Viticulteurs et pépiniéristes cherchent une alternative à la greffe oméga pour obtenir des plants plus résistants aux maladies du bois. Certains ont ainsi fondé beaucoup d'espoirs dans la greffe en fente. Mais cette piste semble décevante comme le montrent des résultats récents. Le greffage en place paraît plus prometteur (voir encadré).
Deux autres pistes sont lancées avec la greffe mortaise et la F2. Toutes deux suscitent beaucoup d'intérêt car, en théorie, la qualité de leur soudure serait supérieure à celle de la greffe oméga. Le point sur leur développement.
VCR
Le retour de la mortaise
Le pépiniériste italien VCR a remis au goût du jour la greffe en mortaise. Apparue dans les années 1920 dans le Frioul, elle avait disparu au profit de la greffe oméga, plus facile à mécaniser. Mais VCR l'a automatisée en mettant au point la Celerina Plus. Avec cette machine, un ouvrier réalise entre 7 000 et 8 000 greffes en mortaise par jour, contre 6 000 à 7 000 en oméga et 2 500 à 3 000 anglaises. « Il n'y a pas de différence de prix entre les greffes oméga et les mortaises », annonce Loïc Breton, le directeur de VCR France. Or, la greffe en mortaise permet de doubler la surface de contact entre le greffon et le porte-greffe. Les taux de réussite en pépinière sont donc bien meilleurs. « Nos adhérents en Italie visent un taux de 80 à 90 % de réussite, soutient Loïc Breton, tout en laissant entendre que les plants bénéficient aussi d'une plus grande longévité au vignoble.
Cette année, VCR a greffé 30 à 35 millions de plants en mortaise, soit 30 % de sa production totale de 114 millions de plants. En France, le pépiniériste italien en commercialise 1 à 1,5 million. « La demande s'accroît », observe Loïc Breton.
Jean-Roch Mazard, du château Festiano, à Tourouzelle, dans l'Aude, l'a adoptée. « Il y a deux ans, j'ai eu des problèmes de reprise avec des colombards greffés en fente. Environ 15 % des pieds sont morts. Avec la greffe en fente, la sève a plus de mal à monter dans le greffon. L'an passé, j'ai planté 4 ha de grenache gris greffés sur SO4 greffé en mortaise. J'ai réalisé la plantation à la machine avec des plants en racines longues. Il y a eu une bonne reprise. Aujourd'hui, cette plantation est très belle. L'an prochain, je replanterai du marselan en mortaise. »
Grâce à un accord commercial avec VCR, les pépinières viticoles Gibault, à Juignié-sur-Loire (Maine-et-Loire), proposent la greffe en mortaise à leurs clients. « Elle présente de nombreux avantages. Mais, pour le moment, on en commercialise peu, car nous voulons avoir un retour des premières plantations. Nous présentons nos différentes greffes aux viticulteurs. Mais on ne les oriente pas vers l'une ou l'autre, on manque de recul », explique Grégory Gibault.
Hébinger
L'étoile à quatre branches
Il y a trois ans, Christophe Hébinger, des pépinières du même nom, en Alsace, a inventé la greffe F2. Il s'agit de découper une première fente dans le bois, ou plus exactement un V, puis un second à angle droit du premier. On obtient ainsi un bois en forme d'étoile à quatre branches que l'on emboîte dans un greffon préparé de la même manière. L'avantage ? Là encore, une surface de contact entre le greffon et le porte-greffe plus importante qu'avec la greffe oméga. Comme toutes les coupes se font dans le sens des vaisseaux du bois, la qualité de la soudure est meilleure. Autre avantage : le greffon est juste posé sur le porte-greffe. Le moindre défaut de soudure se voit donc immédiatement. Le tri s'en trouve facilité.
« Aujourd'hui, j'ai les moyens de lancer une production. J'ai développé une machine qui permet de réaliser 200 à 300 greffes à l'heure. C'est du même niveau que la greffe anglaise. Si l'intérêt se confirme, j'investirais dans une deuxième machine qui assemblera automatiquement greffon et porte-greffe. »
Selon le pépiniériste, de nombreux viticulteurs veulent tester cette nouvelle greffe. « J'ai déjà des commandes et une liste d'attente », indique-t-il. Mais il reste discret sur les quantités demandées. Depuis 2014, il a commercialisé plusieurs centaines de plants. En 2017, il devrait en vendre quelques milliers.
Ces plants sont vendus avec un surcoût de 0,38 € pièce « car la production horaire est encore faible. Mais ce surcoût diminuera progressivement avec la mécanisation », explique Christophe Hébinger.
Les premiers retours sont positifs. Yves Dietrich, viticulteur à Scherwiller sur 18 ha, a planté 200 pieds en 2014 : du riesling greffé sur gravesac. « J'ai mis une rangée de F2 et une d'oméga », explique-t-il. Il a opté pour cette nouvelle greffe car il « aime tester de nouvelles choses », mais aussi pour trouver une alternative à la greffe oméga. Pour l'instant, l'essai semble concluant. « À ce jour, les plants F2 ont très bien poussé mais la vraie différence, si elle existe, ne se verra que dans dix ans », rapporte le viticulteur qui compte renouveler l'expérience.
Moins d'esca avec le greffage en place
En 2013 et 2014, Worldwide Vineyards et Vitinnov ont observé 50 parcelles, les unes plantées de mourvèdre, en Provence, et les autres de cabernet-sauvignon, à Bordeaux.
Ces plants avaient été obtenus soit par greffage en place, soit par greffe anglaise ou par greffe oméga en pépinière.
Les résultats sont sans appel. Dans les parcelles greffées en place, les symptômes d'esca sont peu ou pas présents (moins de 1 % en moyenne). Les autres sont beaucoup plus atteintes (6 à 11 %). Et l'expression des symptômes y est équivalente sur les greffes oméga et les greffes anglaises. « La greffe anglaise ne serait pas la solution pour réduire l'impact de l'esca », analyse Coralie Laveau, de Vitinnov. Les comparaisons ont été faites à chaque fois dans des parcelles appartenant aux mêmes producteurs.
Les parcelles greffées sur place en fente et celles greffées à l'anglaise sont d'âge comparable. Mais celles greffées en oméga sont plus récentes. « C'est le principal biais de notre étude », reconnaît Coralie Laveau.