Le marché du foncier en vallée du Rhône reprend des couleurs. « Il est à nouveau actif depuis quatre ou cinq ans », affirme Fabrice Triep Capdeville, directeur pour le Vaucluse à la Safer Paca. Ainsi, dans ce département qui compte 46 000 ha de vignes, les surfaces vendues ont augmenté de 23 % entre 2014 et 2015 pour atteindre 595 ha. « En 2004-2005, à l'époque de la mévente des vins, le prix des vignes en appellation Côtes du Rhône et Côtes du Rhône-villages a chuté d'environ 30 à 40 %, relève un notaire vauclusien membre du réseau Jurisvin. Désormais, elles ont retrouvé leur valeur d'avant la crise. »
Les plans de restructuration du vignoble ont rajeuni l'outil de production. Les prix des vins se sont redressés sur le marché du vrac. « Les bilans de nos clients s'améliorent d'année en année, observe Grégory Herbet, expert-comptable associé au cabinet Giornal à Orange. Ce qui les pousse à acquérir du foncier pour agrandir leur exploitation. »
« Les professionnels locaux - vignerons en cave particulière, coopérateurs et négociants - dopent le marché du foncier, souligne Fabrice Triep Capdeville. Ils cherchent des vignes en très bon état. »
Autre fait marquant : la région n'a jamais attiré autant de « néo-investisseurs » en quête de domaines viticoles. « Ils représentent les deux tiers des transactions que nous réalisons dans la vallée du Rhône, indique Michel Veyrier, fondateur de Vinea Transaction qui possède une agence à Châteauneuf-du-Pape. La vallée du Rhône a une image proche de la Provence tout en étant plus accessible. Et elle affiche une meilleure rentabilité que le Languedoc. »
Mais, tous les secteurs ne présentent pas le même attrait. Les côtes-du-rhône régionaux restent peu recherchés. Après avoir progressé, leurs prix se stabilisent. Un hectare de côtes-du-rhône régional se négocie entre 15 000 et 20 000 € en moyenne. « Le gros des acheteurs, c'est des vignerons qui se positionnent par opportunité lorsqu'ils ont l'occasion d'acheter des vignes qui touchent les leurs », observe Charles Trossard, conseiller d'entreprise à Cerfrance Drôme Vaucluse.
En AOC Côtes du Rhône, certaines parcelles se monnayent beaucoup plus cher. Jusqu'à 27 000 €/ha, selon la Safer du Vaucluse. « L'aire d'appellation est vaste, explique Fabrice Triep Capdeville. Les vignes situées dans la Drôme sont moins prisées que celles se trouvant dans le Vaucluse à proximité des crus comme Châteauneuf-du-Pape, Gigondas... »
Dans ces secteurs, les caves particulières font grimper les prix du foncier. « Elles cultivent généralement plusieurs appellations, des côtes-du-rhône, des villages et des crus. Elles sont prêtes à payer au prix fort une parcelle de côtes-du-rhône qui jouxtent leur exploitation », poursuit-t-il.
Si le foncier en appellation Côtes du Rhône stagne, la cote des crus les plus célèbres s'envole. Avec un trio de tête dans la partie méridionale : Châteauneuf-du-Pape, Gigondas et Vacqueyras. Et un quatuor au Nord : Crozes-Hermitage, Saint-Joseph, Cornas et Côte-Rôtie.
L'hectare à Châteauneuf-du-Pape augmente de 2,5 % chaque année depuis quatre ans. Il a atteint 370 000 € en 2015, selon la Safer. Les agences immobilières évoquent, pour leur part, 400 000 €/ha. D'après ces dernières, le cru Gigondas a franchi la barre des 200 000 €/ha cette année. « Ces crus intéressent les investisseurs, mais il y a peu d'offre, observe Michel Veyrier. Notamment à Gigondas, où l'aire d'appellation est cinq fois plus petite que celle de Châteauneuf-du-Pape, avec 1 300 ha. » Des vignerons cherchent aussi à investir dans ces appellations. « Ils y voient un moyen d'accroître leur patrimoine », précise Charles Trossard.
Dans le sillage de leurs aînés, Rasteau et Cairanne, récemment reconnus comme crus, « devraient franchir la barre des 100 000 €/ha, d'ici quatre à cinq ans », présage Michel Veyrier. De même, Beaumes-de-Venise en rouge commence à susciter les convoitises.
Même combat au Nord. À Crozes-Hermitage, un nouveau phénomène voit le jour. Le négoce local et des investisseurs extérieurs tentent d'acquérir des terres nues classées dans l'aire d'appellation. Leur valeur ? Entre 20 000 et 25 000 €/ha, contre 90 000 à 130 000 €/ha pour des vignes. « Ces acheteurs espèrent obtenir des autorisations de plantations nouvelles », confie un observateur.
Les autres pépites se trouvent en côtes-du-rhône-villages avec un nom de commune. À commencer par le Plan-de-Dieu dont la bonne santé économique attire les acheteurs. « Le prix des vignes dans cette appellation a gagné 8 000 à 10 000 €/ha, entre juillet 2015 et février 2016, pour se situer aux alentours de 35 000 à 38 000 €/ha, commente Grégory Herbet. Avec plusieurs acquéreurs pour une même propriété à la vente. » Sablet et Séguret jouissent aussi d'une certaine dynamique, car ces appellations sont situées au pied des Dentelles de Montmirail.
Moins connus, les côtes-du-rhône-villages Valréas et Visan, de même que le cru Vinsobres ne décollent pas. Et dans les appellations périphériques, Luberon, Ventoux et Costières de Nîmes, le marché des transactions parcellaires est peu actif. « Il y a toutefois une demande soutenue en Ventoux et en Luberon pour des propriétés viticoles », assure Michel Veyrier.
Avec la baisse des taux d'intérêt, les vignerons rhodaniens financent leurs achats en recourant en totalité à l'emprunt. Les « néo » investisseurs paient une grande partie des biens avec leurs fonds propres. Ils complètent avec du crédit bancaire. Ils logent le plus souvent le foncier et l'exploitation au sein d'une même société.
Les vignerons déjà en place font plutôt supporter l'achat des vignes à un GFA qui les donne en location à bail à long terme à leur société d'exploitation. Quant au retour sur investissement, il dépend des appellations. Il faut compter une dizaine d'années pour une vigne de côtes-du-rhône achetée entre 20 000 et 30 000 €. À Châteauneuf-du-Pape, l'amortissement s'opère sur plusieurs générations.
Le GFV a le vent en poupe
Dans les crus réputés comme Châteauneuf-du-Pape, où le prix des terres flirte avec les 400 000 €/ha, des vignerons désireux de s'agrandir constituent des groupements fonciers viticoles (GFV). « C'est assez récent », indique Michel Veyrier, fondateur de Vinea Transaction. Les vignerons y font entrer de riches particuliers. Le GFV achète les vignes puis les donne à bail à long terme aux exploitants. Les associés sont généralement rétribués en bouteilles au prorata des parts qu'ils détiennent dans la société. Ils bénéficient en outre d'avantages fiscaux, ce qui explique l'engouement actuel pour ce type d'investissement.
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Nathalie Margan, domaine de la Canorgue, 38 ha à Bonnieux (Vaucluse)
« Non, pour moi ce n'est pas intéressant. Je ne souhaite pas m'agrandir. Je me suis installée en 2000 sur l'exploitation familiale de 38 ha, dans le Luberon. Mon père l'avait reprise en 1974. Elle ne comptait que 3 ha à l'époque. Il l'a agrandie petit à petit. Aujourd'hui, nous exploitons la moitié des vignes en propriété, le reste en fermage. Nous avons atteint une taille convenable. Si nous allions au-delà, nous ne pourrions pas contrôler aussi finement qu'aujourd'hui la production de nos vins. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Alain Jaume, 150 ha à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse)
« Oui, car nos trois enfants nous ont rejoints sur l'exploitation. À l'arrivée de mes deux fils, en 2003, nous possédions 40 ha en Châteauneuf-du-Pape et Côtes du Rhône. Nous avons acheté 14 ha de vignes à Lirac. En 2007, 17 ha supplémentaires dans cette même appellation. Puis, en 2013, quand ma fille a rejoint l'exploitation, nous avons acquis un domaine de 11 ha à Vacqueyras. Enfin, l'an passé, une propriété de 55 ha en Côtes du Rhône. Ces acquisitions étaient nécessaires pour faire vivre quatre exploitants. Par ailleurs, nous avons développé une activité de négoce. Et nous sécurisons ainsi nos approvisionnements. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Marc Lafont, 4,6 ha à Sainte-Cécile-les-Vignes (Vaucluse)
« Oui, puisque je suis en phase d'installation. Je me suis lancé sur un demi-hectare de vignes familiales. À la suite de ça, j'ai acheté 2,24 ha de vignes et une parcelle de 1,9 ha, à restructurer dans le massif d'Uchaux par le biais de la Safer. J'ai contracté un crédit pour les financer. J'ai un second travail qui me permet de rembourser les mensualités. Je recherche de nouvelles vignes, mais en fermage. J'aimerais ainsi parvenir à 6 ha rapidement. »
ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT ACHETER DES VIGNES ? Jean-Baptiste Paquet, domaine Galus, 12 ha à Meynes (Gard)
« Oui. Nos ventes en bouteilles progressent. Nous voulons ainsi accompagner cette croissance. En 2013, nous avons dû vendre nos 12 ha en Costières-de-Nîmes à Ocvia - une filiale de la SNCF - dans le cadre de la construction de la ligne TGV Nîmes-Barcelone. Elles produisaient peu. Après cela, nous avons racheté 4 ha de vignes sans manquant âgées de 15 à 20 ans. Nous avons également repris 5 ha en fermage. Aujourd'hui, nous envisageons d'acquérir 3 ha supplémentaires qui sont à la vente près de chez nous. L'objectif étant de parvenir à 15 ha. »