Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Tailler moins pour gagner plus

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°292 - décembre 2016 - page 40

Des viticulteurs obtiennent de meilleurs rendements en taillant leurs vignes moins sévèrement. Les conseillers viticoles appellent à allonger la taille avec prudence.
BRUNO CIET, viticulteur à Fontanès, dans le Gard, a obtenu une hausse de 30 % de ses rendements en modifiant sa taille. © M. TRÉVOUX

BRUNO CIET, viticulteur à Fontanès, dans le Gard, a obtenu une hausse de 30 % de ses rendements en modifiant sa taille. © M. TRÉVOUX

L'allongement de la taille est-il un remède à l'érosion des rendements ? Les conseillers viticoles sont très prudents à ce sujet. Mais sur le terrain, notamment dans le Midi, on voit les choses autrement. Depuis cinq ans, Bruno Ciet, viticulteur en cave coopérative, a progressivement adopté la taille Lépine. Sur 12 des 20 ha qu'il exploite à Fontanès, dans le Gard, il laisse deux baguettes de 6 à 7 yeux aux deux extrémités de ses ceps convertis en cordon, qu'il n'attache pas. Et sur les bras des cordons, il laisse 4 ou 5 coursons de deux yeux. Soit une vingtaine d'yeux par souche.

« C'est une taille qui convient bien aux cépages au port dressé comme le merlot, le grenache, la syrah, le cabernet-sauvignon ou le sauvignon. Mais elle n'est pas adaptée aux variétés à port retombant car les raisins sont alors au ras du sol », explique-t-il. Son vignoble est planté à 3 700 pieds/ha. Jusqu'en 2010, il le taillait en Guyot simple. Mais malgré l'irrigation et une bonne fertilisation (600 à 700 kg/an d'engrais superpotassique 10-8-30), il peinait à atteindre le rendement maximum en IGP Pays d'Oc, soit 90 hl/h en rouge et blanc, et 100 hl/ha en rosé. Avec la taille Lépine, ses rendements ont bondi de 30 % dès la première année. Et depuis, il atteint le plafond autorisé. « Il faut des vignes vigoureuses, bien fertilisées et un sol sans aucune herbe », précise-t-il.

Une hausse des rendements

Au domaine de Coursac, à Carnas, dans le Gard, David Codomié a, lui aussi, réussi à augmenter ses rendements sur une partie de son vignoble dont il vend la production en raisins. Sur 2 ha, il est passé du Guyot simple à la taille mécanique. « Je passe à la prétailleuse pour obtenir un cordon de deux yeux, puis je repasse manuellement pour éliminer les sarments et gourmands qui restent. J'ai moins d'esca et j'atteins régulièrement les 90 hl/ha. Mais deux autres leviers sont essentiels : l'irrigation, en veillant à ne pas commencer trop tard, et une bonne fertilisation. J'apporte ainsi 90 unités d'azote par an. » Sur six autres hectares, le viticulteur a rallongé la taille pour laisser des baguettes de 10 à 12 yeux contre 6 à 7 auparavant. Là aussi, les vignes sont irriguées et bien fertilisées. Désormais, le sauvignon atteint les rendements autorisés en Pays d'Oc, mais le cabernet-sauvignon toujours pas.

Au domaine de Nalys, à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), Isabelle Ogier a observé une chute importante de production sur une parcelle de syrah de 3 ha, essentielle pour ses assemblages. « C'est une vigne d'une dizaine d'années. Au départ, elle produisait le rendement autorisé. Ces derniers temps, malgré une belle vigueur, elle est tombée à 10 hl/ha. On a effectué des analyses de sol et revu la fertilisation, sans résultat. En désespoir de cause, en 2015, on est passés du cordon de Royat au Guyot simple, avec 8 yeux francs sur le long bois et un courson de rappel de 2 yeux, soit 10 yeux par pied contre 12 en cordon de Royat. En 2016, nous avons quasiment atteint le rendement autorisé : 32 à 33 hl/ha. Et, qualitativement, c'est très bien », confie-t-elle. La taille en cordon n'était pas adaptée à ce cépage dont les yeux à la base des rameaux sont souvent peu fructifères.

Au château de la Selve, à Grospierres (Ardèche), Benoît Chazallon a fait le même constat pour ses 7 ha de viognier. « C'est un cépage capricieux. Il donne des rendements très irréguliers d'une année sur l'autre. Certaines années, je ne récoltais que 30 hl/ha. À ce niveau-là, j'obtenais des vins gras et pâteux. Pour obtenir des équilibres plus vifs, j'ai revu la taille », explique le vigneron.

Tout son vignoble est taillé en cordon de Royat. Avant, il ne laissait que deux yeux par courson sur les viogniers comme sur tous les autres cépages. Depuis deux ans, il en laisse un de plus. « Sur ce cépage, le premier oeil est peu fructifère. Le troisième l'est beaucoup plus. En le conservant, on accroît la production de plus de 30 %. Et s'il y a une belle sortie de grappes, je corrige avec l'ébourgeonnage », relate-t-il. Grâce à cette taille plus longue, il obtient de façon régulière 45 à 50 hl/ha de vins plus frais qu'auparavant.

D'autres facteurs sont en jeu

« Même si la taille n'est pas le seul levier d'augmentation des rendements, elle peut y contribuer », admet Marion Claverie, de l'IFV. Cette agronome a montré que l'on pouvait augmenter les rendements, sans perte de qualité, en rallongeant la taille dans les parcelles ayant un bon potentiel viticole. « Là où les cahiers des charges le permettent, une hausse de la charge en bourgeons est à raisonner en fonction du potentiel de la parcelle et du rendement. Mais un diagnostic complet sur les causes de sous-productivité d'un vignoble reste la meilleure option pour s'assurer d'un accroissement durable des rendements. »

Des cahiers des charges trop contraignants

Plusieurs ODG du Val de Loire revendiquent la suppression des contrôles de la taille. « Notre cahier des charges est trop rigoureux. Il a été écrit dans un contexte très différent d'aujourd'hui. Il faut redonner de la souplesse au viticulteur au moment de la taille et ne sanctionner qu'en cas de charge excessive avant la récolte. L'allongement de la taille permettrait un gain de production compatible avec le rendement autorisé », soutient Alain Godeau, président de l'ODG Touraine où le nombre maximal d'yeux francs par souche est fixé à 11 et la densité minimale à 4 500 pieds/ha.

Daniel Tevenot, président de l'ODG Cheverny, est en butte aux mêmes difficultés. L'an dernier, l'appellation a obtenu de l'Inao une modification de son cahier des charges pour passer de 11 à 13 yeux par pied. Mais le nombre de rameaux fructifères après floraison reste, lui, à 11 au maximum. « Nous souhaitons supprimer la taille comme point principal de contrôle. Ce qui importe, c'est le rendement final. Un contrôle avant récolte suffirait », argumente-t-il. Des discussions sont engagées avec l'Inao. « S'il y avait une démarche des ODG au niveau national, on aurait plus de poids », glisse, pour finir, Alain Godeau.

Un choix qui ne fait pas l'unanimité

Les conseillers viticoles sont circonspects à l'idée d'allonger la taille pour augmenter les rendements. Premier frein qu'ils soulèvent : le cahier des charges de la plupart des appellations laisse peu de marge de manoeuvre, le nombre d'yeux par pied ou par baguette y étant clairement précisé. « Si on veut augmenter durablement le potentiel de production, il faut agir sur tous les autres leviers : renouvellement du vignoble, remplacement des manquants, choix du matériel végétal, repos du sol... », met en garde Michel Badier, conseiller à la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. « En rallongeant la taille de souches peu vigoureuses, on risque de les affaiblir et de perdre en qualité comme en quantité. Il faut raisonner la taille en fonction de la vigueur des pieds », argumente Cédric Elia, de la chambre d'agriculture de la Gironde. Guillaume Castaldi, conseiller dans le Maine-et-Loire, observe, quant à lui, qu'il est courant de rallonger la taille dans les parcelles présentant beaucoup de manquants, mais il estime que c'est une solution de court terme. « En augmentant la charge, on fatigue le cep. Une vigne ne peut pas donner plus que ce que permet le sol », assure-t-il.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :