Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Bassin parisien On replante

BERTRAND COLLARD - La vigne - n°291 - novembre 2016 - page 58

En Seine-et-Marne et dans l'Aisne, des agriculteurs viennent d'obtenir des autorisations de planter des vignes, pour la première fois depuis des décennies. Rencontre avec ces néo-vignerons pleins d'espoir et d'ambition.
PATRICE BOUDIGNAT s'apprête à soutirer sa première cuve de rosé vinifié avec des raisins achetés à l'Inra de Pech Rouge. Un vin frais et expressif. B. COLLARD

PATRICE BOUDIGNAT s'apprête à soutirer sa première cuve de rosé vinifié avec des raisins achetés à l'Inra de Pech Rouge. Un vin frais et expressif. B. COLLARD

PATRICE BERSAC conseille les frères Boudignat et se prépare à reprendre ce lopin de 25 ares au coeur de Provins. B. COLLARD

PATRICE BERSAC conseille les frères Boudignat et se prépare à reprendre ce lopin de 25 ares au coeur de Provins. B. COLLARD

On le sait : pour vendre du vin, il faut une belle histoire. Avant même d'avoir embouteillé le moindre col, Patrice Boudignat a déjà de quoi composer la sienne. En août dernier, cet agriculteur de Melz-sur-Seine, en Seine-et-Marne, à la limite de l'Aube, a obtenu l'autorisation de planter 8,9 ha de vignes sans IG. Son frère Christian, céréalier comme lui, a obtenu 15 ha sur la même commune. Avec un voisin qui a eu 3 ha et Patrice Bersac, président du Syndicat des vignerons d'Île-de-France, titulaire de quelques ares, ils vont planter un coteau calcaire exposé au sud pour y produire des vins tranquilles, des « vins copains ».

« J'ai connu les vendanges dans notre village jusqu'à l'âge de 7 ans, explique Patrice Boudignat, 60 ans aujourd'hui. Il y avait une vraie tradition viticole dans notre famille. Georges Chaudieu, boucher et fondateur de l'école de la boucherie française, a écrit dans son livre Au temps des charrues que mon arrière-grand-père était forgeron et surtout un très bon vigneron : le meilleur de la région. Sa forge était toujours pleine de monde parce qu'il y servait du bon vin. »

À l'avenir, cette histoire se poursuivra en empruntant à l'air du temps. « Nous allons planter des cépages résistants et des classiques : chardonnay, pinot et auxerrois, détaille Patrice Boudignat. Nous travaillerons avec le moins d'intrants possible, a priori en bio. Nous voulons planter des vignes plutôt larges, avec des arbres fruitiers : c'est un projet d'agroforesterie. Il dessinera un joli paysage viticole. »

Mais tout reste à faire. Les trois compères n'ont pas encore passé la moindre commande de plant ni de matériel. Ils prévoient de s'équiper ensemble, mais n'ont pas encore décidé sous quelle forme ils vont s'associer. Ils veulent recruter un chef de culture et un maître de chai pour produire d'emblée des vins dignes de ce nom.

Ils ont fait leurs comptes : il leur faudra investir au moins 2 millions d'euros avant de vendre la moindre bouteille. Pour réunir une telle somme, ils ont besoin d'attirer des investisseurs dans leur projet. Pourquoi pas un viticulteur bourguignon ? « Dès le départ, j'ai voulu monter un projet conséquent car il favorise les échanges et permet de mettre plus d'argent sur la table pour réussir, explique Christian Boudignat. Si on démarre avec 1 ou 2 ha, on ne se donne pas les moyens de faire quelque chose de bien ni d'avoir les appuis nécessaires pour cela. »

Étonnant qu'un projet de cette taille ne soit pas plus abouti. Les frères Boudignat s'en expliquent aisément. « Le droit de planter de la vigne, c'est tout nouveau, rappelle Christian. Nous n'étions pas certains d'obtenir des autorisations et ignorions pour quelle surface. Nous avons eu la réponse en août. Tant que nous l'attendions, nous n'avions pas de quoi monter un projet. » Les choses vont se préciser cet hiver.

Bien qu'ils n'aient pas encore de vignes, les quatre compères ont déjà tous un numéro de CVI. Ils vont faire leur première déclaration de récolte cette année : 6 hl, à répartir entre eux. Ils viennent de vinifier des raisins de variétés résistantes obtenues par feu Alain Bouquet et achetées à l'Inra de Pech Rouge. Des vinifications réalisées avec les conseils de Patrice Bersac, le seul des quatre à avoir une expérience en la matière.

Ancien fonctionnaire du ministère de l'Économie, Patrice Bersac a fondé l'Association des vignerons franciliens en 1999. Depuis, il se bat pour la renaissance de la viticulture en Île-de-France. C'est lui qui a informé les frères Boudignat qu'ils allaient pouvoir planter des vignes. Depuis, il est leur conseiller et associé.

Sous sa houlette, ils ont installé un chai provisoire dans une vieille grange du hameau de Blunay, à Melz-sur-Seine. Ils l'ont équipé de cuves en Inox à chapeau flottant de 100 et 200 l ainsi que d'un minipressoir pneumatique. Dans ce bâtiment, il y a l'eau courante, une paillasse pour faire des analyses et préparer les sulfitages, mais pas de pompe : les transferts de vins se font au pichet.

Une cuve de 2 hl renferme un rosé fin et expressif. Une autre contient un blanc qui dégage une agréable odeur de coing et de miel. Mais en bouche, il est moins rond, plus abrupt que le rosé. Les néovignerons ont aussi produit un rouge. « Il est peut-être un peu tannique », admet Patrice Bersac qui ne désespère pas de le voir s'assouplir.

Fin février ou début mars de l'année prochaine, Patrice Bersac et Patrice Boudignat iront vendre leurs vins au Salon de l'agriculture à Paris sous l'étiquette « Domaine Aux Deux Patrice ». Ils ne doutent pas que le public leur fera un bon accueil. « Nous sommes à 100 km de Paris. C'est le plus grand bassin de consommation en France. Quand on leur parle de notre projet, les gens le trouvent chouette. Il y a une attente et un intérêt pour les produits locaux. Et puis nous avons une vraie histoire à raconter », expliquent-ils.

« Les gens apprécient notre mousseux »

En avril 2017, Nicolas Cailliez va planter 2 ha de vignes sans IG à Vendresse-Beaulne (Aisne). C'est à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Reims. Puis il plantera la même surface en 2018. Il a obtenu l'autorisation de planter en août dernier, à la faveur de la nouvelle réglementation. Il se trouve dans l'un des cinq départements du bassin viticole Champagne (Aisne, Aube, Haute-Marne, Marne, Seine-et-Marne) où l'administration a attribué 28 autorisations de plantation de vignes sans IG pour un total de 38 ha, tous situés hors de l'aire AOC Champagne. À 28 ans, salarié de son père agriculteur, Nicolas Cailliez veut lancer sa propre affaire et produire des effervescents en méthode traditionnelle. Il va planter du chardonnay et des pinots noir, meunier et gris, entre 4 500 et 5 000 pieds/ha et s'inspirer de l'expérience familiale pour démarrer. « Nous avons 10 ares de vignes pour l'autoconsommation. Nous produisons du mousseux. Quand nous le faisons goûter aux gens, ils veulent nous en acheter. Malheureusement, nous n'avons pas le droit de le vendre. »

« Nous sommes responsables »

En septembre 2015, Patrice Bersac a fondé le Syndicat des vignerons du Nord-Ouest (Syvino) et le Syndicat des vignerons d'Île-de-France (Syvif) qu'il préside tous les deux. Le premier a vocation à regrouper tous les futurs viticulteurs du quart nord-ouest de la France, depuis la Bretagne jusqu'au Bassin parisien et aux Hauts-de-France. Des régions et des zones dont les vins devraient rester, a priori, sans IG. Le Syvino compte une dizaine d'adhérents selon Patrice Bersac. « Nous demandons un plafonnement des autorisations de plantations nouvelles : 25 ha dans l'Aisne et 37 ha en Seine-et-Marne pour les trois prochaines années. Ce sont les deux départements qui ont la vocation viticole la plus affirmée de notre zone. Dans les autres départements, 5 ha suffiront en moyenne. Nous sommes responsables, nous ne voulons pas déséquilibrer des marchés naissants », affirme Patrice Bersac. Quant au Syvif, sa principale revendication porte sur la création d'une IGP Île-de-France. Lorsque ce sera fait, des producteurs demanderont des autorisations de plantation.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :