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DOSSIER - Le travail du sol en questions

Le travail du sol en questions

PAR FLORENCE JACQUEMOUD - La vigne - n°294 - février 2017 - page 14

Le travail mécanique du rang se développe pour réduire l'usage des herbicides. Mais ce n'est pas sans conséquences. Cette technique provoque une hausse des coûts et des temps de travaux et parfois une baisse des rendements. Voici ce qu'il faut savoir avant de se lancer et le témoignage de domaines expérimentés qui s'en sortent.
LE DÉCAVAILLONNAGE est l'opération qui demande le plus de temps et la plus grande attention pour ne pas abîmer les ceps.  © P. ROY

LE DÉCAVAILLONNAGE est l'opération qui demande le plus de temps et la plus grande attention pour ne pas abîmer les ceps. © P. ROY

« Ce qui compte le plus dans le coût du désherbage mécanique, c'est le temps passé. » Christophe Gaviglio, de l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) Sud-Ouest.

« Ce qui compte le plus dans le coût du désherbage mécanique, c'est le temps passé. » Christophe Gaviglio, de l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) Sud-Ouest.

« Lorsqu'on choisit cette façon de conduire sa vigne, le travail du sol devient prioritaire, ce qui peut bouleverser les habitudes. » Loïc Pasdois, conseiller en agro-équipement viticole à la chambre d'agriculture de la Gironde © F. PRIOU CA33

« Lorsqu'on choisit cette façon de conduire sa vigne, le travail du sol devient prioritaire, ce qui peut bouleverser les habitudes. » Loïc Pasdois, conseiller en agro-équipement viticole à la chambre d'agriculture de la Gironde © F. PRIOU CA33

1. Combien ça coûte ?

« Le coût de l'entretien mécanique du sol sous le rang est facilement 2 à 2,5 fois supérieur à celui d'un entretien chimique », reconnaît Christophe Gaviglio, de l'IFV (Institut français de la vigne et du vin) Sud-Ouest. Il faut en effet prendre en compte l'achat et l'entretien du matériel, le temps de montage et de démontage et celui du réglage des outils, les passages qui sont au moins deux fois plus fréquents qu'en désherbage chimique, le salaire du chauffeur, le gasoil...

Christophe Gaviglio calcule que, dans une vigne large du Sud-Ouest plantée à 4 500 pieds par hectare, un ensemble tracteur-outil-chauffeur peut désherber mécaniquement 15 ha sous le rang, à raison de quatre passages par an. Cela coûtera environ 430 €/ha/an. Or, le même ensemble peut désherber chimiquement 25 ha, car le travail est plus rapide et qu'il suffit de deux passages seulement par saison. Ainsi, le désherbage chimique revient à seulement 200 €/ha/an.

Dans les vignes plus étroites, le travail du rang coûtera bien plus cher car il nécessite plus de passages et donc de temps. Dans des parcelles plantées à 1,10 m x 1 m, pour cinq interventions annuelles, il faut compter, selon Christophe Gaviglio, jusqu'à 750 €/ha. Un surcoût qu'il explique aussi par le fait qu'un enjambeur coûte beaucoup plus cher qu'un tracteur.

« Ce qui compte le plus dans le coût du désherbage mécanique, c'est le temps passé, reprend-t-il. Les passages sont plus nombreux et plus lents que pour le désherbage chimique. Le coût du matériel intervient également, mais moins que le temps de travail. Et il existe un autre facteur à prendre en compte : l'impact du changement de pratique sur la vigne. Un passage trop brutal au désherbage mécanique provoque d'importantes pertes de rendement. Ce qui constitue alors un surcoût non négligeable ! »

D'autres paramètres sont à considérer :

- la nature du sol qui détermine la vitesse d'usure du matériel ;

- la pluviométrie car la vitesse de croissance des adventices en dépend, et donc le nombre d'interventions par an ;

- enfin, la compétence des chauffeurs qui joue sur le débit de chantier, la casse et la qualité du travail.

Chaque exploitation étant un cas particulier, pour évaluer précisément le coût du travail du sol par passage, il faut prendre en compte ces différents paramètres.

2. Comment s'équiper ?

Il paraît difficile, voire impossible de se contenter d'un seul outil. Dans la plupart des situations, il en faut au moins deux : l'un puissant, l'autre rapide. Disposer d'un panel d'outils complet permet aussi de s'adapter aux conditions de l'année afin de ne pas « courir après l'herbe » et de gérer les déplacements de la terre entre l'interrang et le rang.

« En général, pour reprendre le sol à la sortie de l'hiver, on utilise une charrue décavaillonneuse ou un outil rotatif. Ces machines ont un fort impact sur les adventices. Mais elles entraînent des débits de chantier relativement faibles, explique Loïc Pasdois, conseiller en agro-équipement viticole à la chambre d'agriculture de la Gironde. Puis, en cours de saison, on opte pour des outils de travail superficiel (lame ou charrue à disque) permettant d'aller plus vite. »

Dès lors, comment choisir le bon matériel ? Pour les experts, il n'y a pas de réponse unique à cette question. C'est à chacun de voir en fonction de ses objectifs et contraintes.

« On peut s'équiper d'outils monotâches, comme une charrue décavaillonneuse mécanique (Boisselet), une bineuse à doigts (Kress) ou une lame interceps (Radius SL de Clemens), détaille Loïc Pasdois. Chacun coûte de 5 000 à 9 000 € HT. Mais si on souhaite par la suite faire évoluer sa pratique, on sera obligé de réinvestir à chaque fois dans un équipement complet incluant un intercep et un outil de travail du sol. »

Pour éviter cela, il faut se tourner vers des équipements polyvalents composés d'un système d'effacement pouvant recevoir différents outils complémentaires tels que des socs, des lames, des griffes, des disques, des tondeuses, etc. C'est le cas de la gamme Biomatic de Boisselet (Servo-moteur 315), du LUV Perfekt de Braun, du Mini-sillon d'Egretier, du Reflex de Belhomme ou du système Dude d'Aguilar Bernardoni. « Ces solutions sont moins onéreuses », estime Loïc Pasdois.

De son côté, Christophe Gaviglio met l'accent sur un autre critère qui a son importance : la facilité de réglage et la vitesse de travail permise par une machine. « Plus les outils sont simples à utiliser, avec un minimum de réglages et une rapidité d'exécution dans la vigne, plus on gagnera de temps », argumente-t-il. Le Kult de Kress, les lames bineuses Pagès et divers disques de chaussage (Clemens, Braun, Actisol...) satisfont à ces exigences.

En contrepartie, il est plus difficile de régler la sensibilité d'effacement de ces outils. Le sol devra être bien préparé pour qu'ils puissent évoluer correctement. Et ils ne pourront pas être employés dans des vignes accueillant de jeunes complants.

Ainsi, les viticulteurs disposant de peu de matériels et de temps ne doivent pas chercher à obtenir un jardin sous le rang. Ils devront tolérer un certain volume d'adventices qu'ils pourront contrôler avec des désherbeuses à fils (Herbanet, Olmi, Multiclean).

3. Quelles précautions prendre avant de s'équiper ?

Testez le matériel que vous envisagez d'acheter. « Quel que soit l'outil dans lequel on souhaite investir, il faut absolument demander une démonstration sur l'exploitation, ce qui n'est pas toujours facile à obtenir », insiste Patrice Coll, conseiller chez Viti-Œno Conseil, à Perpignan (Pyrénées-Orientales).

« Une fois que le matériel est arrivé au domaine, le vigneron doit le garder au moins une journée pour pouvoir l'essayer seul dans différents secteurs, ajoute Loïc Pasdois. Cela lui permettra d'apprécier le temps de montage et de réglage, et d'observer le comportement de l'outil au travail. L'investissement pouvant être important, il ne faut pas se tromper. »

Il ne faut pas non plus oublier de questionner le distributeur sur les évolutions possibles du matériel et sur la disponibilité et le coût des pièces de rechange. « Méfiez-vous des outils trop perfectionnés ! Ils sont souvent fragiles, complète Patrice Coll. Utilisés sur un sol caillouteux en dévers, ils peuvent casser. Des outils sophistiqués permettent un meilleur réglage, mais un réglage très fin dans une vigne chaotique, cela ne sert à rien. Beaucoup de vignerons équipés d'outils high-tech ne les sortent pas de leur hangar ! »

Selon les outils que l'on veut utiliser, il faut aussi vérifier que le tracteur possède une puissance hydraulique suffisante. Si ce n'est pas le cas, il faut investir dans une bonne centrale pour pouvoir utiliser des outils rotatifs. Une dépense supplémentaire à budgéter et qui ne sera pas inutile si l'on veut combiner des travaux. Pour réduire les coûts, notamment en temps de travail et en gasoil, il peut être judicieux de prévoir un travail sous le rang en même temps qu'une tonte de l'interrang, un rognage de la vigne ou un écimage. Les outils complémentaires sont alors montés en série. Autre avantage, réduire les passages du tracteur évite que la terre ne se tasse et forme une semelle de labour imperméable.

4. Faut-il dédier un tracteur au travail du sol ?

L'idée est tentante, car on gagne du temps. Mais cela coûte cher. En dédiant un tracteur ou un enjambeur au travail du sol, on supprime en effet les opérations de montage et de démontage des outils. Hervé Lepelletier, expert-comptable à l'AG2C (Association champenoise de gestion et de comptabilité), à Épernay (Marne), a fait le calcul pour un viticulteur souhaitant se lancer dans le travail du sol en Champagne. Il a considéré que celui-ci achetait pour 32 600 euros d'outils (charrues, interceps et tondeuse), utilisait un tracteur neuf ou d'occasion et qu'il lui fallait à chaque fois deux heures pour monter et démonter les outils, chaque heure étant payée 23,50 € et les machines s'amortissant en sept ans.

Si le viticulteur achète un tracteur neuf à 135 000 € pour le destiner exclusivement au travail du sol, cela lui coûtera six fois plus cher que de travailler avec le tracteur qu'il possède déjà. S'il achète un tracteur d'occasion à 30 000 €, cela doublera presque son coût. Exemple : s'il exploite 4 ha, le travail du sol avec un second tracteur lui coûtera 3 300 €/ha, tout compris (amortissement, main-d'oeuvre et gasoil) pour trois passages par an, au lieu de 1 795 €/ha s'il utilise son tracteur existant.

Pour justifier l'achat d'un second tracteur à 30 000 €, Hervé Lepelletier estime ainsi qu'il faut exploiter au moins 4 ha. Pour un enjambeur neuf (135 000 €), il place la barre à 10 ha.

« On peut réaliser tous les travaux viticoles sur 10 à 20 ha avec un ensemble tracteur-outil-chauffeur, y compris l'entretien mécanique du rang, indique Christophe Gaviglio. Mais tout dépend des fenêtres d'intervention disponibles qui sont liées à l'état du sol et à la concurrence des autres travaux de la vigne. Dans le Sud-Est, où le climat est plus sec, un seul tracteur peut convenir pour 20 ha. Dans des zones plus océaniques, où les herbes poussent plus vite, on sera limité entre 10 et 12 ha. Dans tous les cas, au-dessus de 30 ha, il faut disposer d'au moins deux ensembles tracteur-outil-chauffeur, faute de quoi on ne peut pas réaliser tous les travaux à temps. »

5. Faut-il se réorganiser ?

Oui, pour éviter de se laisser déborder par les mauvaises herbes. « Lorsqu'on choisit cette façon de conduire sa vigne, le travail du sol devient prioritaire, ce qui peut bouleverser les habitudes, souligne Loïc Pasdois. Plus question de dire qu'on s'en occupera quand on aura le temps, d'autant que, selon les conditions climatiques, les fenêtres d'intervention peuvent être réduites. »

« Le passage au désherbage mécanique nécessite aussi de se familiariser avec l'entretien et la réparation des outils, souligne-t-il. Cela va du graissage journalier au contrôle du jeu des roulements et au changement des lames avant qu'elles soient inutilisables. Mieux vaut d'ailleurs acheter des lames renforcées au carbure de tungstène. Elles sont plus coûteuses que les lames standards, mais elles ont une durée de vie nettement plus importante. »

6. Comment éviter les pertes de rendement ?

En commençant très prudemment par des interventions superficielles. En effet, le travail du sol oblige la vigne à réorganiser son système racinaire car il détruit les racines superficielles, qui sont les plus actives pour l'absorption de l'eau et des éléments minéraux. Dans tous les cas, il faut éviter au démarrage les outils les plus agressifs comme la décavaillonneuse.

L'IFV a observé des chutes de rendement de 5 à 40 % dans certaines parcelles durant les quatre premières années de travail mécanique, avant de revenir à des résultats équivalents à ceux du désherbage chimique. Pour tempérer les effets de ces pertes de rendement, les experts conseillent de ne pas passer toute une exploitation au travail mécanique en une fois, mais de procéder progressivement, en ajoutant de nouvelles parcelles tous les ans.

Les vieilles vignes qui n'ont jamais été travaillées mécaniquement sont les plus fragiles. Patrice Coll précise « qu'il vaut mieux commencer avec des griffages peu fréquents et profonds d'environ 5 cm seulement. Il faut ensuite surveiller l'état de salissure. » Quitte à combiner désherbage mécanique et chimique dans un premier temps. En réalité, la réaction des vignes dépend beaucoup de leur enracinement et de la profondeur des sols. D'où l'importance de faire en amont un diagnostic du sol. Quelques coups de bêche suffisent pour vérifier si le réseau racinaire est bien développé.

7. Peut-on se passer du décavaillonnage ?

Oui. Le cavaillonnage suivi du décavailllonnage est très efficace pour maintenir le rang propre. Mais avec une vitesse d'avancement de 2 km/h environ, les débits de chantier sont très faibles.

« Pour gagner du temps, on peut décavaillonner une fois tous les trois ans seulement, assure Romain Baillon, conseiller viticole à la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. C'est suffisant pour limiter l'installation des adventices. Les autres années, on peut mettre en oeuvre une stratégie moins chronophage, comme un léger buttage avec des disques crénelés à l'automne, puis plusieurs passages de disques interceps au printemps, qui vont petit à petit étaler la terre et faire disparaître la butte. »

Romain Baillon en profite pour nous livrer quelques conseils en vue d'améliorer le résultat d'un décavaillonnage lorsque les adventices sont déjà bien installées. « On peut placer des lames en position haute, devant les palpeurs des décavaillonneuses afin de coucher l'herbe et améliorer la précision des palpeurs. Des disques doubles crénelés, placés à l'arrière pour sectionner les racines des adventices, permettent d'améliorer l'efficacité du travail. »

Et pour ramener la terre vers le rang, Romain Baillon conseille d'ajouter un « V » en acier à l'arrière de la décavaillonneuse car « cela libère la zone de passage des roues ».

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