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Magazine - Étranger

Arménie Un essor contrarié

THIERRY JOLY - La vigne - n°292 - décembre 2016 - page 84

Grâce à de gros investissements, les Arméniens produisent des vins de qualité. Mais la crise économique en Russie et l'arrivée du phylloxéra menace leurs efforts.
TRINITY CANYON (à gauche), un domaine proche d'Areni qui a en propre 6 ha, et Armenia Wines, le plus gros producteur de vin du pays, qui possède 50 ha dans la province d'Armavir. T. JOLY

TRINITY CANYON (à gauche), un domaine proche d'Areni qui a en propre 6 ha, et Armenia Wines, le plus gros producteur de vin du pays, qui possède 50 ha dans la province d'Armavir. T. JOLY

 T. JOLY

T. JOLY

VAHAGN MKRTCHYAN, codirecteur d'Armenia Wines, le plus grand producteur de vin d'Arménie.  T. JOLY

VAHAGN MKRTCHYAN, codirecteur d'Armenia Wines, le plus grand producteur de vin d'Arménie. T. JOLY

LE SIÈGE d'Armenia Wines, situé à proximité d'Erevan, la capitale du pays. T. JOLY

LE SIÈGE d'Armenia Wines, situé à proximité d'Erevan, la capitale du pays. T. JOLY

RÉCEPTION DU RAISIN à Armenia Wines, qui a investi dans une cuverie dernier cri. T. JOLY

RÉCEPTION DU RAISIN à Armenia Wines, qui a investi dans une cuverie dernier cri. T. JOLY

DAVID OGANESYAN (à droite), directeur de Voskevaz, et Alexey Sapsay, oenologue.  T. JOLY

DAVID OGANESYAN (à droite), directeur de Voskevaz, et Alexey Sapsay, oenologue. T. JOLY

HOVAKIM SAGHATELYAN, directeur de Trinity Canyon, à côté d'un karas, la jarre en terre cuite traditionnelle pouvant contenir jusqu'à 1 000 l. T. JOLY

HOVAKIM SAGHATELYAN, directeur de Trinity Canyon, à côté d'un karas, la jarre en terre cuite traditionnelle pouvant contenir jusqu'à 1 000 l. T. JOLY

C'est peu dire qu'en Arménie la tradition viticole est ancestrale. Les archéologues ont ainsi mis à jour une cave vieille de 6 200 ans près du village d'Areni, dans la province centrale de Vayots Dzor. Aujourd'hui, c'est l'une des deux grandes régions viticoles avec l'Aragatsotn, à l'ouest d'Erevan, la capitale.

Pour autant, aucun des quarante producteurs de vin actuels n'existait avant 1994, le régime soviétique imposant au pays la production exclusive de brandy. « Ce n'est que depuis une dizaine d'années que la production de vins de qualité se développe », relate Vahagn Mkrtchyan, l'un des deux propriétaires d'Armenia Wines, le plus grand producteur de vin d'Arménie situé à proximité de la capitale. Une évolution portée par de nouveaux entrepreneurs, pour certains issus de la diaspora, qui ont fait appel à des consultants français et italiens et investi dans des cuveries dernier cri.

Ces sociétés exportent 70 % à 95 % de leur production, essentiellement vers la Russie. Un marché qui s'est réduit brutalement en raison de la crise économique qui y sévit. « Nos ventes y ont chuté de 2,3 millions à 1,5 million de cols entre 2015 et 2016. Une baisse que la hausse de notre marché local et nos nouveaux débouchés en Chine et au Mexique n'ont pas compensée », avoue Vahagn Mkrtchyan. « Depuis cette année, nous exportons vers l'Union européenne. Mais y trouver des clients demande du temps car nous manquons de notoriété », ajoute David Oganesyan, propriétaire de la winerie voisine, Voskevaz, qui a dû réduire sa production de 400 000 à 210 000 l entre 2015 et 2016.

Ces entreprises achètent tout ou partie du raisin qu'elles vinifient à des viticulteurs. Leurs déboires se répercutent donc sur eux. D'autant que les producteurs de brandy sont dans la même situation. Exploitant de 0,5 à 5 ha, les vignerons détiennent 95 % du vignoble du pays. « En 2015, le prix du kilo de raisin est tombé de 35-50 cents à 18 cents », révèle Alexey Sapsey, l'oenologue de Voskevaz. Les cours sont remontés cette année à la suite d'une faible récolte, mais les viticulteurs rentrent tout juste dans leurs frais, et les vignes sont mal entretenues.

« L'hétérogénéité de la qualité des raisins que nous collectons est notre plus gros problème », souligne Grigor Aleksanyan, le maître de chai d'Armenia Wines. Pourtant, les oenologues parcourent les vignes afin de conseiller leurs apporteurs réguliers et ils accordent un bonus de 25 % à ceux qui vendangent en vert.

Avoir son propre vignoble est l'objectif de toutes les wineries, mais les terres sont rares, morcelées et chères. Il faut compter de 5 000 à 10 000 €/ha, voire plus, car il faut un accès à l'eau, l'irrigation étant indispensable en été où il ne pleut guère. Les 50 ha que possède Armenia Wines sont ainsi à 50 km de la cave, dans la province d'Armavir où, comme dans celle d'Ararat, les vignes sont surtout dédiées au brandy.

Armenia Wines va planter 70 ha plus proches de son chai. « 4 ha seront conduits en bio, avec du goutte-à-goutte, des filets antigrêle et un dispositif contre le gel », détaille Vahagn Mkrtchyan.

Des protections bien utiles. En effet, plusieurs fléaux menacent les vignobles arméniens, lesquels s'étagent entre 1 000 et 1 600 m d'altitude. En hiver, les températures descendant jusqu'à - 20 °C, il est nécessaire d'enterrer les vignes là où il neige peu. Puis des gelées peuvent survenir jusqu'en mai. Enfin, la grêle est récurrente en mai et juin.

Autre souci, le phylloxéra. Il a fait son apparition au nord et au sud du pays, sans doute véhiculé par des plants venant d'Azerbaïdjan ou de Géorgie, deux pays où il est présent. Une épée de Damoclès sur la filière car 95 % des vignes sont franches de pieds.

« Les autorités tentent de l'enrayer par la mise en quarantaine des régions infectées et l'arrachage des parcelles touchées », indique Hovakim Saghatelyan, directeur de Trinity Canyon, un domaine proche d'Areni qui possède 6 ha et produit 32 000 cols/an. Toutefois, le pays se prive du principal moyen de lutte car, à ce jour, il est interdit de greffer les cépages locaux sur des porte-greffes étrangers alors que l'inverse est autorisé. « À condition d'utiliser des greffons provenant de pays indemnes du phylloxéra », précise Hovakim Saghatelyan.

Mais les exploitations privilégient les cépages autochtones. « L'Arménie en possède plus de 300 dont certains devenus très rares », regrette Jean-Baptiste Soula, consultant pour Armenia Wines. En rouge, le plus cultivé et le plus réputé est l'areni, suivi de l'haghtanak, du karmrahyut et du kakhet. En blanc, le meilleur est le voskehat, devant le khatun kharji et le kangun aussi utilisé pour le brandy. « Si on ne dépasse pas 7 t/ha, il donne d'excellents vins tranquilles ou effervescents », assure Vahagn Mkrtchyan.

Parallèlement, la plupart renouent avec la tradition de la fermentation et de l'élevage en karas, des jarres en terre cuite pouvant contenir jusqu'à 1 000 l. Zorah Wines, un domaine de 9 ha à la notoriété internationale, est en outre revenu à la conduite de la vigne sans palissage, comme c'était jadis la tradition.

Par ailleurs, les producteurs espèrent améliorer leur rentabilité en développant le segment premium car si le prix des vins va de 3 à 20 €, à ce jour, l'essentiel des ventes se fait sur les vins d'entrée de gamme.

Objectif : développer le marché local

« Il y a trois ans, nous avons ouvert le premier bar à vins d'Erevan, la capitale. Aujourd'hui,

il y en a dix », informe Hovakim Saghatelyan. C'est bien peu pour une ville d'un million d'habitants. Et la consommation par habitant n'est que de 2 litres par an contre plus de 10 pour la vodka. Afin de développer leur marché, les wineries misent sur l'oenotourisme. Armenia Wines va ainsi ouvrir en 2017 un musée sur l'histoire du vin. Voskevaz construit, lui, un centre culturel qui abritera artistes et artisans. Ceci en complément des visites de caves et dégustations. « Depuis l'ouverture de notre nouveau caveau, nous réalisons 10 % de nos ventes sur place auprès d'Arméniens et de touristes étrangers », dévoile Vardan Mkrtchyan, le directeur d'Hin Areni. Par ailleurs, afin de séduire de nouveaux clients, les domaines diversifient leur production. Ils se mettent à vinifier des rosés et des effervescents alors que, traditionnellement, ils ne vinifiaient que des rouges et des blancs. « Le rosé compte désormais pour 30 % de nos ventes », observe Hovakim Saghatelyan.

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