LES PAYSAGES DE LA VALLÉE DE SONOMA rappellent la Toscane. Cette parcelle de Balletto Vineyards est plantée de pinot noir. © A. KILKENNY/BALLETTO VINEYARDS
QUINZE MILLIONS DE BOUTEILLES sortent des énormes installations de vinification et d'embouteillage du domaine Coppola. Celui-ci procède à des achats massifs de raisins, ses 10 ha ne fournissant que 1 % de sa production. P. BOURGAULT
ANTHONY BECKMAN, vice-président et winemaker de Balletto Vineyards devant les barriques fabriquées en chêne français de son chai. P. BOURGAULT
SOUVENIRS DE TOURNAGE, restaurants, bars et magasins complètent la visite du domaine viticole de Francis Ford Coppola. P. BOURGAULT
Plus proche du Pacifique, donc moins aride que Napa, la vallée de Sonoma se compare volontiers à la Toscane - cyprès et oliviers à l'appui. À 120 km au nord de San Francisco, Francis Ford Coppola y a bâti un château sur lequel flotte le drapeau européen. Le réalisateur possède un domaine de 10 ha employant pas moins de 320 salariés : « Un Wine Wonderland, un parc de loisirs où manger, déguster des vins, écouter de la musique, jouer, danser, nager, voir des spectacles... », promet le site web des Coppola. Un Wonderland écolo qui offre le plein aux visiteurs venus en voiture électrique.
Malgré les multiples distractions, l'attraction principale demeure la visite du domaine, planté de cabernet-sauvignon, zinfandel et merlot cultivés en bio. Le guide montre aux visiteurs les caméras à infrarouges installées dans les parcelles pour repérer les vignes qu'il est temps d'irriguer, les rangées enherbées pour préserver les insectes, les nichoirs qui attirent les oiseaux prédateurs d'insectes et de rongeurs. « On a notre forage, notre station d'épuration, insiste-t-il. Rafles et peaux forment un compost que nous épandons sur nos parcelles au printemps. Et les rives du ruisseau ne sont pas cultivées afin de protéger l'environnement. » Les pancartes « Bee friendly » (bienvenue aux abeilles) font sourire.
La visite se poursuit par des coulisses inattendues : une gigantesque usine de vinification, puis un atelier d'embouteillage d'où sortent 200 cols à la minute de 58 vins différents « french style », soit 15 millions de bouteilles par an. En fait, Coppola procède à des achats massifs de raisins. Ses 10 ha fournissent moins de 1 % du volume vinifié. Le parcours continue avec les magasins, bars, restaurants et souvenirs de tournage.
Success stories mises en scène
Le Bourguignon Jean-Charles Boisset (prononcer : JiCiBi) et époux de Gina Gallo a compris l'importance de raconter une histoire bien mise en scène aux visiteurs. Il a acquis et aménagé la Buena Vista Winery, fondée par un autre immigré européen, le Hongrois Agoston Haraszthy en 1857, des lustres pour la Californie. Là, au sud de la vallée de Sonoma, à 70 km de San Francisco, 130 ha de pinot noir, chardonnay et cabernet-sauvignon sont cultivés en biodynamie et poussés au biocompost (fumier, poudre de roche volcanique, coquilles d'oeufs...).
Le domaine expédie 1,2 million de cols par an et achète du raisin (de 4 à 5 $/kg). Il utilise des barriques en chêne hongrois en hommage à son fondateur. Les bouteilles se vendent de 25 à 300 $. La production de vin a cessé en 1979 dans « the historic champagne cellar », désormais consacré à l'accueil des visiteurs avec « the historic wine tools museum », une collection de décanteurs, tire-bouchons, outils de vignerons rassemblée par JiCiBi. Dans ce cabinet baroque et coloré, les touristes tentent leur assemblage (100 $ la séance) et repartent avec leur vin tiré dans une bouteille étiquetée « blended by... » (assemblé par) à leur nom.
La revue Wine Business classe JiCiBi parmi les 25 personnalités du vin aux États-Unis. Il possède aussi le domaine DeLoach, de 7 ha seulement mais qui propose tout autant de décors, mannequins, costumes et initiations au pinot noir. Là aussi, la biodynamie offre de belles histoires à raconter avec des vignes parsemées de perchoirs à oiseaux, qui attirent également des rapaces.
Dans toute la vallée, les domaines relatent la success story de leurs fondateurs, des immigrés italiens, français, hongrois, allemands, russes... L'une de ces réussites est narrée à chaque visite de Balletto Vineyards. Ancien ouvrier horticole, John Balletto s'installe en 1977 avec 200 $ prêtés par sa mère. Il possède désormais 260 ha, dont il vend les raisins jusqu'à 10 $/kg, obtenant des prix parmi les plus élevés au monde ! « Pas bio, mais raisonné : protected harvest », précise Anthony Beckman, vice-président et winemaker. Balletto Vineyards vinifie seulement 10 % de sa récolte, dont il présente les bouteilles dans un bar-magasin bourré de produits dérivés aux couleurs de l'entreprise (cartes de voeux, tabliers, parkas...).
Des wine clubs qui fidélisent
Pour resserrer le lien avec ses clients, chaque domaine anime son wine club dont les membres bénéficient de remises. Ainsi, chez Bacigalupi, le concert-dégustation lors des portes ouvertes est à 85 $ pour les membres et à 100 $ pour les autres. Pour dîner dans les vignes « avec Helen Bacigalupi qui racontera l'histoire de sa famille venue d'Italie », les adhérents déboursent 195 $ au lieu de 225 $. Pour mémoire : le chardonnay de Montelena, qui s'est classé premier au concours de Paris en 1976, venait du domaine Bacigalupi.
Les membres des wine clubs reçoivent des colis de vins et bénéficient de ventes exclusives. Rick et Amber Moschin vendent ainsi la moitié de leurs 120 000 bouteilles annuelles, dont un amusant pinot noir en macération carbonique. Ils achètent du raisin pour compléter la récolte de leurs 8 ha. Leur plus bas prix : un chardonnay à 22,50 $. Comme partout, parking pour personnes handicapées et vastes toilettes font partie de l'accueil.
Pour notre dernière visite, nous nous arrêtons chez Ridgely Evers. Après avoir réussi dans les nouvelles technologies, cet entrepreneur a décidé de cultiver des oliviers et 25 cépages italiens, mieux adaptés selon lui que le pinot noir au climat méditerranéen de Sonoma. Il invite ses visiteurs à observer, un verre de vin à la main, ses poules, porcs et moutons. « Notre ferme est un organisme vivant qui inclut des animaux, utiles pour les préparats de la biodynamie. » Son domaine DaVero de 5 ha produit 36 000 bouteilles par an, en bio bien sûr, vendues de 26 à 195 $ pièce.
À Sonoma, l'écologie, c'est chic et cher.
Les secrets de la prospérité
Les vignerons vendent leurs bouteilles entre 20 et 200 $ au chai, portés par le succès de l'oenotourisme, la mode du vin et l'excellente santé de l'économie locale. Selon le Bureau of Economic Analysis (l'Insee américain), la Californie a dépassé la France en tant que sixième puissance mondiale avec un PIB de 2,459 milliards de dollars en 2015. Ce territoire en partie désertique, peuplé de 40 millions d'habitants, doit sa prospérité à des activités exportées dans le monde entier : le cinéma (Hollywood) et la haute technologie (Google, Apple, Facebook...). Une main-d'oeuvre abondante venue du Mexique assure les travaux manuels, en particulier dans les exploitations viticoles. Cependant, tout n'est pas facile au pays de la libre entreprise. Même mexicaine, la main-d'oeuvre est chère. Il faut compter 15 $/heure, le double avec les charges. De plus, les lois sociales sont contraignantes - des toilettes mobiles avec lavabo sont obligatoires dans les vignes - tout comme celles sur l'environnement.