Alain Maujean a compris leur origine il y a trente-cinq ans, alors qu'il était professeur d'oenologie à l'Université de Reims. Il n'empêche, les goûts de lumière sont encore une cause fréquente de retour de bouteilles. En cave, des mesures assez simples permettent pourtant de s'en prémunir. Le 20 octobre, lors de leur journée technique, les oenologues champenois l'ont rappelé à leur assemblée. Voici les informations qu'il faut en retenir.
Les goûts de lumière, c'est quoi ?
Exposé à la lumière, le vin peut prendre des goûts de chou-fleur cuit ou de laine mouillée. Ce phénomène met en jeu des composés soufrés. Il est facile de le confondre avec celui de la réduction. « C'est un défaut progressif. Comme avec les goûts de bouchon, on va d'abord avoir un masque aromatique et une perte de notes fruitées. Puis, à plus haute concentration, on va ressentir les mauvais goûts », détaille Michel Valade, responsable du service oenologie au CIVC.
Les goûts de lumière s'accompagnent souvent d'une décoloration du vin. Ils touchent essentiellement les vins effervescents et blancs, mais concernent aussi les rosés et, dans une moindre mesure, les vins rouges, mieux protégés par leurs tanins.
Comment se forment-ils ?
Il suffit de peu de chose : de la lumière et de la riboflavine. Plus connue sous le terme « vitamine B2 », la riboflavine est présente dans le vin et dans d'autres aliments. D'ailleurs, elle est utilisée dans l'industrie agroalimentaire comme colorant jaune. Elle est particulièrement sensible à deux longueurs d'onde : 375 nm dans les UV-A et 446 nm dans le visible (lumière bleue). Ces longueurs d'onde sont émises par la lumière solaire et la majorité des tubes fluorescents.
Quand elle est éclairée, la riboflavine (vitamine B2) devient instable. Pour retrouver son état initial, elle transfère son énergie à d'autres molécules, en masse. Professeur à l'Université de Reims, Yann Vasserot explique qu'« une molécule de riboflavine peut transférer son énergie de mille à cent mille autres molécules avant d'être inactivée ». La plupart sont des acides aminés. « Ainsi, la méthionine va évoluer en méthanethiol et en diméthyldisulfure (DMDS), aux arômes de chou. » Tryptophane et lysozyme vont, quant à eux, donner de la 2-aminoacétophénone, à l'odeur de naphtaline, de fleur d'acacia, de linge sale humide ou de savon. Cette réaction est favorisée par des températures supérieures à 20 °C.
L'irradiation de la riboflavine porte également atteinte aux esters aromatiques et entraîne une baisse de la couleur et de l'astringence par polymérisation des polyphénols.
En combien de temps ?
« Dans un verre, les goûts de lumière peuvent apparaître très rapidement », prévient Michel Valade. Au cours d'une série d'essais, les techniciens du CIVC n'ont pas eu à attendre plus de trois minutes avant de détecter des notes de réduction dans un verre de champagne laissé en plein soleil. « Et encore, c'était en hiver et il faisait froid », prévient l'oenologue.
« On estime que le vin est vulnérable lorsqu'il contient plus de 100 µg/l de riboflavine. À cette teneur, les goûts de lumière risquent d'apparaître après deux à trois semaines d'exposition à la lumière », précise Yann Vasserot. Or, les vins en renferment souvent bien davantage, et d'autant plus qu'ils séjournent sur lies.
Peut-on les éliminer ?
Les oenologues n'ont pas encore trouvé la solution. Le CIVC et Mumm ont testé plusieurs modalités. Au dégorgement, ils ont ajouté soit de l'acide ascorbique, soit des tanins de chêne ou de pépins, soit encore du sulfate ou du citrate de cuivre. Pour qu'ils renferment le même niveau d'oxygène, les champagnes ont été bouchés sur mousse. Certains ont été exposés à la lumière, d'autres pas. Résultat, l'acide ascorbique et les tanins n'ont eu aucun effet protecteur. Le cuivre a évité les déviations, mais a provoqué une forte oxydation et dénaturé le profil organoleptique des vins.
Comment protéger le vin ?
En les exposant le moins possible à la lumière et en choisissant la bonne bouteille. S'il bloque les ultraviolets, le verre n'arrête pas les radiations de l'ordre du visible. Il est néanmoins possible de jouer sur sa couleur. Les techniciens du CIVC ont mis un même champagne dans plusieurs bouteilles : transparente, verte ou marron. Puis, ils les ont placées sous des lampes fluorescentes. Les goûts de lumière sont apparus au bout de quinze jours dans les bouteilles transparentes, deux mois dans les vertes et trois mois dans les marron, couleur qui bloque le mieux la lumière bleue.
L'épaisseur du verre a également son importance. D'après les verriers, une bouteille vert foncé de 4 mm d'épaisseur filtre presque aussi bien qu'une bouteille marron de 2 mm.
Pour les maisons qui commercialisent des champagnes dans des bouteilles transparentes, comme Louis Roederer et Ruinart, il est indispensable de les stocker dans l'obscurité. Et lorsque la zone de stockage est éclairée, il faut recouvrir les palettes de bâches ou de couvertures noires.
Émilie Langleron, responsable des innovations oenologiques chez Mumm Perrier-Jouët a également obtenu de bons résultats en enveloppant les bouteilles avec du papier de soie ou de la cellophane. « Côté couleur, privilégiez le noir ou le doré pour le papier de soie et l'argent, le bronze ou le rouge pour la cellophane. Les autres couleurs laissent passer la lumière, même lorsque l'on fait deux tours », explique-t-elle.
Quel système d'éclairage faut-il installer dans les zones de circulation ?
Les lampes à vapeur de sodium donnent de bons résultats. Souvent utilisées dans les chais, elles propagent une lumière ambrée, qui ne produit pas d'UV ni de coloration bleutée. Mais elles sont amenées à disparaître. Pour les remplacer, les Led semblent prometteuses (voir encadré ci-dessus).
Led jaune : une piste à suivre
« En 2020, les lampes à sodium ne seront plus fabriquées. Or, nous en avons 3 000 en cave, relate Hubert Ducrocq, responsable du service technique chez Moët Hennessy Champagne. Dès 2012, nous avons commencé à les remplacer. Il nous fallait du matériel résistant à l'humidité, offrant un bon confort visuel, économe en énergie et n'engendrant pas de surcoût de maintenance. Et, bien sûr, nous ne voulions pas de goûts de lumière. » Après plusieurs essais comparatifs, la maison de champagne a opté pour des blocs et des barres à Led. Ceux-ci sont trois fois plus chers que les lampes à sodium, mais il faut les changer cinq fois moins souvent, tous les dix ans. Le responsable technique a également mesuré un gain énergétique de plus de 50 %. « De plus, les Led offrent une bien meilleure visibilité. » Chez Moët Hennessy, les Led sont jaunes. Mumm va aussi les généraliser. La maison a testé l'impact de différentes longueurs d'onde avec des Led monochromatiques. « Le bleu et le cyan entraînent systématiquement des goûts de lumière. Avec le vert, l'orange et le rouge, les résultats sont mitigés alors qu'avec le jaune nous n'avons jamais constaté de déviations », note Émilie Langleron, de Mumm.