Loïc de Roquefeuille s'en souvient comme si c'était hier. « Le 2 août 2013, nous dînions sur la terrasse quand une masse sombre et épaisse a recouvert le ciel, se rappelle-t-il, la gorge encore nouée par l'émotion. Il était 21 heures. L'orage de grêle s'est abattu sur les vignes sous nos yeux. » En l'espace de quelques minutes, le propriétaire du château de Castelneau, à Saint-Léon, dans l'Entre-deux-Mers, a tout perdu. Les grêlons ont entièrement déchiqueté son vignoble de 30 ha qui n'était pas assuré contre la grêle.
L'année du sinistre, il n'a pas reçu un sou d'aide publique pour amortir le choc. Seule la solidarité vigneronne a joué via l'association SOS Vignerons sinistrés, créée au lendemain de la grêle. Par ce biais, l'un de ses confrères est venu traiter ses vignes. Un autre a envoyé ses équipes pour tailler et tirer les bois. Ses fournisseurs, quant à eux, lui ont accordé des délais de paiement. Enfin, il a pu négocier auprès de sa banque un prêt de 50 000 euros à 2 % d'intérêt.
Un an après la catastrophe
« Sans tout cela, nous aurions mis la clé sous la porte, estime-t-il. Des aides publiques, on en a eu, mais un an environ après la catastrophe. » Il a perçu 7 000 euros, versés en deux fois, en septembre et en octobre 2014, au titre de l'aide exceptionnelle à la reconstitution du fonds de roulement accordée aux victimes de la grêle. Puis il a obtenu une aide au palissage de 9 121 € de la Direction départementale des territoires. Enfin, la MSA lui a versé 6 339 € pour la prise en charge des cotisations de ses trois salariés qu'il avait dû mettre au chômage partiel. Montant total de l'enveloppe : 22 528 € auxquels se sont ajoutées des exonérations partielles de taxe sur le foncier non bâti. « Ce n'est pas rien, concède Loïc de Roquefeuille. Mais pour en bénéficier, nous avons dû contracter une assurance grêle. Son coût : 8 000 euros. Résultat, près de la moitié de l'aide a servi à la financer. »
L'assurance grêle ? Aubert Lefas y voit l'unique moyen de surmonter les conséquences de ce fléau. Vigneron à Pommard sur 9,5 ha, il a subi la grêle en 2012, 2013 et 2014. En moyenne, ces accidents lui ont fait perdre 50 % de récolte par an. « Au motif que cet accident climatique est assurable, l'État en profite pour se désengager. Il n'aide plus les sinistrés », affirme-t-il.
« Il a fallu descendre dans la rue, après la grêle de 2014, pour nous faire entendre ! », renchérit Thiébault Huber, vigneron à Meursault. Cette année-là, il a ramassé 40 % d'une récolte normale sur son vignoble de 9,5 ha. « J'ai bénéficié d'une exonération partielle de cotisations MSA de 3 700 euros en 2015 », précise-t-il. Cette aide a été négociée par la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB). Plafonnée à 5 000 € par exploitation, elle a été accordée à celles qui ont subi 50 % de pertes de récolte en moyenne en 2012 -2013, en prenant comme référence un rendement moyen établi sur 2009, 2010 et 2011. « On ne peut que s'en féliciter, souligne Thiébault Huber. Mais, il s'agit d'une goutte d'eau au regard des 300 000 € de perte de chiffre d'affaires de notre domaine en 2014. »
La spirale de l'endettement
Aubert Lefas, pour sa part, a obtenu une réduction de charges de 2 500 euros en 2015. « J'ai aussi bénéficié d'un report de cotisation, explique-t-il. Mais avec des pénalités de retard de l'ordre de 1 %. Bref, on nous enferme dans une spirale d'endettement. » Enfin, il a obtenu une exonération sur la taxe foncière non bâtie de 1 200 €. « Ça nous a pris une demi-journée pour constituer le dossier », se désole-t-il. Pire, la somme a été déduite des impôts fonciers de son bailleur. « Il a fallu batailler pour qu'il nous la rétrocède, souligne le vigneron. Finalement, nous l'avons déduite du fermage. » Il ajoute : « En 2014, nous avons perdu 65 % de notre chiffre d'affaires. Au vu des pertes que nous avons subies et des charges qui pèsent sur notre exploitation, ces sommes nous font sourire. »
Avec 27 ha grêlés à 80 % en 2013, Stéphane Dupuch, vigneron à Targon sur 80 ha, n'a quant à lui rien eu. « Pour bénéficier des aides publiques négociées par nos instances, il fallait justifier de plus de 50 % de perte de récolte par rapport aux cinq années précédentes, expose-t-il. Ce qui était mon cas. » Mais, pour répondre à ses marchés, il a acheté de la vendange et du vin en utilisant l'indemnité de son assurance grêle. « Résultat, je suis sorti des clous du dispositif, précise-t-il. Le pire n'a pas été la première année - les charges de culture étaient financées - mais les années suivantes - 2014 et 2015 -, car le chiffre d'affaires s'est érodé et la trésorerie a explosé. »
253,12 €/ha pour les vignerons bourguignons
« Après trois années de grêle - 2012, 2013 et 2014 -, nous avons constaté un affaiblissement du potentiel de production des vignes sinistrées. Aussi, nous avons décidé d'enclencher une demande d'indemnité par le fonds de calamité agricole. Les vignerons concernés vont percevoir une aide pour perte de fonds de 253,12 €/ha... Dérisoire au regard des dégâts et du processus long et complexe qu'il a fallu suivre ! », s'emporte Jean-Louis Moissenet, président de la commission géographique de la Côte-d'Or à la CAVB.
En janvier 2015, après plusieurs réunions sur le terrain avec l'administration, ce syndicat a adressé un dossier de demande d'aide au ministère de l'Agriculture. Celui-ci l'a accepté en juin 2015. En septembre dernier, la CAVB a reçu le dossier type à remplir par les vignerons. Pour obtenir l'aide, ceux-ci doivent justifier qu'ils ont dû pratiquer une taille sévère durant l'hiver 2015 après avoir été grêlés en juin 2014. De plus, leur récolte 2015 doit être inférieure d'au moins 30 % à un barème fixé par l'administration.
Le Point de vue de
BENOÎT FULCRAND, VIGNERON À PUILACHER (HÉRAULT) SUR 42 HECTARES
« Des heures de palabres aux accents écolo »
« Le 29 septembre 2014, l'Hérault a connu un déluge. Le Rouviège a débordé. Il a emporté une de mes parcelles de 1,5 ha. En novembre, j'ai tout nettoyé avec des bénévoles. En décembre, j'ai pris contact avec la chambre d'agriculture de l'Hérault afin de réunir sur place les collectivités, les services de l'État et la police de l'eau... Il fallait remettre le terrain en état et sécuriser le cours d'eau. Au départ, les administrations étaient totalement opposées au fait que je touche au cours d'eau. Il ne fallait surtout pas perturber la vie aquatique. Ces palabres aux accents écolo ont duré des heures. Deux mois plus tard, j'ai obtenu l'accord pour une indemnisation pour perte de fonds ainsi que pour faire les travaux. Le 3 juillet 2015, j'ai reçu un acompte de 30 % du montant : 5 223 €.
Les travaux ont démarré en août et ont duré un mois. J'ai alors demandé le solde à l'administration. Pour l'obtenir, il fallait que je replante les vignes. J'ai dit non : pas question de replanter avant d'avoir laissé reposer le sol. J'ai finalement obtenu le solde en février 2016, deux ans après le sinistre !
En tout, j'ai perçu 8 386 € pour un montant total des travaux de 13 612 euros, hors frais de replantation. Cette vigne emportée par les eaux, c'était une jeune plante. Heureusement, FranceAgriMer l'a inscrite dans le plan de reconversion qualitative différée. J'obtiendrai donc une aide pour la replanter. »