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VIGNE

Eudémis Bordeaux sous pression

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°290 - octobre 2016 - page 32

Dans le Bordelais, l'eudémis a frappé de plein fouet le vignoble. Les viticulteurs ont dû traiter davantage et, dans certains secteurs, anticiper la récolte.
POURRITURE ET PERFORATIONS provoquées par le ver de la grappe sur du merlot, au château Mazeyres, en Gironde, en septembre 2016. P. ROY

POURRITURE ET PERFORATIONS provoquées par le ver de la grappe sur du merlot, au château Mazeyres, en Gironde, en septembre 2016. P. ROY

Décidément, 2016 n'aura pas été facile. Dans le Bordelais, outre le mildiou, un autre parasite a donné du fil à retordre aux viticulteurs : l'eudémis. Ce ravageur s'est développé d'une façon exceptionnelle cette année. Pour comprendre le phénomène, il faut remonter à l'an passé.

Une première poussée en 2015

En 2015, l'eudémis qui affectionne les conditions chaudes et sèches (20 à 35 °C) avec une certaine hygrométrie (40 à 70 %) était déjà monté en puissance. « À la veille des vendanges, sur des parcelles du domaine de la Grande Ferrade, à Villenave-d'Ornon (Gironde), nous avions observé plus d'une larve par grappe, ce qui est élevé », explique Lionel Delbac, entomologiste à l'Inra de Bordeaux. Puis l'hiver a été clément. L'eudémis passe cette période sous forme de chrysalides sous l'écorce des ceps. Or, celles-ci se sont très bien conservées. « Elles ont été peu parasitées et peu attaquées par des champignons entomopathogènes. La régulation naturelle a été faible. On est donc parti avec un fort potentiel début 2016. »

Cette année, la première génération (G1) s'est tranquillement installée. « Le premier vol a été supérieur à la moyenne. Puis, sur l'ensemble de nos placettes d'observation, on a compté près de deux fois plus de symptômes que la moyenne de 2008 à 2015 : 19 glomérules pour 100 grappes contre 11 », rapporte Antoine Verpy, du Gdon du Libournais. Stéphane Giry-Laterrière, d'Inovitis, un distributeur de la région, signale des attaques bien supérieures : « Jusqu'à 300 glomérules pour 100 grappes, voire plus. »

2016 : une envolée en G2 et G3

Puis la pression est montée crescendo en G2 et G3 avec un étalement des vols et des pontes. Les zones les plus touchées ? Une grande partie de la rive droite de la Gironde et de la Dordogne (Blayais, Libournais, Côtes de Castillon...) et le Médoc. « Les secteurs les plus atteints sont les historiques mais également ceux situés aux abords des fleuves et des cours d'eau où l'hygrométrie est plus élevée », détaille Éric Capredon, de l'équipe technique Vigne chez Euralis Distribution.

« En G3, dans les cas extrêmes, on a observé jusqu'à 26 oeufs sur une même grappe. Heureusement, beaucoup ont avorté. Mais, au final, on s'est malgré tout retrouvé avec 11 foyers sur une grappe. Je n'ai jamais vu ça », explique Étienne Laveau, de la chambre d'agriculture de Gironde.

Jusqu'à quatre traitements

Les viticulteurs ont donc dû traiter plus. « En conventionnel, on a conseillé en moyenne trois traitements : un ovicide de longue rémanence en G2 (Luzindo ou Steward), un autre tôt en G3 (Steward ou Affirm), puis un Success 4 ou un Bt (Bacillus thuringiensis) à l'approche des vendanges. D'habitude, on préconise seulement un traitement en G2, éventuellement suivi d'un autre en G3 », indique Stéphane Giry-Laterrière.

Éric Capredon le confirme : « Tous les viticulteurs ont fait au moins deux passages : un en G2 et un autre en G3. La plupart en ont fait trois : deux en G2 et un en G3. Certains en ont fait jusqu'à quatre : deux en G2 et deux en G3. »

Même chose en bio. « La plupart des viticulteurs ont pratiqué trois traitements et jusqu'à cinq dans des cas extrêmes », explique Étienne Laveau. Et d'ajouter : « C'est la première année que les viticulteurs ont dû appliquer autant d'insecticides sur une surface aussi étendue. » La confusion sexuelle a aussi montré ses limites. Et des traitements complémentaires ont été nécessaires dans certains cas.

Comme il fallait s'y attendre, ces attaques tardives ont ouvert par endroits la voie au botrytis et à d'autres moisissures. Dès le 21 septembre, des foyers commençaient à se développer. Une situation qui inquiète Marie-Laurence Porte, oenologue au centre Enosens Cadillac. « Dans les Graves et un peu en Pessac, le botrytis explose dans quelques sites. Dans neuf cas sur dix, il s'agit de parcelles attaquées par l'eudémis, soit parce que les viticulteurs n'ont pas traité fin août, soit parce que leur traitement a été mal positionné. Ces situations restent marginales. Mais les viticulteurs doivent rester vigilants. »

Marie-Laurence Porte a conseillé à ses clients de ramasser leurs merlots dont l'état sanitaire se dégradait, alors même que les raisins étaient encore en légère sous maturité. « On arrivera à gérer la situation en cave », a-t-elle assuré. Mais elle craint pour l'évolution de certains cabernets-sauvignons déjà bien atteints par la pourriture grise et encore loin d'être en pleine maturité.

Trichogramme : un allié dont l'efficacité se confirme

Des résultats prometteurs ! Inovitis et le Gdon du Libournais ont testé l'efficacité des trichogrammes contre la G3 de l'eudémis. L'essai a été mis en place sur une parcelle de merlot non traitée contre la flavescence dorée, à Lalande-de-Pomerol. L'ensemble de la parcelle a été protégé en G2 avec Steward, un ovicide. En G3, la parcelle a été scindée en trois parties. La première, témoin, n'a reçu aucun traitement. La deuxième a reçu de l'Affirm le 22 août, un ovolarvicide. Dans la troisième, les expérimentateurs ont effectué trois lâchers de trichogrammes, les 3 et 17 août et le 1er septembre, pour couvrir l'ensemble du vol de l'eudémis. Ces petites guêpes pondent leurs oeufs dans ceux des tordeuses. Les résultats sont prometteurs. « Les 23 et 26 septembre, dans le témoin non traité, on a dénombré 162 perforations de baies et 15 larves pour 100 grappes. Dans la partie traitée chimiquement, on a compté 12 perforations et 1 larve pour 100 grappes et dans celle couverte par les trichogrammes, 18 perforations et 2 larves pour 100 grappes », rapporte Stéphane Giry-Laterrière, d'Inovitis.

Le Point de vue de

JEAN-MICHEL BERNARD, CHEF DE CULTURE AU CHÂTEAU MAZEYRES, À LIBOURNE (GIRONDE), 25,5 HA EN BIO

« Je n'avais jamais vu de telles populations »

 P. ROY

P. ROY

« Cette année, la pression d'eudémis a été exceptionnelle. 18 ha de notre vignoble sont couverts par la confusion sexuelle. En G1, les niveaux de populations étaient habituels. Mais en G2 et G3, ils étaient très importants. Les vignes aux abords du château (11 ha) sont particulièrement sensibles. Dans la parcelle la plus touchée, on a ainsi observé le 8 septembre un peu plus de deux oeufs par grappe en moyenne, et ce malgré la confusion sexuelle ! Je n'avais jamais vu ça alors que je travaille dans les vignes depuis 1991. Heureusement, le reste du vignoble est moins attaqué. Face à de telles pressions, la confusion sexuelle ne suffit pas. C'est pourquoi nous suivons de près les vols de papillons avec des pièges sexuels à phéromones et des pièges alimentaires. Quand on a vu qu'en G3, le vol démarrait avec une forte intensité, on a effectué deux passages de Success 4 sur l'ensemble de la propriété, le 19 août, puis le 2 septembre. Le traitement a été efficace car le 19 septembre, sur la parcelle la plus touchée, avec deux oeufs par grappe, il n'y avait que trois foyers pour 25 grappes avec des chenilles allant de 4,5 à 11 mm (stades L3 à L5). Mais il y avait aussi trois foyers de botrytis pour 25 grappes avec une à trois baies atteintes par grappe. Dès lors, j'ai prévenu mes équipes pour qu'elles se tiennent prêtes à démarrer la récolte.

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