JÉRÔME ET VINCENT ROUX installent, dès la véraison, des clôtures électriques pour protéger 25 ha de vignes contre les sangliers capables de provoquer de lourds dégâts. PHOTO : B. BAL
AVANT LES VENDANGES, Vincent, au premier plan, reloge des vins AOC Grignan 2015 tandis que Jérôme installe les grilles d'égouttage dans les trois cuves pyramidales en béton de 55 hl. PHOTO : B. BAL
« Le choix était très simple : soit on arrachait les vignes, ce qui aurait été un crève-coeur, soit on se prenait par la main et on vinifiait nous-mêmes nos vins pour les vendre en direct. » En 2006, les cousins Jérôme et Vincent Roux, coopérateurs à La Roche-Saint-Secret, dans la Drôme provençale, choisissent la seconde option et créent le domaine du Serre des Vignes. Avec bonheur.
En dix ans, ils ont bâti leur chai, leur réseau commercial et leur caveau de vente et multiplié par quatre leur chiffre d'affaires viticole pour atteindre 500 000 € en 2015. Aujourd'hui, le domaine compte 40,5 ha de vignes dont 35 en AOC Grignan-les-Adhémar, et toujours 10 ha d'abricots et 35 ha de lavandin. Les vignerons conditionnent toute leur récolte et commercialisent 80 000 bouteilles et 15 000 Bib. « C'est très valorisant d'élaborer et de vendre son propre vin, confient-ils. Mais ce dont nous sommes le plus fiers, c'est d'avoir créé trois emplois permanents car l'emploi, c'est du développement local et la survie des communes. » Pourtant, tout n'a pas été simple.
« En 1973, la création de l'AOC Coteaux du Tricastin stimule la viticulture dans notre coin, racontent-ils. En vingt ans, nos pères, Daniel et Jean-Louis, ont planté 25 ha. » À l'époque, ils livraient leur production à la coop Cellier des Templiers, à Richerenches (Vaucluse). Jérôme les rejoint en 1994, Vincent en 1999. Tous deux sont titulaires d'un BTS de comptabilité et gestion. Les vignes atteignent alors 36 ha.
Mais en 2002, leur exploitation est frappée de plein fouet par la crise de surproduction qui sévit dans la vallée du Rhône. « En 2003, on ne touchait même pas 2 000 €/ha », se souviennent-ils. Que faire ? Arracher ou vendre en direct ?
Prudents, ils réalisent un galop d'essai. De 2004 à 2006, ils vinifient entre 200 et 400 hl et les vendent eux-mêmes. Le test est des plus concluants : ils gagnent trois fois plus. Convaincus, ils quittent la coopérative et investissent 300 000 € pour édifier et équiper un chai de 300 m2. « On a économisé en construisant le bâtiment nous-mêmes pour pouvoir acheter un groupe de froid et des cuves neuves : 1 000 hl de cuves en fibre de verre et 1 610 hl de cuves en béton. Nous tenions à démarrer avec du bon matériel », relatent-ils. Depuis, ils ont ajouté 400 hl de cuves en Inox, 40 barriques, 3 cuves pyramidales en béton, une cuve tronconique en bois et un pressoir Diemme de 50 hl.
Dans un premier temps, ils élaborent trois rouges et un rosé. Leur objectif est de vendre la majeure partie au négoce. « Mais compte tenu des cours bas, nous avons dû changer notre fusil d'épaule : Jérôme a pris sa valise et il est parti prospecter », raconte Vincent.
En 2008, ils se rendent à Toulouse à leur premier salon pour les particuliers, Vins et Terroirs. C'est un fiasco. Malgré la forte fréquentation, ils ne rentabilisent pas leur dépense qui s'élève à 2 500 €. Ils avaient eu le même échec du côté des professionnels à Vinisud, quelques mois plus tôt. « On avait bien préparé le salon, commente Jérôme. Nous en sommes repartis confiants car nous avions noué de nombreux contacts sur place, mais aucun n'a abouti. » De même, ils abandonnent vite le secteur de la restauration car il y a « trop d'impayés ».
Parallèlement, ils décident de se convertir au bio, poussés à la fois par leur oenologue et par le niveau élevé des cours des vins bio (200 €/hl de côtes-du-rhône rouge). Ils obtiennent la certification en 2011. C'est là que l'appellation Coteaux du Tricastin devient Grignan-les-Adhémar. Ces deux facteurs conjugués stimulent les ventes.
En 2010, alors qu'ils sont encore en conversion, ils participent pour la première fois au salon Millésime Bio, à Montpellier. C'est un franc succès. « J'y ai rencontré la plupart de ceux qui sont encore mes clients cavistes, raconte Jérôme. Le fait de vendre nous-mêmes, sans l'intermédiaire d'un agent commercial ou d'un VRP, est très apprécié. »
Aujourd'hui, les deux cousins réalisent 54 % de leur chiffre d'affaires auprès des cavistes, la plupart dans leur région. « Ce créneau nous donne une image qualitative. Nous travaillons avec de vrais partenaires qui nous mettent en avant. Si bien que les particuliers qui découvrent nos bouteilles dans leurs magasins viennent ensuite au caveau », poursuit Jérôme. Pour autant, son cousin et lui restent fidèles à leur clientèle historique : par exemple, « un de nos tout premiers clients a été le magasin Auchan de Valence. Nous continuons à le livrer et nous n'avons pas de caviste à Valence pour ne pas jouer sur tous les tableaux ».
Pour limiter les frais de salons, ils ont choisi la proximité en participant à une dizaine de foires dans la Drôme et la région Rhône-Alpes, ainsi qu'au salon professionnel Découvertes en Vallée du Rhône. À l'avenir, « c'est davantage l'export qui va nous porter, estime Jérôme. Certains importateurs - américains, belges, hollandais - sont venus à nous grâce à Découvertes en Vallée du Rhône. »
Si le bio est un succès commercial, sur le plan technique la conversion a été difficile. « Nous avons eu une surcharge de travail, commente Vincent. Avec le lavandin et l'abricot, nous connaissions déjà une période de travail très intense du 25 juin à la fin juillet. Avec le bio, elle s'est aggravée car les années où il fait humide en juillet, il faut effeuiller davantage la vigne. Avant l'arrivée de notre deuxième saisonnier, on ne parvenait plus à faire face. »
En 2008 et 2013, « à cause des fortes pressions de mildiou et de la coulure du grenache, nous avons perdu la moitié de la récolte. Le bio, ça s'apprend. Désormais, nous traitons avant les pluies, quitte à repasser après si cela est nécessaire. Auparavant, on attendait qu'il pleuve pour intervenir. Comme nous avons deux pulvérisateurs traînés pneumatiques (Calvet et Berthoud), à partir du troisième passage, on traite tous les deux rangs pour faire du face-par-face. » Et ça marche ! Ce printemps, ils ont si bien contenu la très forte pression de mildiou que mi-septembre la récolte était tout à fait saine.
Comme les ventes se portent bien, ils continuent d'agrandir leur vignoble pour passer à 42 ha de vigne à l'horizon 2020. Ils poursuivent aussi leur plan de restructuration qui prévoit le renouvellement de 12 ha à 4 400 pieds/ha. Ils plantent en racines longues « car il y a une meilleure reprise » et à la machine « car les plants sont ainsi parfaitement alignés, ce qui facilite le travail du sol en bio ».
Depuis leur arrivée, ils ont étoffé leur gamme de deux blancs et deux rouges. « Notre terroir se prête très bien aux blancs car il est frais, expliquent-ils. La cave est située à 380 m d'altitude au pied de la montagne de la Lance. » Le premier rouge est un assemblage de syrah et de viognier vendangé à la main, vinifié en cuves de bois tronconiques et élevé en fûts. Cette cuvée, nommée Sarrazine, est vendue 12,50 € le col. Le deuxième rouge est un essai : en 2015, la vendange était tellement belle qu'ils ont tenté, avec succès, une cuvée sans sulfites ajoutés appelée Pure Quintessence (10 €). Reste à savoir s'ils vont renouveler l'expérience.
Pour améliorer l'accueil des particuliers, en 2014-2015, ils ont investi 280 000 € dans la construction d'un bâtiment de 300 m2 qui abrite leur nouveau caveau de vente, plus vaste que l'ancien. « Nous avons beaucoup de passage. La Drôme provençale est très touristique », commentent-ils. Leur magasin est ouvert 7 jours sur 7 du 1er avril au 30 septembre, et 6 jours sur 7 le reste de l'année.
En 2016, ils ont inauguré deux circuits pédestres entre vignes, forêt, abricotiers et lavandin amenant les promeneurs jusqu'à un superbe point de vue sur le domaine, le village et les alentours. « Nous avons fait appel à un professionnel pour réaliser les cartes, la signalisation et la table d'orientation en français et en anglais, commente Jérôme. Les retours sont excellents et nous encouragent à développer l'oenotourisme. Nous le ferons sans doute en partenariat avec un restaurateur car les accords mets et vins sont un sujet très demandé par les visiteurs. »
À 40 et 44 ans, Vincent et Jérôme Roux voient l'avenir avec confiance mais avec « un souci émergent » tout de même : ils commencent à manquer de vin ! Pourtant, ils augmentent leurs tarifs de 3 à 5 % tous les ans. Leur premier prix est ainsi passé de 4 à 6 €/col et leur haut de gamme de 7 à 12,50 €. Que de chemin parcouru en dix ans !
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Le changement de nom de l'appellation et le passage en bio : ce sont les principaux moteurs de leur succès.
Le site internet créé dès 2007 à titre gracieux par des proches informaticiens est une très belle carte de visite qui leur permet d'être visibles.
Ils ont réussi à développer un réseau de cavistes à l'échelon local et régional.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS
Ils ont démarré la restructuration trop tardivement. « Nous avons commencé en 2012. Nous aurions dû le faire en 2008, mais nous n'avons pas pu », expliquent-ils.
En 2009, ils font réaliser de nouvelles étiquettes par des amateurs. À l'écran, elles paraissent belles. À l'impression, c'est une catastrophe. Depuis, ils font confiance à un graphiste professionnel qui leur a conçu des étiquettes classiques avec une touche de modernité.
Les salons Vinisud, à Montpellier, et Vins et Terroirs, à Toulouse : ils n'ont jamais été rentables pour eux.
EXIT LA RÉFÉRENCE ATOMIQUE Un changement de nom salutaire pour l'appellation
- En 2010, l'AOC Coteaux du Tricastin devient Grignan-les-Adhémar. « Ça nous a changé la vie, rapportent les deux cousins. Quel bonheur de parler de nos vins sans être immédiatement ramenés aux dangers du nucléaire ! Maintenant, notre image est associée au château de Grignan où résidait la marquise de Sévigné. Cela change la donne. On voit arriver des professionnels qui cherchent le bon rapport qualité/prix de nos vins. »
- Ce changement de nom est une victoire pour l'ODG. Dès les années quatre-vingt, l'ex-appellation Coteaux du Tricastin est systématiquement associée à la centrale nucléaire du même nom. En 2008, la centrale connaît une série d'incidents dont les médias font un large écho. Les vignerons sont touchés de plein fouet. Pour eux, la coupe est pleine. Ils demandent et obtiennent le nouveau nom de Grignan-les-Adhémar, composé de Grignan, le village situé au coeur de l'appellation, et d'Adhémar, famille qui a marqué l'histoire locale.