« Vous allez voir, la méthode est assez carrée, mais elle est simple. » Par ces mots, Sébastien Durand-Viel veut rassurer son auditoire. « Nous allons travailler pour que vous puissiez juger de la qualité d'un vin indépendamment de vos goûts personnels. Et surtout, décrire ce vin à quelqu'un d'autre. »
Ce 12 septembre, l'Académie du vin, à Paris, accueille une douzaine de candidats au niveau 2 du diplôme WSET (The Wine & Spirit Education Trust). Elle les prépare à cet examen en alternant apprentissage théorique et travaux pratiques de dégustation. Au programme : accords entre les mets et les vins, notions de viticulture et de vinification et, surtout, approche des cépages et de leurs particularités. Ce dernier point passe par une dégustation très encadrée qui a attiré notre attention.
« Nous allons découper la dégustation en tranches pour glaner des informations sur le vin, puis les cumuler pour arriver à une conclusion. Le but est de donner un jugement le plus objectif possible. »
Une approche systématique
Pour y parvenir, les dégustateurs ont devant eux une grille qui porte bien son nom : « Approche systématique de la dégustation ».
Chaque étape est répertoriée de manière à ne rien oublier. Cette fiche rappelle que la première approche d'un vin porte sur son apparence. Elle invite les dégustateurs à décrire sa limpidité, son intensité et sa couleur en choisissant les bons termes au sein d'une liste. Ainsi, pour un rosé, ils doivent préciser s'il est de couleur rose, saumon ou orangé.
Au dos de la fiche, arômes et saveurs sont classés en trois grandes familles : floral/fruité, épicé/végétal et chêne/autres. Chacune de ces familles est elle-même découpée en sous-groupes. La fiche rappelle ainsi que parmi les arômes floraux et fruités, on trouve les notes d'agrumes.
Un vocabulaire commun
« L'idée est d'avoir un vocabulaire commun et adapté, précise le formateur. Pour décrire un vin à quelqu'un qui ne l'a pas goûté, on ne va pas lui dire que ça sent la grange à foin du grand-père. Il faut que les arômes représentent quelque chose pour lui, qu'il s'y retrouve. »
C'est l'heure de passer à la pratique. « C'est un muscadet, donc le cépage est le melon de Bourgogne. Gardez en mémoire ses caractéristiques car nous allons goûter plusieurs cépages, vous allez devoir les comparer. » Au pupitre, Sébastien Durand-Viel montre l'exemple, prend des notes et donne le cadre de la dégustation. « Nous allons procéder par élimination. » Avec la fiche sous les yeux, rien de plus simple. « Au nez, est-ce qu'on perçoit des notes de fruits rouges ? » Non, répond unanimement la salle d'un ton amusé. « Non, bien sûr !, confirme le formateur. Mais pouvez-vous déterminer la famille d'arômes que l'on trouve dans ce vin ? Moi, je sens des agrumes. »
Après le nez, la bouche. Le formateur incite ses élèves à faire circuler le vin, à le « mâcher » puis à le cracher, tout en se concentrant sur leurs sensations. Et là encore, il les encadre précisément. Il leur demande de s'intéresser d'abord à la douceur du vin (sec ou doux), puis à son acidité, à ses tanins, son corps, ses arômes et, enfin, à sa longueur. En procédant ainsi, la conclusion tombe : c'est un vin sans défaut, de bonne qualité. « C'est un digne représentant du cépage : peu aromatique avec des notes d'agrumes et de fleurs blanches, d'acidité moyenne à forte et avec peu de corps. »
L'exercice sera répété de nombreuses fois, sur des cépages exotiques - comme le moschofilero - ou plus communs, et souvent à l'aveugle. Au fur et à mesure, les élèves prennent la parole, jugent les vins et finissent par estimer leur prix. Lors de l'examen, ils devront être capables de lister les caractéristiques de différents cépages et de répondre à des questions sur la culture de la vigne et la vinification.
Une formation à but commercial
« C'est un exercice qui peut bénéficier à tous, assure Olivier Borneuf, fondateur, avec quatre associés dont Sébastien Durand-Viel, de l'Académie du vin. Le WSET est une formation à vocation commerciale qui permet de comprendre les vins et d'en parler de manière structurée. De plus en plus de vignerons s'y intéressent. » Cette formation est aussi très tournée vers les vins du monde, procurant ainsi aux élèves une vision de la diversité de l'offre mondiale. Deux aspects qui ont intéressé le Syndicat général des vignerons de Champagne (lire ci-dessus).
Élargir son horizon
La méthode semble standardiser la dégustation. Certains y verront un défaut. D'autres apprécient ce cadre rigoureux, comme Thomas de La Garde, directeur général des vins des Vignobles de Berne, 300 ha en Provence, qui réalise 25 % de son activité à l'export. Toute son équipe commerciale a suivi la formation : « Cela permet d'acquérir un discours international, d'enrichir son horizon et de se remettre en question vis-à-vis de la viticulture française. »
« Notre approche reste malgré tout subjective, concède Sébastien Durand-Viel. L'important est de percevoir les qualités et les défauts d'un vin, même quand on n'y est pas sensible. » À la fin, on peut juger du prix d'un vin, en ayant conscience des contraintes climatiques, géographiques et de vinification qui ont pesé sur son élaboration.
Un diplôme tourné vers l'international
Le « Wine and Spirit Education Trust » ou WSET est un diplôme international d'origine britannique. Il englobe la connaissance des vins du monde entier et forme à la dégustation. Il est organisé en trois niveaux. Si le premier survole la dégustation et est axé sur le service du vin, le niveau 2 se focalise sur les différents cépages, la possibilité d'évaluer un vin et son prix. Le niveau 3 est plus corsé, tourné vers l'international et sanctionné par un examen qui compte un exercice de dégustation. « Pour un candidat qui a suivi les trois cycles, cela représente une dégustation de 200 vins », indique Olivier Borneuf, de l'Académie du vin. Les vins sont choisis par l'organisme de formation sur la recommandation du WSET. Ils sont représentatifs de la région et du cépage qu'ils incarnent pour servir de référence. L'Académie du vin propose les trois niveaux, de 220 à 1 050 euros TTC par personne, éligibles aux aides dans le cadre d'un plan de formation pour les salariés ou les demandeurs d'emploi.
DEBRIEFING
- Pour guider des dégustateurs, avancez pas à pas, en suivant toujours la même trame : invitez-les à découvrir l'apparence de vos vins, puis le nez et le palais.
- Pour les aider à exprimer leurs sensations, suggérez-leur de procéder par élimination. Posez-leur des questions auxquelles ils peuvent répondre. « Ce vin est-il terne ? De couleur plutôt rose ou orangée ? Plutôt fruité ou floral ? »
- Mieux encore, utilisez une fiche qui liste les principaux arômes, même ceux qui ne se trouvent pas dans vos vins. Restez basiques : « C'est fruité, mais fruit rouge ou fruit blanc ? », avant d'affiner selon l'auditoire.
- Enfin « faites parler les arômes » : des fruits mûrs indiquent une maturation sous le soleil, des notes boisées renseignent sur l'élevage.
- C'est le moment d'évoquer votre travail. Et n'oubliez pas de conclure la dégustation en demandant l'avis de vos clients !
Le Point de vue de
HERVÉ BRISSON, VIGNERON DANS LA MARNE, CHAMPAGNE HERVÉ BRISSON, 3 HA
« Une trame pour mener une dégustation professionnelle »
« Le SGV de Champagne m'a proposé de suivre cette formation. J'ai beau être habitué à déguster, j'ai trouvé l'approche du WSET intéressante : la grille de dégustation proposée est une bonne trame pour mener une dégustation technique et professionnelle, avec des critères très objectifs. Ce qui m'a aidé, c'est la règle de goûter un vin sans voir la bouteille, puis de remplir la fiche de dégustation et, ensuite, avoir les caractéristiques du vin : son prix, la méthode de production, le terroir mais aussi le climat et son incidence. En regoûtant, on perçoit mieux tous ces éléments. La formation au WSET porte aussi sur les vins du monde. J'en ai acquis la connaissance grâce à la dégustation de produits représentatifs et choisis de manière objective. La concurrence internationale est rude, pour les champagnes comme pour les autres vins. Connaître ce qui se fait ailleurs, c'est très important : on comprend comment les vignerons travaillent et quels vins ils obtiennent. Cela m'a conforté dans l'idée que ma force vient du terroir, d'où je peux tirer un vin authentique. J'ai aussi appris comment les producteurs travaillent sous des climats chauds, et quelles conséquences cela avait sur le vin. Ce sont des choses que je garde en tête pour travailler ma vigne. À l'issue de la formation, j'ai passé le niveau 2 du WSET. J'aimerai faire régulièrement des mises à niveau pour conserver le bénéfice de ce que j'ai appris... »