1. Soignez l'hygiène
C'est la clé de la réussite. Les Brettanomyces survivent à des conditions très difficiles. Elles adhèrent sur toutes les surfaces, en particulier l'Inox. Un simple coup de jet ne suffit pas à nettoyer les cuves contaminées. En outre, comme la plupart des micro-organismes d'altération, les Bretts se nichent dans les endroits difficiles à nettoyer : joints, robinets de dégustation, vannes, tartre... Une bonne hygiène est donc primordiale. « Avant les vendanges, il faut contrôler les surfaces pour s'assurer qu'elles sont bien propres. Au dernier moment, juste avant la mise en cuve, on désinfecte, avec par exemple du peroxyde. Durant les vinifications, à chaque fin d'étape (en fin de pressurage, de vinification...), il faut nettoyer soigneusement tous les matériels. Cela passe par un prérinçage à l'eau - chaude pour plus d'efficacité - avec un peu de pression pour retirer les souillures, les lies et déjà un peu de tartre. Ensuite, on passe à la soude pour éliminer tout le tartre, si on n'y est pas arrivé avec l'eau chaude sous pression ou à grand débit. Il ne faut pas hésiter à démonter les robinets, les vannes, les joints... qui sont des nids à micro-organismes. Toutes ces opérations sont suivies d'un rinçage et d'un contrôle pour s'assurer que le matériel est bien propre et exempt de résidus de produits de nettoyage. Adaptez la procédure au risque. Par exemple, les pompes peuvent s'encrasser facilement. S'il y a un risque, nettoyez-les rigoureusement en n'hésitant pas à les démonter. Durant les vinifications, il faut une hygiène quotidienne : rincer le matériel à chaque fin de journée, sans oublier les sols, les murs, l'extérieur des cuves, les tapis... », explique Pascal Poupault, de l'IFV pôle Val de Loire - Centre. Selon lui, l'important est de bien noter les procédures appliquées à chaque matériel. « En cas de problème, cela permet de rectifier le tir : de changer de produit, de concentration ou d'outil d'application. »
2. Nettoyez vos barriques usagées
« Ne craignez pas les fûts neufs. Ils ne contiennent pas de Brettanomyces », assure Vincent Renouf, responsable R & D pour Chêne & Cie*. Inutile donc de les désinfecter avant de s'en servir. Il faut juste veiller à leur étanchéité et les mettre en eau avant d'entonner. Pour les barriques usagées, ce n'est pas la même histoire. Inter Rhône a montré que des Bretts se logent et survivent jusqu'à 9 mm de profondeur dans le bois. Dès lors, on comprend « qu'aucun process de nettoyage ne permet de stériliser les barriques usagées. Cependant, certains sont plus efficaces que d'autres. Le must, c'est l'eau surchauffée combinée à un méchage sous pression. Après cela, il y a très peu de recontamination. Toutes les autres méthodes réduisent les populations mais n'empêchent pas les cellules survivantes de recontaminer le fût », rapporte Mohand Sadoudi, chargé d'études à Inter Rhône.
Pour Vincent Renouf, le protocole le plus efficace consiste en un détartrage à l'eau sous pression, suivi d'un traitement à la vapeur durant 5 à 7 min, d'un rinçage à l'eau froide, d'un égouttage puis d'un méchage si la barrique doit rester vide longtemps.
Pour contrôler l'efficacité du nettoyage, Inter Rhône a mis au point le Barriscope. Cet outil prélève un disque de bois de 2 à 3 mm d'épaisseur au fond de la barrique, envoyé ensuite au laboratoire et analysé par PCR. « Il faut compter deux jours pour obtenir le résultat. Nous facturons 80 € l'analyse, mais l'idée est de la transférer à d'autres laboratoires », rapporte Mohand Sadoudi. Ce dernier précise qu'il faut attendre au moins une semaine après un nettoyage pour effectuer le prélèvement.
3. Récoltez des raisins sains
C'est l'une des premières précautions à prendre, selon Florent Niautou, de l'oenocentre de Soussac (Gironde). « Plus l'état sanitaire est dégradé, plus le niveau de levures non-Saccharomyces augmente. Il faut rentrer un raisin que l'on aurait envie de manger », insiste-t-il. Philippe Gabillot, oenologue à la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire, le confirme. « Dès que les pellicules se fissurent, il faut enclencher les vendanges. On évitera aussi l'installation du botrytis. »
4. Soyez vigilant en cas de surmaturité
Les oenologues sont unanimes : le risque de déviations augmente avec les degrés et les pH. « Les fins de fermentation alcoolique (FA) risquent alors d'être plus difficiles », note Florent Niautou. De plus, quand les pH sont élevés, le SO2 est moins actif. « Il faut éviter de rentrer des raisins dont le pH est supérieur à 3,7 », prévient Éric Grandjean, du Centre oenologique de Bourgogne. Si les pH sont trop élevés, Florent Niautou préconise, lui, d'acidifier.
5. Évaluez bien les risques
La chambre d'agriculture de Gironde a développé le logiciel Brett'less. Celui-ci suit le risque de contamination par les Bretts de l'arrivée des raisins au chai jusqu'au conditionnement, selon les paramètres de la vendange et les pratiques culturales. L'utilisateur est accompagné par un oenologue. Quand le niveau est élevé, il reçoit une alerte par mail ou SMS. L'outil détermine également les cuves qu'il faut analyser et quand. Brett'less coûte 40 € par lot jusqu'à dix lots. Au-delà, il n'y a plus de surcoût.
Sur le même principe, Pascal Chatonnet, du laboratoire Excell, propose l'application Brett Scoring qui, elle aussi, calcule le risque de contamination en fonction de la vendange et des pratiques. Brett Scoring est disponible en accès libre sur le site du laboratoire Excell.
6. Sulfitez avec modération
Pour Vincent Renouf, on peut se passer de sulfiter la vendange dès lors qu'elle est parfaitement saine. Mais, pour Éric Grandjean, « vinifier sans SO2 est dangereux ». Il recommande entre 4 et 6 g/hl à l'encuvage. Dans tous les cas, gare aux excès. « Un sulfitage de la vendange à plus de 8 g/hl gênera l'enclenchement de la malo », rappelle Jean-Christophe Crachereau, de la CA de Gironde. Et, à cette dose, on sélectionnera les Bretts parmi les autres levures présentes sur la vendange. On obtiendra donc l'effet inverse de celui recherché.
D'autres oenologues misent sur la bioprotection. L'idée est d'occuper le milieu avec des levures bénéfiques le plus vite possible. « Le SO2 peut avoir un effet inverse de celui escompté. Il pourrait presque sélectionner des souches de Bretts résistantes au SO2 (voir encadré). De son côté, le non-sulfitage favorisera l'enclenchement de la malo », explique Florent Niautou. Ce dernier recommande donc d'ajouter des levures, non-Saccharomyces de préférence, dès qu'il y a libération de jus, en veillant à leur bonne répartition. « La bioprotection est d'autant plus fondamentale que la vendange est altérée », estime-t-il.
7. Attention à la macération préfermentaire à froid
Si vous optez pour une telle macération, surveillez votre thermomètre. « Une vraie macération à froid se fait à 5 °C. Au-delà de 8 °C, des micro-organismes d'altération peuvent se développer », insiste Philippe Gabillot.
8. Veillez à la bonne marche de la FA
Réduire le risque de Bretts passe par un enclenchement rapide et un achèvement complet de la fermentation alcoolique. Il ne doit pas rester de sucres dans les vins car la moindre trace profite aux Bretts. Pour cela, le mieux est de levurer avec des LSA. Si vous optez pour des levures indigènes, préparez un pied de cuve plusieurs jours avant les vendanges. Si les degrés potentiels sont élevés et que vous utilisez des LSA, choisissez une souche fructophile. « En fin de FA, c'est le fructose qui reste. Ce type de levure pourra donc achever les derniers sucres », explique Olivier Roustang, de Rhône nologie.
Assurez-vous également que les moûts contiennent suffisamment d'azote assimilable. Au besoin, complémentez-les. « Il faut trouver le juste équilibre et éviter les excès », prévient Vincent Renouf. Ce dernier recommande des ajouts raisonnés selon la teneur initiale du moût et les besoins des levures employées. Il insiste aussi sur la nécessité de fractionner les apports. « Il faut réaliser un premier apport au levurage pour faire de la biomasse. Là, on doit privilégier les sels d'ammonium et en apporter de manière à obtenir 140 mg/l d'azote assimilable dans le moût. Ensuite, on peut effectuer un deuxième apport au moment de la dernière aération, lorsque la densité a chuté de 20 à 30 points. Cette fois, c'est l'azote organique qui doit être privilégié. La dose à apporter est fonction du TAVP et des conditions de fermentation. »
9. En cas d'arrêt, réagissez vite
« À la moindre alerte (densité qui chute lentement), ne tardez pas », insiste Philippe Gabillot. Il faut isoler la cuve, l'écouler et relancer la fermentation le plus vite possible en faisant un pied de cuve avec des levures finisseuses. Un léger sulfitage de la cuve arrêtée (2 à 3 g/hl) favorisera le redémarrage de la fermentation. Quel que soit le résultat, effectuez un contrôle microbiologique afin de raisonner vos interventions par la suite.
10. Pas de temps mort après la FA
La fin de la fermentation alcoolique est l'une des périodes les plus critiques car les populations de S. cerevisiæ chutent et laissent le champ libre aux autres micro-organismes. De plus, le vin n'est pas protégé par le SO2. Mieux vaut alors que la malo s'enclenche vite. Pour éviter tout temps mort, l'idéal est d'effectuer une co-inoculation levure-bactérie en début ou en cours de fermentation. Toutefois, pour Jean-Christophe Crachereau, la co-inoculation est à raisonner en fonction de la vendange : « Si on a des tanins un peu agressifs, la co-inoculation va maintenir cette agressivité. » Dans ce cas, mieux vaut attendre la fin de la fermentation alcoolique pour apporter les bactéries lactiques.
11. Soignez le sulfitage post-malo
Dès que la malo s'est achevée, Jean-Christophe Crachereau et Vincent Renouf recommandent un sulfitage massif de l'ordre de 6 g/hl. « En une seule fois car c'est plus bénéfique que des petites doses apportées en plusieurs fois », précise Vincent Renouf.
De son côté, en Touraine, Philippe Gabillot préconise de sulfiter à 3 g/hl. Pour réduire les doses de SO2, on peut ajouter du chitosane. Extrait des parois d'un champignon, ce produit s'avère très efficace pour réduire les populations de Bretts. Appliqué préventivement, il les empêche même de se développer.
En début d'élevage, le mieux est de viser des teneurs en SO2 moléculaire autour de 0,6 mg/l. « Mais si les pH sont supérieurs à 3,8, ce niveau sera difficile à maintenir », prévient Florent Niautou. Durant l'élevage, contrôlez régulièrement les teneurs en SO2 et réajustez-les au besoin.
12. Méfiez-vous du cliquage
Le cliquage consiste à apporter de toutes petites doses d'oxygène grâce à un diffuseur. Cette pratique favoriserait l'expression des arômes et éliminerait les odeurs de réduit. « Mais les Bretts en bénéficient aussi », met en garde Philippe Gabillot. Ces germes profitent en effet du moindre apport d'oxygène pour se multiplier.
13. Faites des contrôles réguliers
« Il faut adapter la surveillance au niveau du risque », indique Vincent Gerbaux, de l'IFV pôle Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie. En cas de FA languissante ou si la malo tarde à s'enclencher, contrôler au plus vite les cuves concernées. Sinon, les oenologues recommandent généralement de faire le premier point par sondage, selon votre budget analyse, lorsque les fermentations alcooliques sont terminées et/ou en fin de malo, puis de contrôler régulièrement au cours de l'élevage, toujours par sondage. L'idéal est de cibler les cuves où vous estimez que le risque est le plus important.
Lors d'un élevage sous bois, « des contrôles tous les deux mois sont nécessaires si vous utilisez des barriques usagées ou tous les mois si elles sont neuves », conseille Vincent Renouf.
En effet, il faut se montrer particulièrement vigilant avec les fûts neufs. Si ceux-ci ne renferment pas de Bretts, ils apportent plus d'oxygène et combinent davantage le SO2 que les vieux fûts. Ces deux phénomènes favorisent le développement des Bretts contenus dans les vins que l'on entonne.
Philippe Gabillot insiste également sur les dégustations. « Il faut goûter régulièrement les vins en cours d'élevage, si possible en dehors du chai. Et c'est encore mieux si l'on est plusieurs. En cas de doute, on doit procéder à une analyse. » Olivier Roustang le confirme : « Il faut goûter les vins au moins une fois par mois. »
14. Choisissez la bonne méthode d'analyse
Pour beaucoup d'oenologues, mieux vaut suivre les populations de levures que les éthyl-phénols. En effet, « quand des éthyl-phénols sont présents, il est déjà trop tard », indique Jean-Christophe Crachereau. Reste à savoir comment s'y prendre. Il existe en effet trois méthodes d'analyse : le dénombrement sur boîte de Petri, la cytométrie en flux et la PCR, chacune ayant ses avantages et inconvénients.
« Le dénombrement sur boîte de Petri est inapproprié en cas d'urgence, huit jours étant nécessaires pour avoir le résultat. Or, durant les phases fermentaires, les populations microbiennes évoluent très vite. Et sachant que cette méthode ne détecte pas les cellules viables mais non cultivables (VNC), elle n'est pas non plus recommandée pour contrôler rapidement l'efficacité d'un traitement. En effet, un sulfitage ou un ajout de chitosane peut rendre les cellules VNC sans pour autant les tuer. Celles-ci sont donc susceptibles de se réactiver par la suite. En revanche, cette méthode peut être utilisée pour le suivi du chai pendant l'élevage », rapporte Virginie Serpaggi, du service technique d'Inter Rhône, qui pilote un groupe de travail national sur les Bretts.
En cas d'urgence, le mieux est de faire une analyse par cytométrie en flux. Mais les laboratoires ne sont pas tous équipés. Sinon, il y a la PCR quantitative. Attention toutefois, celle-ci est inadaptée pour contrôler l'efficacité d'un traitement car elle dose l'ADN des cellules, y compris celui des cellules détruites par le traitement. Dès lors, le vin paraîtra plus contaminé qu'il ne l'est. Pour éviter cet écueil, il faut patienter deux à trois semaines avant d'effectuer ce contrôle.
Lors de l'élevage, Vincent Renouf recommande de coupler le dénombrement sur boîte de Petri avec le dosage des éthyl-phénols.
15. Pour éliminer les Bretts, plusieurs solutions
En cas de contamination, plusieurs possibilités s'offrent à vous : flash-pasteurisation, filtration stérile ou utilisation de chitosane. « Le chitosane est un bon moyen. C'est le produit oenologique le plus efficace avec une persistance d'action de six mois. Après, les populations remontent », explique Vincent Renouf. Le chitosane peut s'employer dès la fin de la malo, en cours d'élevage et jusqu'à quinze jours avant la mise en bouteille. Un autre produit, le DMDC, est également autorisé mais uniquement sur les vins contenant plus de 5 g/l de sucre résiduel avant l'embouteillage. « C'est un traitement très compliqué à mettre en oeuvre. De plus, il n'a pas de persistance d'action », note Vincent Renouf.
Dans le cas où les populations de Bretts sont faibles, un simple soutirage suivi d'un collage peut suffire à les éliminer.
16. L'ultime recours
Si malgré toutes les précautions, un vin contient des éthyl-phénols, on peut en éliminer pour redescendre en dessous du seuil de perception. La société Michaël Paetzold propose un traitement que l'Union européenne a reconnu en 2015. « Nous éliminons les éthyl-phénols sans qu'il y ait d'incidence sur les autres constituants du vin. Les gens sont bluffés par le résultat. Le vin retrouve du fruit », assure Fabrice Delaveau, le directeur général. Toutefois, le traitement est long. « Pour ramener à 400 µg/l d'éthyl-phénols une cuve de 100 hl qui en contient 1 200 µg/l, il faut compter une trentaine d'heures avec une machine qui tourne à 600 l de perméat par heure. » Et durant tout le processus, il faut « éviter l'introduction d'oxygène ». « La prestation coûte de 7 à 20 €/hl HT selon le volume à traiter et la quantité d'éthyl-phénols à éliminer », indique Fabrice Delaveau. La société commercialise aussi la machine à partir de 20 000 € HT pour le plus petit modèle qui permet de travailler à 100 l/h de perméat.
* Vincent Renouf est l'auteur de l'ouvrage Brettanomyces et phénols volatils - Outils pratiques pour prévenir et limiter les altérations dans les vins, paru aux éditions Lavoisier.
Boissons fermentées : le milieu de prédilection des Bretts
Pour Vincent Renouf, responsable R&D pour Chêne & Cie, les choses sont claires : les Brettanomyces proviennent des raisins. Plus il y en a sur la vendange à la récolte, plus il y en aura dans les vins en fin d'élevage. Mais pour Vincent Gerbaux, de l'IFV pôle Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie, « si la vendange est saine, on n'en trouve que quelques cellules par kilo de raisin. Le milieu de prédilection des Bretts, c'est la boisson fermentée, pas les baies », rapporte-t-il. L'IFV a observé que les Bretts isolées sur les grappes sont génétiquement différentes de celles trouvées dans les vins issus de ces raisins. Preuve que les souches se développant sur les baies ne contaminent pas les vins. « Le rapport de force entre les Bretts présentes sur le raisin et celles des chais est en faveur des secondes. Dès lors, les contaminations sont d'autant plus importantes que l'hygiène n'est pas maîtrisée », note Vincent Gerbaux. « Le raisin n'est pas la source principale d'inoculum », confirme Isabelle Masneuf-Pomarède, enseignante-chercheuse à l'ISVV de Bordeaux. Toutefois, le viticulteur doit se méfier des parcelles proches de tas de marc de distillerie ou de bois qui entretiennent l'humidité. « Dans ces situations, les populations microbiennes sur les baies sont plus importantes », note-t-elle.
Des souches particulièrement coriaces
C'est la pagaille ! Le séquençage du génome de plusieurs souches de Brettanomyces bruxellensis, réalisé il y a quatre ans, a révélé une diversité insoupçonnée chez ce microbe. « Le nombre de copies de certains chromosomes varie d'une souche à l'autre. Des souches présentent même des chromosomes additionnels : ce sont des hybrides interspécifiques », rapporte Isabelle Masneuf-Pomarède, enseignante-chercheuse à l'ISVV de Bordeaux. Conséquence de cette diversité : certaines souches se révèlent bien plus tolérantes que d'autres au SO2. « Elles se développent avec 0,6 mg/l de SO2 actif, la dose plafond qui est préconisée pour protéger les vins de toute déviation microbienne. À cette dose, on freine seulement leur croissance. Leur phase de latence est un peu plus longue, mais une fois que leur croissance a démarré, elles se développent normalement. Quand on y est confronté, on doit se poser la question de l'intérêt de maintenir des doses élevées de SO2 actif car elles restent sans effet », explique Isabelle Masneuf-Pomarède. Selon la spécialiste, mieux vaut alors recourir à un traitement alternatif : chitosane, filtration, flash-pasteurisation... Comment savoir si on a affaire à de telles souches ? Pour répondre à cette question, l'ISVV travaille sur la mise au point d'un test génétique qui devrait être bientôt opérationnel.
Des seuils de perception variables
Le seuil de perception des éthyl-phénols dans les vins rouges est de 400 µg/l, selon le Traité d'oenologie (éditions Dunod/La Vigne). Au-delà de ces concentrations, apparaissent clairement les odeurs d'écurie, de cuir et de sueur de cheval portées par ces molécules. Mais les travaux de l'IFV pôle Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie montrent que « sur le pinot noir et le chardonnay, le seuil de perception tourne plutôt autour de 200 µg/l, voire moins. En présence de boisé, il augmente », note Vincent Gerbaux. L'ingénieur a également observé que les rouges bourguignons contiennent un tiers d'éthyl-gaïacol pour deux tiers d'éthyl-phénol. Or, le Traité d'oenologie parle d'un rapport de 10 % d'éthyl-gaïacol pour 90 % d'éthyl-phénol dans les rouges. Vincent Renouf, directeur R & D oenologique chez Chêne & Cie, le confirme : « Le seuil de perception des éthyl-phénols est variable d'un vin à l'autre. Autour de 150 à 200 µg/l, il ne faut pas s'affoler, mais se poser des questions... » Et dès que l'on passe ces seuils, c'est une autre histoire. Or, comme le rappelle Vincent Gerbaux, 200 µg/l, c'est vite arrivé.
Premier effet : le masquage des arômes fruités
Bien avant d'être perçus comme tels, les éthyl-phénols masquent les arômes fruités des vins. C'est ce qu'a démontré Sophie Tempère, de l'ISVV et de l'Université de Bordeaux. Pour mettre ce fait en lumière, elle a demandé à des jurés de sentir des vins auxquels elle a ajouté des doses croissantes d'éthyl-phénol. « Même à des concentrations de 9 µg/l, qui sont largement en deçà du seuil de perception, on a un masquage des arômes fruités : ceux-ci sont perçus comme moins intenses au nez », rapporte-t-elle. Les tests n'ont été réalisés qu'au nez. « Il faudrait réaliser des dégustations pour s'assurer que le masquage se produit aussi en bouche. Car, au vu des mécanismes mis en jeu, cela pourrait bien être le cas », avance la spécialiste.
Des précurseurs dans la peau
Un peu de chimie. Les goûts d'écurie causés par les Bretts sont dus aux éthyl-phénols que ces germes produisent après transformation de trois précurseurs présents dans les peaux des raisins : les acides coumarique, caféique et férulique. « L'acide caféique est peu dangereux car il est peu métabolisé par les Bretts. L'acide férulique l'est davantage. Il est transformé en éthyl-gaïacol que l'on perçoit à un seuil très faible. Heureusement, cet acide est peu présent dans le raisin. Le plus abondant des trois, c'est l'acide coumarique. Il est à l'origine de l'éthyl-phénol dont le seuil de perception est plus élevé que celui de l'éthyl-gaïacol », explique Nancy Terrier, chercheuse à l'Inra de Montpellier. Tous les cépages en contiennent, y compris les blancs. « Le merlot et le sauvignon en contiennent peu, contrairement au pinot noir, à la syrah, au cabernet-sauvignon et au sémillon. Cependant, quel que soit le cépage, la quantité de précurseurs est toujours suffisante pour qu'il puisse y avoir une incidence sur les vins », note Nancy Terrier. Les pratiques culturales n'ont qu'un faible effet sur la teneur en précurseur des raisins. Les méthodes de vinification, elles, ont un impact. Les précurseurs étant principalement concentrés dans la pellicule, les macérations favorisent leur extraction, augmentant les risques de déviation par la suite.
Une affaire d'apprentissage
Autrefois, le caractère phénolé n'était pas considéré comme un défaut. Un point de vue qui n'a pas entièrement disparu. Pour le démontrer, Sophie Tempère, de l'ISVV de Bordeaux, a mené une petite expérience. Elle a présenté à 75 dégustateurs professionnels un vin rouge exempt de phénols volatils et un autre contenant 380 µg/l d'éthyl-phénol, un taux proche du seuil de détection à Bordeaux. Puis elle leur a demandé de noter l'intensité du caractère phénolé. Verdict : « Il y a un effet de l'âge et de la profession sur la perception de ce caractère, rapporte Sophie Tempère. Les plus de 50 ans ont tendance à le noter avec une intensité moindre. Logique, ce caractère ayant été reconnu comme un défaut seulement dans les années 1990. Par ailleurs, il y a eu un meilleur consensus chez les oenologues pour considérer que le caractère phénolé est bien un défaut, ce qui tend à confirmer l'importance de l'apprentissage. »