - La vigne - n°288 - juillet 2016 - page 72

La vallée occidentale de Catamarca, en Argentine, était autrefois prospère grâce à un cépage très productif. Elle vit des moments difficiles pour ne pas avoir prévu la chute de la consommation des vins ordinaires.
À TINOGASTA, CETTE BODEGA ABANDONNÉE appartient à la famille Saleme. Du temps de sa splendeur, elle avait une capacité de 100 000 hl. A. MONTOYA

À TINOGASTA, CETTE BODEGA ABANDONNÉE appartient à la famille Saleme. Du temps de sa splendeur, elle avait une capacité de 100 000 hl. A. MONTOYA

LES VIGNES DE FIAMBALA, dans la vallée occidentale de Catamarca. Au fond, les célèbres dunes de Tatón et les contreforts de la cordillère des Andes. A. MONTOYA

LES VIGNES DE FIAMBALA, dans la vallée occidentale de Catamarca. Au fond, les célèbres dunes de Tatón et les contreforts de la cordillère des Andes. A. MONTOYA

ALTA ESPERANZA, À  TINOGASTA, a été créée en 2003 pour élaborer du vin premium, par Juan Longo associé au basketteur Fabricio Oberto. Elle produit 300 000 bouteilles par an, mais peine à se faire connaître. A. MONTOYA

ALTA ESPERANZA, À TINOGASTA, a été créée en 2003 pour élaborer du vin premium, par Juan Longo associé au basketteur Fabricio Oberto. Elle produit 300 000 bouteilles par an, mais peine à se faire connaître. A. MONTOYA

L'EXPLOITATION DE VICENTE LONGO a été créée en 1969. D'une capacité de 30 000 hl de vins ordinaires vendus en dames-jeannes, elle n'en produit plus que la moitié et connaît aujourd'hui des difficultés financières. A. MONTOYA

L'EXPLOITATION DE VICENTE LONGO a été créée en 1969. D'une capacité de 30 000 hl de vins ordinaires vendus en dames-jeannes, elle n'en produit plus que la moitié et connaît aujourd'hui des difficultés financières. A. MONTOYA

CÉSAR CUELLO ROCA, DE LA BODEGA CUELLO ROCA (ci-dessus), à Tinogasta. Sa petite entreprise mise sur la qualité et vend 250 hl par an. Ses vignobles sont à  Medanitos, au nord de Fiambalá. A. MONTOYA

CÉSAR CUELLO ROCA, DE LA BODEGA CUELLO ROCA (ci-dessus), à Tinogasta. Sa petite entreprise mise sur la qualité et vend 250 hl par an. Ses vignobles sont à Medanitos, au nord de Fiambalá. A. MONTOYA

HONORIO OLIVERA, exploitant à  Siján. Son domaine est artisanal. Ses vins sont vendus localement sous la marque Viejas Parras. Très différents, les deux vignerons connaissent des difficultés pour vendre leurs vins. A. MONTOYA

HONORIO OLIVERA, exploitant à Siján. Son domaine est artisanal. Ses vins sont vendus localement sous la marque Viejas Parras. Très différents, les deux vignerons connaissent des difficultés pour vendre leurs vins. A. MONTOYA

À 1 400 km au nord-ouest de Buenos Aires, près de la frontière avec le Chili, Fiambalá est surtout connue grâce à ses dunes choisies pour le parcours du rallye Dakar depuis 2009. Mais ses habitants aimeraient qu'on connaisse aussi ses vins. Ce bourg est en effet situé au centre de la vallée occidentale de Catamarca, une importante région viticole à la splendeur fanée.

Dans les années 1960, cette vallée, délimitée par les villes de Tinogasta au sud et Medanitos au nord, était très prospère. Elle produisait plus de 70 000 tonnes de raisin, dont 45 000 pour le vin vendu surtout en dames-jeannes. Le reste servait à l'élaboration de raisins secs, savoureux dans cette région à l'ensoleillement si constant qu'il pleut à peine 150 mm par an.

Depuis, la production de vin a été presque divisée par quatre. Seulement 12 000 tonnes de raisins sont encore vinifiées chaque année. Les chais monumentaux construits dans les années 1930 sont soit en ruine, soit en piteux état et à moitié vides. La bodega Saleme, à Tinogasta, a une capacité de 170 000 hl. Elle n'en produit que 3 000. Son autre chai d'une capacité de 100 000 hl, acheté à la famille Graffigna, est à l'abandon : les cuves s'affaissent, les toits s'écroulent, les outils rouillent. « Et beaucoup d'autres domaines subissent le même sort, se désole Raúl Buslaiman, président de la SA Saleme. De plus, une quinzaine d'établissements de raisins secs ont disparu. »

Les familles historiques, comme les Saleme ou les Longo, ont de sérieuses difficultés à maintenir la tête hors de l'eau. « À mesure que le temps passe, ces familles s'agrandissent alors qu'il est de plus en plus difficile de vivre de la vigne », témoigne Mario del Pino, ancien oenologue des Saleme qui travaille aujourd'hui pour Vicente Longo et qui construit sa propre petite bodega à Tinogasta.

Un cépage hyperproductif

La baisse de la consommation de vin par les Argentins, la disparition du train dans les années 1990 et la méconnaissance des vins de la région sont à l'origine de cette déchéance. La vallée est coincée entre deux géants vinicoles jouissant d'une bonne réputation : La Rioja au sud, et surtout Salta, qui a su promouvoir les vins de Cafayate, au nord.

Dans cette région semi-désertique, la plupart des producteurs possèdent de très petites superficies (moins de 5 ha). Le total de la surface plantée est de 1 740 ha, avec à 80 % du cereza. C'est un cépage de table et de cuve. Vinifié, il donne des vins ordinaires. Selon le célèbre ampélographe Pierre Galet, il s'agit du cépage le plus productif d'Argentine, donnant jusqu'à 400 à 500 quintaux/ha.

Dans les années 1990, de nombreux producteurs ont arraché du cereza pour s'adapter aux nouvelles habitudes de consommation. Ils ont planté du cabernet-sauvignon, du malbec et du bonarda, une variété sans doute originaire d'Italie et emblématique dans la région. Par ailleurs, un cépage exceptionnel, issu de la recherche, a fait son apparition, le tinogasteña, sans pépins et idéal pour le raisin sec. « Mais très vite, les producteurs ont déchanté : ces cépages ne produisaient pas autant que le cereza et ils ne vendaient pas mieux leur production », explique Aristóbulo Rizo, du Centre de développement viticole de Catamarca. Beaucoup de cultivateurs ont donc fait marche arrière. Ils ont regreffé des pieds de vigne avec du cereza.

Pour aider les petits vignerons, le gouvernement de Catamarca leur achète de grandes quantités de raisin. Il loue le chai de Saleme pour y élaborer du moût concentré. Il loue un autre chai dans le vignoble de Santa María, à 5 heures de route vers le nord, pour y produire du vin, « car l'outil de Saleme est un peu obsolète », explique Aristóbulo Rizo. Enfin, l'État confie la vinification du reste des raisins à la Fédération des coopératives viticoles argentines (Fecovita), qui regroupe cinq mille producteurs et qui opère à Mendoza. Cela désole les exploitants locaux : « Il va en sortir un vin de table de mauvaise qualité, vendu sous l'appellation Catamarca. Quelle publicité fera-t-il à la région ? », s'interroge un vigneron.

Le pari de la qualité

Mais certains continuent de parier sur les vins de qualité, produits en petites quantités dans des chais de pointe. C'est ainsi que Juan Longo, le fils de Vicente Longo, s'est associé avec le joueur de basket Fabricio Oberto, célèbre en Argentine pour avoir joué en NBA aux États-Unis. Ensemble, ils ont créé Alta Esperanza, un domaine de 400 ha de cabernet-sauvignon, malbec, syrah et chardonnay, installé à la sortie nord de Tinogasta. Ils ont été conseillés par l'oenologue Michel Rolland. Malheureusement pour eux, les temps sont durs. « Nous avons d'excellents produits, mais pas encore d'image », regrette Graciela Sesto, l'épouse de Juan Longo, présidente d'Alta Esperanza, qui reste persuadée que le format des « bodegas boutiques » est l'avenir de la région.

Dans le même secteur, les domaines Cuello Roca vend 25 000 bouteilles par an d'un vin haut de gamme et Cabernet de los Andes mise sur l'agriculture biodynamique. « Nos conditions pédologiques et climatiques sont idéales pour la vigne, souligne Pablo Fernández, oenologue de Finca Don Diego, à Fiambalá. Nous avons de l'amplitude thermique, un climat sec, pas de maladies, des sols sableux, argileux, irrigués par des rivières de montagne. Nos vins ont une belle structure, de belles couleurs. On a tout pour réussir. » Reste à le faire savoir.

Pomán, le vignoble oublié

 A. MONTOYA

A. MONTOYA

À 200 km à l'est de Tinogasta, au pied de la sierra d'Ambato, le département de Pomán est connu pour ses vins artisanaux et son eau-de-vie. Mais lui aussi est sinistré. Autrefois, il comptait sept grands chais. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une quinzaine de petits producteurs qui se partagent 110 ha, à Sijan, après un dramatique glissement de terrain qui a englouti de nombreuses vignes, en 2014.

Le chai le plus moderne est celui de la famille Nanini, qui produit depuis 1958 de la grappa et du vin de liqueur avec du muscat d'Alexandrie. Ses voisins Honorio et Graciela Olivera cultivent 3 ha de malbec, bonarda, syrah et cabernet. Plus haut, au pied du mont El Manchao, on découvre, au milieu d'une végétation luxuriante, une bodega vieille de 130 ans. L'Estancia Mischango (ci-contre) fabrique toujours du vin dans son chai en bois et torchis. Et son alambic français produit encore de l'eau-de-vie.

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