Le chardonnay n'est pas si neutre. L'AWRI (Australian Wine Research Institute) vient de démontrer qu'il contient beaucoup de thiols, parfois même davantage que le sauvignon. Alors, pourquoi ne perçoit-on pas des notes de fruits exotiques, d'agrumes ou de buis lorsqu'on le déguste ? « Parce que les thiols sont masqués par d'autres composés volatils, explique Dimitra Capone, chercheuse au sein de l'AWRI. Mais ils participent de façon très importante aux arômes fruités des chardonnays. »
Pour parvenir à cette conclusion, son équipe a commencé par aller faire des courses. « Nous avons acheté 106 vins australiens de chardonnay - crus 2012 et 2013 - de divers styles, boisés ou pas, et de différentes origines géographiques. Nous avons pioché dans toute la gamme avec des vins vendus entre 4 et 120 dollars. Et nous avons analysé leurs teneurs en thiols », détaille Dimitra Capone.
Des résultats inattendus
À leur grande surprise, les chercheurs ont constaté que les concentrations en 3MH et en 3MH-A - des thiols aux arômes d'agrumes et de fruits exotiques - étaient toujours supérieures aux seuils de perception, respectivement fixés à 60 et 4 ng/l, « et parfois similaires à celles que l'on peut mesurer dans des sauvignons blancs très aromatiques », ajoute Dimitra Capone.
Les chercheurs ont également trouvé beaucoup de benzène-méthanéthiol, un thiol à l'odeur de pierre à fusil. Dans certains cas, sa concentration était 100 fois supérieure à son seuil de perception (0,3 ng/l). En revanche, ils ont découvert des niveaux assez faibles en 4MMP, une molécule aux notes de buis.
Pour s'assurer que ces résultats n'étaient pas biaisés par la présence de cépages non mentionnés sur l'étiquette, les chercheurs ont mis en place un autre essai. Ils ont récupéré 16 moûts de chardonnay, de diverses régions australiennes, vendangés à la main et juste pressurés. Ils les ont vinifiés avec le même protocole, sans ajout de bois, et analysés. « Encore une fois, les teneurs en thiols étaient importantes », explique Dimitra Capone. En effet, tous les vins renfermaient du 3MH à une concentration supérieure au seuil de perception, et dans certains cas jusqu'à 80 fois plus. Les vins ont finalement été dégustés par un groupe de 156 consommateurs aguerris. La majorité a préféré les vins qui renfermaient le plus de thiols.
Et qu'en est-il pour le chardonnay français ?
Dans ces essais, régions et climats n'ont pas été déterminants pour les teneurs en thiols. Dès lors, pourrait-on obtenir des résultats similaires en France ? À la tête de la R & D à l'AWRI, Ian Leigh Francis a annoncé que son équipe allait se pencher sur la question. « Nous allons élargir notre champ d'investigation en analysant des vins français et d'autres pays, explique-t-il. Il faudra aussi travailler sur les moyens de favoriser ces thiols. Cela peut passer par le choix de la souche de levure, le pressurage en grappes entières ou les macérations pelliculaires. »
Des chercheurs espagnols ont commencé à déblayer le terrain dès 2010*. Ils ont ainsi analysé 136 vins blancs et rosés du monde entier. Parmi eux, neuf chardonnays de cinq régions d'Espagne. Contrairement aux Australiens, ils ont trouvé dans ces bouteilles beaucoup de 4MMP. Certes, moins que dans le sauvignon mais davantage que dans les autres cépages.
La 3MH-A était également présente. Or, ils ont constaté que cette molécule contribuait grandement aux notes fruitées du chardonnay. « Idem avec la 4MMP, la 3MH-A, ainsi que le benzène-méthanéthiol, détaille Laura Mateo Vivaracho, chercheuse pour le Centre de la qualité des aliments à Soria, en Espagne. En revanche, le rôle de la 3MH est moins évident. » Les Espagnols ont trouvé beaucoup moins de 3MH dans le chardonnay que dans le sauvignon. Et, même présente, elle n'avait pas toujours d'impact significatif sur le bouquet des vins. Selon les chercheurs, il n'y a vraiment que pour le sauvignon que cette molécule joue un rôle prépondérant.
En France, le directeur de Nyséos et responsable de projet à l'IFV, Rémi Guérin-Schneider, n'est pas étonné que les Australiens aient trouvé des thiols dans leurs chardonnays. « Ce qui est plus surprenant, c'est qu'ils en aient trouvé autant », explique-t-il. Rémi Guérin-Schneider a essentiellement travaillé sur les thiols du sauvignon. « Il nous est arrivé une fois de trouver beaucoup de thiols dans un chardonnay de Meursault. Mais comme nous ne percevions pas d'arômes typiques des thiols à la dégustation, nous n'avons pas vraiment creusé la question et n'avons pas mené d'autres essais. »
Selon lui, les concentrations en thiols analysées dans le vin dépendent davantage de la souche de levure, des températures de la FA et des conditions d'élevage que de la quantité de précurseurs présents dans la baie. « La vinification peut faire varier les teneurs en thiols de 1 à 10, alors que la quantité de précurseurs dans le raisin est rarement limitante », affirme-t-il.
*Analysis, Occurrence, and Potential Sensory Significance of Five Polyfunctional Mercaptans in White Wines de Laura Mateo Vivaracho, Julian Zapata, Juan Cacho et Vicente Ferreira - J. Agric. Food Chem., 2010, 58 (18), pp. 10184-10194.
En quête d'arômes
Étonnamment, à Bordeaux aussi des études portent sur le chardonnay. L'ISVV, soutenue par Biolaffort et Seguin Moreau, a ainsi montré que le furfurylthiol et le benzène-méthanéthiol confèrent des notes empyreumatiques, notamment de « pierre à fusil », aux grands vins de Bourgogne. Un autre thiol, le 2-méthyl-3-furanthiol, semble, lui, associé aux nuances de fruits à coque. Les chercheurs se penchent désormais sur les arômes de noisette. « Les premiers résultats sont très prometteurs, avec de nouveaux marqueurs en vue », indique Axel Marchal, à la tête de ces travaux. L'identification de ces marqueurs permettra d'étudier les pratiques oenologiques qui les favorisent.
Du bon chardonnay bourguignon
L'IFV de Beaune a défini un itinéraire technique pour obtenir de bons chardonnays bourguignons. Surprise : mieux vaut opter pour des vendanges à la machine. La macération pelliculaire qu'elles provoquent peut apporter des arômes fruités intéressants, mais également de la lourdeur. Elle convient aux raisins sains et assez acides. Le mieux est ensuite d'utiliser un pressoir pneumatique. On peut réduire, voire éliminer le sulfitage en sortie de pressurage, sous conditions d'une hygiène stricte et d'une vendange saine. Le débourbage sera de préférence enzymatique, le moût étant maintenu une journée à 18 °C. Il faut chercher une turbidité proche de 100 NTU. Le recours aux LSA est indispensable si le moût n'est pas sulfité.
Si l'on souhaite du boisé, l'emploi de minidouelles, à hauteur de 4 g/l, en cuve Inox, donne des profils intéressants, même si la barrique reste la référence. Pour s'assurer d'une FML rapide, mieux vaut ensemencer avec des bactéries lactiques à la mi-FA. Côté température, il convient de maintenir la cuve à 19 °C jusqu'à 60 % de la FA, puis de progressivement monter jusqu'à 23 °C en fin de FA.
Les vins qui contiennent un peu de sucres résiduels (de 3 à 4 g/l), perçus plus ronds, sont très appréciés. Dans l'idéal, le pH doit être compris entre 3,3 et 3,4 et l'acidité totale entre 3,5 et 3,8 g/l de H2SO4. Lorsque l'acidité diminue, les vins développent moins de notes citronnées et végétales et plus d'arômes de pêche, poire et fruits exotiques. Inutile de soutirer après la FA si la FML démarre vite. En revanche, il faut le faire lorsque les bactéries ont transformé tout l'acide malique et rajouter 30 mg/l de SO2. La cuve doit être maintenue entre 14 et 16 °C pendant l'élevage. Avant l'embouteillage, il est préconisé d'ajuster le SO2 total à 60 mg/l, de filtrer à 1 µm, d'éviter les contacts avec l'air et d'utiliser un bouchon peu perméable.