En Alsace, des scientifiques mènent depuis 2014 une étude inédite. Ils veulent savoir ce que devient le cuivre après son application sur la vigne, quelle est la part qui s'accumule dans les sols, celle absorbée par les plantes et celle qui ruisselle avec les eaux de pluie. Connaître l'impact des pratiques d'entretien du sol sur le devenir du cuivre, tel est l'objet du projet Pacov (Plateforme alsacienne du cuivre d'origine viticole).
Le terrain de recherche : le bassin viticole de Rouffach (Haut-Rhin) qui couvre 42,7 ha dont 25 ha de vignes cultivées par 35 viticulteurs. Les scientifiques y ont réalisé un grand nombre de mesures en 2015 et 2016. Ils ont recueilli toutes les données climatiques grâce à une station météo implantée au milieu du bassin. Ils ont quantifié les flux d'eau et de terre à l'exutoire du bassin et dans deux parcelles : pour l'une, en conduite « classique » (enherbement de 30 %), un interrang est travaillé et l'autre enherbé naturellement et le cavaillon désherbé chimiquement, pour l'autre, en conduite « pied à pied », un interrang est travaillé de rang à rang, et l'autre enherbé de rang à rang (enherbement 50 %). Ils ont recueilli et analysé des échantillons de feuilles de vignes et d'enherbement. Enfin, ils ont inventorié les programmes de traitement de tous les viticulteurs. Un travail colossal.
Premier constat : les viticulteurs appliquent en moyenne 1,24 kg de cuivre par hectare et par an. « La réglementation impose de ne pas dépasser 6 kg/ha/an en moyenne sur cinq ans. Donc on est largement en dessous. Mais les quantités appliquées dépendent des conditions climatiques. En 2016, du fait de la forte pression de mildiou, certains sont allés jusqu'à 4 kg/ha/an. Il n'y a pas de différences entre les viticulteurs bio et les conventionnels : ils appliquent les mêmes quantités mais les bios font souvent plus de passages à de moindres doses », détaille Gwenaël Imfeld, chercheur au CNRS et coordinateur scientifique du projet. Autre observation : les viticulteurs n'appliquent pas que de la bouillie bordelaise. Selon les conditions climatiques, ils optent pour d'autres formes de cuivre comme l'hydroxyde ou l'oxyde cuivreux.
Où va ce cuivre ? 99 % des quantités appliquée restent dans le sol. « Nous estimons le stock initial de cuivre dans les cinq premiers centimètres du sol, avant toute plantation de vigne, à 200 kg/ha. Aujourd'hui, nous mesurons 1 670 kg/ha. On a donc un taux d'accumulation moyen de 1,2 kg/ha/an, sachant que les doses de cuivre utilisées par le passé étaient beaucoup plus importantes », note Gwenaël Imfeld.
Ce cuivre se situe principalement dans les premiers centimètres du sol. Mais cela tient au sol très calcaire rencontré à Rouffach et au fait que les viticulteurs pratiquent l'enherbement. « Le cuivre se lie très rapidement aux carbonates et à la matière organique. On le retrouve donc principalement dans les vingt premiers centimètres du sol. Il n'y a pas d'enrichissement en profondeur. On retrouve cela dans tous les sols pourvus d'un couvert organique suffisant. Sur un sol nu, le cuivre a davantage tendance à descendre plus en profondeur ou à être mobilisé par le ruissellement lors des épisodes pluvieux », précise le biogéochimiste.
Pour le reste, une infime partie du cuivre - 0,3 % des quantités appliquées - est absorbé par la végétation, notamment par l'enherbement. Enfin, 0,7 % est exporté dans les eaux de ruissellement par un mécanisme très simple : le cuivre se fixe à la matière organique et aux argiles. Or, ces particules sont facilement lessivées en cas de pluie. Un phénomène d'autant plus important que les pluies sont intenses. Les pratiques culturales déterminent elles aussi les pertes par ruissellement. En 2015, la quantité de cuivre exportée dans la parcelle conduite en « pied à pied » a été deux fois plus importante que dans la parcelle conventionnelle. La raison : la parcelle conduite en « pied à pied » a été labourée, désherbée mécaniquement sous le cavaillon et fauchée juste avant une forte pluie, ce qui a eu pour effet d'entraîner du cuivre hors de la parcelle. « La plus grande partie du cuivre exporté depuis cette parcelle au cours de la saison l'a été lors de cet événement pluvieux qui a suivi le travail du sol. Pour limiter l'érosion et donc le transfert du cuivre, l'enherbement des parcelles joue un rôle clé », recommande le scientifique. Heureusement, plus de 95 % du cuivre qui sort de la parcelle par ruissellement est associé à des particules. « Comme elles sont lourdes, elles se déposent sur les routes et dans le bassin d'orage situé en contrebas du bassin-versant. Ce dispositif est donc un bon complément des efforts faits en amont pour retenir le cuivre au niveau du bassin-versant. Mais, en aucun cas, ces dispositifs ne doivent servir d'alibi pour ne pas réduire les doses de cuivre », insiste Gwenaël Imfeld.
Seule la fraction dissoute du cuivre se retrouve dans les rivières. La plupart du temps, elle va se lier aux sédiments, devenant ainsi indisponible. Cependant, en cas de changement de pH ou de potentiel Redox, ce cuivre peut se libérer et devenir toxique pour les algues présentes.
« En France, il n'y a pas de seuil de toxicité pour le cuivre dans l'eau. Mais, aux États-Unis, la limite est de 15 µg/l. Or, c'est ce que l'on trouve à l'exutoire du bassin-versant dans les eaux de ruissellement. Le cuivre qui s'exporte dans les rivières peut donc être potentiellement toxique pour la vie aquatique », indique Gwenaël Imfeld.
Cette étude est donc riche d'enseignements. Toutefois, elle ne représente pas toutes les situations. « Dans le bassin-versant de Rouffach, les sols sont très calcaires, leur pH étant de 8. C'est plutôt rare. Dans ces sols, la rétention du cuivre est particulièrement efficiente », précise Gwenaël Imfeld. Il serait donc intéressant de mener des études similaires dans des sols moins calcaires.
Instrumentation des parcelles
L'originalité de l'étude repose sur son dispositif expérimental. Les chercheurs ont notamment « instrumenté » deux parcelles voisines. Ils y ont creusé des fosses dans lesquelles ils ont disposé des plaques lysimétriques à 40 et 80 cm de profondeur. Ces plaques sont connectées à des flacons qui récoltent les eaux d'infiltration par gravité. Des sondes mesurent l'humidité et la température du sol toutes les 10 minutes. Des gouttières ont été installées pour récolter les eaux de ruissellement en bas des parcelles avec des appareils automatiques de mesure des débits écoulés et des préleveurs réfrigérés pour collecter et conserver les échantillons d'eau.
Le Point de vue de
CHRISTINE KLEIN, DIRECTRICE D'EXPLOITATION DU DOMAINE VITICOLE DU LYCÉE DE ROUFFACH
« Aujourd'hui, se passer du cuivre est utopique »
« Nous sommes partie prenante dans l'étude réalisée sur le bassin-versant puisque c'est l'une de nos parcelles qui a été instrumentée. Les résultats ne nous surprennent pas. Nous savons que le cuivre s'accumule dans les sols et qu'il y en a peu qui part dans les eaux de ruissellement. Il faut savoir que nos pratiques n'ont rien à voir avec celles des années 1950. À cette époque, la bouillie bordelaise était le produit que l'on utilisait en priorité pour lutter contre le mildiou à des doses allant jusqu'à 20 kg/ha à chaque application. Depuis, les choses ont bien évolué. Sur l'ensemble du domaine, nous appliquons uniquement du cuivre pour lutter contre le mildiou. En 2015 et 2016, nous n'en avons mis que de 2 à 2,5 kg/ha en moyenne. C'est largement en dessous de la limite réglementaire qui est de 6 kg/ha/an en moyenne en cinq ans. Descendre en dessous nous paraît plus difficile mais on peut essayer de réduire les doses en combinant les applications de cuivre avec des purins de prêle ou d'ortie pour renforcer l'efficacité et stimuler les défenses naturelles. Mais il faut rester très vigilant, 2016 nous l'a montré. Certains viticulteurs bio ont eu de sévères pertes de récolte. Les marges de progrès sont limitées et se passer du cuivre est utopique. L'arrivée des cépages résistants au mildiou pourra changer la donne. Mais pas avant une bonne dizaine d'années.