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DOSSIER - Au coeur d'une petite vendange

Bourgogne « On devient inabordable »

CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°291 - novembre 2016 - page 38

À Pommard, Aubert Lefas n'a rentré qu'un tiers d'une récolte normale, après avoir subi récemment trois années de grêle. Pour passer le cap, il envisage une nouvelle hausse de ses tarifs.
DANS CETTE VIGNE GELÉE, la taille « va prendre plus de temps à nos salariés. Il faudra trouver les baguettes dans une forêt de branchettes mal foutues », redoute Aubert Lefas. © C. MICHELIN

DANS CETTE VIGNE GELÉE, la taille « va prendre plus de temps à nos salariés. Il faudra trouver les baguettes dans une forêt de branchettes mal foutues », redoute Aubert Lefas. © C. MICHELIN

Ce 24 septembre, à Pommard, Aubert Lefas a le sourire. Le vigneron, à la tête du domaine Lejeune (10 ha, moitié en pommard, moitié en bourgogne), a débuté ses vendanges depuis trois jours. Sa cuverie sent bon les premières fermentations. Mais son sourire est un peu triste aussi. Comme ses collègues, il a perdu une bonne partie de sa récolte le 27 avril. Ce jour-là, plusieurs de ses parcelles ont gelé à « 90-95 %. On a décidé de les vendanger malgré tout, vu le travail que nous avons fourni pour les cultiver toute l'année », explique-t-il.

La campagne 2016 fut éreintante. En juin, comme tous les Bourguignons, Aubert Lefas a dû faire face à une énorme pression de mildiou. Il était en première année de conversion en bio et a dû « abandonner » sa démarche. « Nous étions au stade de la fleur. Nous savions que nous avions perdu une grande partie de la récolte à cause du gel. Il était hors de question de perdre le reste », explique le vigneron.

Onze traitements antimildiou ont été nécessaires dont deux avec des fongicides systémiques. Cela a été un crève-coeur pour Aubert Lefas, mais il ne regrette pas cette décision car il a préservé le peu qui lui restait. « Cette année, je ne rentre que 30 % d'une récolte moyenne. Une seule parcelle de 1,5 ha a eu un rendement normal. Toutes les autres ont été touchées entre 50 et 95 %. »

Les vignes en plaine ont le plus sévèrement gelé. Aubert Lefas y a ramassé à peine 5 à 7 hl/ha. En raison de ces faibles charges, elles ont mûri avant les autres. Il a donc dû changer « en totalité » l'ordre selon lequel il récolte ses parcelles. Normalement, il débute par ses premiers crus car ce sont les plus précoces. Cette année, il a démarré en plaine. Comme à l'accoutumée, il a vendangé à la main. Mais avec des équipes réduites : une dizaine de saisonniers au tri et seulement 15 vendangeurs contre 25 habituellement.

De plus, il a renoncé à embaucher ses ouvriers habituels. Cette fois, le gel n'y est pour rien. Les « contraintes réglementaires de plus en plus fortes » l'ont poussé à faire appel à un prestataire basé à Beaune qui lui a adressé quinze Roumains.

« J'ai aussi songé à vendanger les parcelles gelées à la machine mais j'y ai renoncé car je vinifie en grappes entières. » En revanche, certains de ses voisins l'ont fait afin d'éviter les soucis administratifs pour si peu de raisin.

Heureusement, partout, les raisins sont beaux, sains et de belle maturité. Aubert Lefas a pu lancer ses fermentations, « les plus naturelles possibles », sans LSA ni pieds de cuve, avec des doses de soufre réduites. Mais il a rapidement dû prendre une nouvelle décision difficile. « J'ai deux parcelles de premier cru touchées par le gel. J'y ai à peine récolté deux pièces de raisins, une dans chaque cru, là où j'aurais dû en avoir dix en tout. J'ai dû assembler ces deux pièces pour pouvoir les vinifier. Il m'est interdit de mentionner ces lieux-dits sur mes bouteilles même si ce sont des must sur le plan commercial. »

C'est une pénalité courante, ces dernières années en Côte-d'Or, que de devoir renoncer à des revendications. Le village de Pommard a accumulé les aléas climatiques (grêles, gel...). « En 2012, 2013 et 2014, j'avais obtenu en moyenne 50 % d'une récolte, soit 25 000 bouteilles. En 2015, il n'y a pas eu d'accident climatique, mais les vignes étaient fatiguées ; je n'ai récolté que 30 000 bouteilles sur les 50 000 espérées. »

L'impact de la maigre récolte 2016 se fera réellement sentir début 2018. Après les deux ans d'élevage des vins, le chiffre d'affaires d'Aubert Lefas devrait baisser « de moitié » par rapport aux 600 000 € qu'il réalise bon an mal an. Pour éviter cela, une nouvelle hausse des prix sera « obligatoire ». Or, il les a déjà doublés en cinq ans, comme bon nombre de ses collègues. Aujourd'hui, il vend son pommard 30 €/col TTC au domaine et ses premiers crus 50 €.

« On devient inabordable. On perd notre clientèle française directe », observe le vigneron. Désormais, 80 % de ses clients sont étrangers. Pas question pour autant de faire des impasses techniques à la vigne ni de commercialiser des vins trop jeunes. « La matière que nous avons rentrée en septembre, nous permettra de faire de beaux vins 2016 », insiste-t-il.

Longtemps sans dette, le viticulteur a dû emprunter. Il devait changer son tracteur et son pulvérisateur « trop vieux ». Reste un autre problème à régler : les fermages. Aubert Lefas n'a que des vignes en location. Ses fermages ont « grimpé de 80 % en quatre ans », suivant la hausse des cours des vins. « Avec nos faibles volumes, c'est une double peine. » Trois solutions se présentent à lui : renégocier une ligne de trésorerie auprès de sa banque, apporter du capital ou trouver un nouvel associé qui se joindrait à lui et à sa femme, héritière du domaine Lejeune. Dans tous les cas, « on va se serrer la ceinture », prévient Aubert Lefas.

30 % de pertes en Bourgogne

Bien que « qualitatif », le millésime 2016 sera « cher », car rare, prévient le BIVB. Négociants et vignerons annoncent 1,15 à 1,2 million d'hectolitres pour la Bourgogne, soit 30 % de moins qu'une récolte moyenne. Chablis « fera une demi-récolte », les Côtes de Beaune et de Nuits ont des rendements « très faibles ». La Côte chalonnaise est coupée en deux. Au nord, Rully et Mercurey ont subi le gel tandis qu'au sud, Givry et Montagny ont été épargnées. Plus au sud encore, le Mâconnais n'a pas souffert du gel mais la grêle a sévi à Pouilly et à Saint-Véran. Cette nouvelle petite récolte survient alors que les stocks sont historiquement bas, malgré le beau millésime 2015 (1,6 million d'hectolitres).

Le 31 juillet, il ne restait que dix mois de commercialisation dans les chais de la production. Heureusement, les principaux marchés à l'exportation de la Bourgogne sont porteurs et acceptent les hausses de prix. Pour preuve, « le prix moyen en Angleterre d'une bouteille de chablis franchit la barre des 10 £, indique le BIVB. Bientôt, il en sera de même pour les mâcons. »

Sauvé par l'assurance et le négoce

« J'ai subi la grêle trois années de suite : en 2012, 2013 et 2014. Ce qui m'a sauvé, c'est d'être assuré. J'ai récupéré un an de chiffre d'affaires. » Après une année 2015 sans accident, il comptait sur la récolte 2016 pour relancer ses investissements. Il va devoir patienter encore. « Je repousse ma décision pour garder mes salariés car ils bossent plus pendant ces années compliquées. » Des ouvriers qui aspirent à une hausse de leur salaire. « Ça augmente l'angoisse du chef d'entreprise qui voit sa trésorerie au plus bas et se demande comment il va faire pour tout payer », témoigne Aubert Lefas.

Outre l'assurance, Aubert Lefas a pu compter sur son activité de négoce pour préserver son chiffre d'affaires. Une activité qui a « très bien fonctionné » depuis 2012. À ce titre, il achète « l'équivalent de 3 ha de chardonnay » en puligny, chassagne et meursault. Mais cette année, comme toute la Côte-d'Or est touchée, « cela devient très délicat d'acheter du raisin puisque nos voisins n'en ont pas ».

L'essentiel de l'offre

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