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Magazine - Histoire

Période : 1936 Lieux : France Naissance des AOC. Trente ans de bagarre

FLORENCE BAL - La vigne - n°288 - juillet 2016 - page 74

Les premières AOC fêtent leurs 80 ans cette année. L'occasion de revenir sur les âpres combats qui ont précédé leur naissance et duré trente ans.
Joseph Capus, l'infatigable défenseur des AOC. © A. HARLINGUE / ROGER-VIOLLET

Joseph Capus, l'infatigable défenseur des AOC. © A. HARLINGUE / ROGER-VIOLLET

Le 15 mai 1936, Albert Lebrun, président de la République, signe les décrets des six premières appellations d'origine contrôlée viticoles : Arbois, Tavel, Cognac, Cassis, Monbazillac et Châteauneuf-du-Pape. Fin 1936, les AOC sont 80 dont 29 en Bourgogne et Beaujolais, et 24 dans le Bordelais. Toutes fêtent donc leurs 80 ans cette année. La naissance des AOC est le dénouement de trente ans d'efforts et de combats en faveur de la qualité menés par l'agronome et politicien Joseph Capus contre les appellations d'origine simple (AO).

Les raisons de cette bataille sont avant tout économiques. À l'aube du XXe siècle, la crise phylloxérique conduit à la production d'une très grande quantité de vins frelatés. En réaction, les parlementaires votent la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes pour lutter contre les falsifications et garantir l'authenticité des produits. Cette loi entend punir quiconque aura trompé autrui « sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ». Joseph Capus en est l'un des promoteurs. Il obtient que la tromperie sur l'origine soit sanctionnée. En effet, il défend farouchement une conception de l'appellation d'origine.

À l'époque, deux thèses s'opposent. « Dans mon esprit, ce n'est pas l'origine seule que la loi doit défendre mais la qualité, relève-t-il. Je tiens à attirer l'attention sur le danger qu'il y aurait à accorder une appellation d'origine uniquement à cause de l'origine. » L'autre thèse, très majoritaire, réduit effectivement l'appellation à la simple garantie d'origine des vins. Cette conception « est fausse et artificielle. Fait incroyable, elle a longtemps triomphé », poursuit-il.

La loi du 5 août 1908 complète celle de 1905. Elle permet à l'administration de délimiter l'aire géographique des zones de production par décret. Armagnac, Cognac, Bordeaux et Banyuls obtiennent ainsi des délimitations. La Champagne s'engage dans cette voie mais elle exclut les Aubois à la demande des Marnais, provoquant de graves émeutes de part et d'autre en 1911. La Première guerre repousse cette lutte à des jours meilleurs.

Après le conflit, la loi du 6 mai 1919 consacre l'appellation d'origine comme un droit collectif de propriété. Mais aucun critère de qualité n'est inclus dans les décrets. Joseph Capus oeuvre pour la modifier. La loi du 22 juillet 1927 interdit les hybrides et laisse la possibilité d'introduire des critères de qualité pour les AO qui le souhaitent. Nouvel échec. Mais Joseph Capus est désormais appuyé dans son combat par un allié de poids, le baron Pierre Le Roy, de Châteauneuf-du-Pape, dont le leitmotiv est « moins de vin mais meilleur ».

En 1924, ce dernier crée le Syndicat des vignerons de Châteauneuf-du-Pape et introduit une action judiciaire pour défendre l'appellation. Le 28 juin 1929, après d'âpres discussions, le tribunal d'Avignon entérine une définition de l'appellation d'origine Châteauneuf-du-Pape incluant une délimitation des parcellaires, une liste de cépages autorisés, des modes de taille, un degré d'alcool minimum, et enfin l'interdiction du sucrage et de la submersion. C'est une grande victoire !

Dans les années suivantes sévit une grave crise de surproduction liée aux importations croissantes de vins d'Algérie. En 1934, 16 millions d'hectolitres de la métropole sont déclarés en AO simples pour se distinguer. Dans ce contexte, Joseph Capus veut limiter la multiplication anarchique des AO simples. Il dépose le décret-loi du 30 juillet 1935 sur la défense du marché des vins et le régime économique de l'alcool. Ce texte établit le cadre législatif de la création des AOC fixant des conditions de production : liste des cépages, rendements, procédés de culture et de vinification, etc. Il fonde aussi l'organisme qui les gère : le Comité national des vins et eaux-de-vie devenu l'Inao.

La suppression de la double appellation ne sera toutefois actée que par la loi du 3 avril 1942 : lorsqu'une AOC existe, l'AO simple de même nom ne peut subsister. Puis les AO simples sont supprimées par la loi du 12 décembre 1973.

Les AOC viticoles étaient au nombre de 364 en 2014. Elles permettent une belle valorisation de l'activité viticole. Bon anniversaire et longue vie !

Bibliographie : « L'Évolution de la législation sur les appellations d'origine. Génèse des appellations contrôlées », de Joseph Capus.

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