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VENDRE - Observatoire des marchés

Crémant La bulle qui monte

ÉMILIE-ANNE JODIER - La vigne - n°290 - octobre 2016 - page 60

Le monde succombe au charme des bulles. Le crémant en profite, même s'il n'est pas encore aussi connu que le voudraient ses producteurs. Les huit régions productrices veulent toutes monter en gamme et progresser à l'export.
LES VENTES en grande distribution des crémants de Loire ont progressé de 15 % entre 2010 et 2015.  © C. WATIER

LES VENTES en grande distribution des crémants de Loire ont progressé de 15 % entre 2010 et 2015. © C. WATIER

Dans le monde des bulles, les crémants offrent un visage particulier. Ses huit appellations (Alsace, Bourgogne, Loire, Bordeaux, Limoux, Jura, Die et Savoie) sont toutes assujetties aux mêmes règles contraignantes de production, ce qui ne les empêche pas de jouer de leur diversité.

Présent dans toutes les régions

« La grande force des crémants, c'est d'être présents sur tout le territoire, soutient Olivier Sohler, directeur de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de crémant, qui regroupe toutes les appellations. Le crémant est porteur à condition de ne pas se limiter à copier un modèle, mais à le décliner selon les savoir-faire et les usages locaux. »

Démonstration avec le petit dernier, le crémant de Savoie, reconnu depuis fin 2015. L'appellation a été produite sur 43 ha cette année-là. « Nos assemblages comprennent au moins 60 % de nos deux cépages caractéristiques, la jacquère et l'altesse », explique Michel Bouche, du Syndicat régional des vins de Savoie. La quarantaine d'élaborateurs du vignoble se plie aux règles communes à tous les crémants (récolte manuelle, pas plus de 100 l de moût pour 150 kg de vendange) pour mettre en valeur la typicité de ses cépages.

« La Savoie a un énorme potentiel, observe malicieusement Olivier Sohler. Nous comptons sur ce vignoble pour faire entrer le crémant dans les habitudes des skieurs et des étrangers qui viennent profiter des pistes. Et pourquoi pas associer la communication du crémant à une consommation festive liée à la neige... » Le tout pour attirer une population plus jeune.

« La consommation évolue justement grâce aux jeunes, observe Franck Vichet, président de la Fédération des crémants et président de la société de viticulture du Jura jusqu'à mi-septembre (il a démissionné depuis). Les gens ouvrent plus facilement une bouteille de crémant aujourd'hui qu'il y a quelques années. C'est une boisson qui a gagné sur le créneau des apéritifs, avec un bon rapport qualité/prix. »

Une boisson qui a le vent en poupe

En 2015, 80 millions de bouteilles ont été commercialisées contre 75 millions en 2014. En grande distribution (GD) française, les ventes des principales appellations ont grimpé entre 2010 et 2015 : près de 9 % pour l'Alsace, 15 % pour la Loire et 11 % pour Bordeaux. À l'heure où le champagne a du mal à redresser la barre en France, ces hausses ont de quoi satisfaire les producteurs. Seul le crémant de Bourgogne est à la peine (-14 % pour la même période), affaibli par le manque de volume et peut-être son prix moyen supérieur à celui des concurrents (6,45 € le col constaté en GD en 2015).

« Pourtant la concurrence est très forte sur le marché français, avec les cavas et l'arrivée plus récente du prosecco, reconnaît Bernard Jacob, directeur général d'Ackerman, qui commercialise toute une gamme de crémants de Loire. Ces produits bénéficient d'un effet de mode et sont très présents en GD grâce à leur dynamisme et à leurs prix très compétitifs. »

Le crémant se positionne à des prix supérieurs, et entend continuer. En grande distribution par exemple, FranceAgriMer constate un prix moyen des effervescents étrangers (prosecco, cava, lambrusco...) à 4,85 € le col en 2015, loin des 6,40 € le col pour les crémants du Jura sur le même circuit de distribution. La gamme de la maison Ackerman, quant à elle, se situe entre 6 et 9,50 €/col en GD et se permet des prix plus élevés sur d'autres circuits. Olivier Sohler confirme : « Les cuvées à 16 explosent. Nous n'avons pas peur d'empiéter sur le marché d'un autre effervescent... »

S'agissant plus précisément de l'Alsace, qui produit et commercialise près de la moitié des volumes de crémant en France, les ambitions sont là. « Le crémant d'Alsace n'a pas forcément vocation à se développer encore beaucoup en volume. Notre souhait, c'est le positionnement dans le haut de gamme du marché mondial du vin effervescent », assure Olivier Sohler, directeur du syndicat des producteurs de crémant d'Alsace.

Sur les 35 millions de bouteilles de crémant d'Alsace vendues en 2015, plus de 7 millions sont destinés à l'export. Ce qui fait de ce vignoble le leader en termes de volume exporté. « La Belgique et l'Allemagne sont nos clients privilégiés et historiques [près de 65 % des volumes exportés]. Mais les États-Unis et le Canada sont en nette progression », indique-t-il.

Il observe qu'en 2015, les États-Unis sont devenus les plus grands importateurs de bulles au monde, devant l'Allemagne. Les crémants d'Alsace en profitent. Leurs exportations outre-Atlantique sont passées de 360 000 bouteilles en 2011 à 620 000 en 2015. « Ce marché est très porteur. Hélas, le mot "crémant" n'est pas encore entré dans le vocabulaire des Américains, analyse-t-il. Pour eux, c'est un complément de notre offre régionale : ils savent que le crémant d'Alsace vient de notre région. Mais ne connaissent pas nos règles de production. »

Pour le crémant de Loire, dont la moitié des bouteilles sont exportées, « l'Allemagne est un très gros marché historique qui s'est petit à petit développé sur le hard discount, relate Bernard Jacob. Les volumes sont conséquents mais ne nous permettent pas de créer énormément de valeur ». Le directeur général d'Ackerman note que des marchés plus restreints, mais plus rémunérateurs, comme les pays Scandinaves, émergent doucement. « Dans certains pays, les acheteurs ont bien saisi la spécificité des crémants », affirme-t-il.

Des vignobles cantonnés au marché français...

... À leur corps défendant. Le Jura, par exemple, n'est pas encore parvenu à faire monter la notoriété de son crémant à l'international. Mais, « de toute façon, nous aurions du mal à satisfaire un marché très demandeur, précise Franck Vichet. En année normale, nous produisons 25 000 hl. En 2015, nous sommes tombés à moins de 18 000 à cause d'une petite récolte. Si on les atteint cette année, on pourra s'estimer heureux ». En effet, la région a subi de sévères attaques de mildiou en juin, puis la sécheresse estivale.

Le manque de volume revient régulièrement dans les conversations. Face à une demande croissante, trop de cuves sont vides. « Certains négociants se voient obligés de refuser des marchés de 10 000 cols faute de disponibilités », témoigne Franck Vichet.

Olivier Sohler, très inquiet début septembre pour les vendanges alsaciennes, était rassuré deux semaines plus tard. « La sécheresse nous a donné un vrai coup de chaud ! Mais les conditions se sont améliorées et nous attendons le bilan des vendanges avec plus de sérénité. » Le vignoble aimerait ainsi atteindre 290 000 hl, ce qui constituerait un record et une chose de plus à fêter : l'appellation a en effet 40 ans en 2016.

Seule la région bordelaise affiche un bel enthousiasme. « Nous avons été pendant deux années consécutives l'appellation la plus dégustée pendant "Bordeaux fête le vin", observe Lionel Lateyron, président du Syndicat des élaborateurs de crémant de Bordeaux et vigneron à Montagne-Saint-Émilion. Notre production de crémant connaît une croissance régulière à deux chiffres. De 15 000 hl environ en 2013, nous sommes passés à 45 000 hl en 2015. C'est une courbe qui suit la demande. » Il espère pouvoir comptabiliser 60 000 hl cette année et partir à la conquête de nouveaux marchés, la consommation de crémant bordelais étant pour l'instant très locale.

Un marché porteur bien valorisé

« Dans nos huit régions, le crémant est un véritable moteur, et représente jusqu'à 25 et 28 % des vins produits », note Franck Vichet. Avec une belle valorisation, ces bulles apportent une bouffée d'air aux vignerons. La montée en gamme tant souhaitée par la fédération vise d'ailleurs surtout à leur assurer une meilleure rémunération.

Premiumisation en Bourgogne

L'objectif des crémants de monter en gamme se traduit en Bourgogne avec la création de deux nouveaux segments : Éminent et Grand Éminent, indiqués par une pastille collée sur les bouteilles ou imprimée sur l'étiquette. « Le but, c'est de montrer au consommateur pourquoi on peut trouver des crémants à 8 euros en grande distribution quand on peut voir sur les mêmes rayons des bulles étrangères à 4,80 euros en moyenne », explique Marjorie Brayer, de l'UPECB. Par exemple, quand le cahier des charges des crémants impose au moins 9 mois de vieillissement sur lattes, nous en demandons 24 minimum pour un Éminent et 36 pour un Grand Éminent. » Une initiative privée pour démontrer que la qualité a un prix, libre aux opérateurs bourguignons de se faire référencer selon la segmentation proposée. Reste à savoir si les consommateurs seront sensibles à cette « premiumisation » qui leur ajoute encore un nouveau critère de choix.

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