Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Esca Le mode d'action de l'arsénite décrypté

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°294 - février 2017 - page 34

Selon une équipe de recherche, l'arsénite de soude élimine les pathogènes présents dans l'amadou, opérant ainsi une sorte de curetage chimique. Le salicylate de bismuth aurait le même effet tout en étant moins toxique.
L'ESCA/BDA s'est exprimé fortement dans le vignoble français en 2016.

L'ESCA/BDA s'est exprimé fortement dans le vignoble français en 2016.

Interdit en 2001 en raison de sa toxicité, quel est le mode d'action de l'arsénite de soude ? C'est ce qu'a voulu savoir un consortium de chercheurs* en vue de trouver un produit ou une combinaison de solutions qui aurait un effet quasi similaire. Une de leurs conclusions : « L'arsénite est un produit très efficace. Dans nos essais, tous les ceps traités sont indemnes de symptômes. L'arsénite stérilise le pied en opérant une sorte de curetage chimique. Il n'enlève pas l'amadou mais tue les pathogènes présents à l'intérieur », résume Christophe Bertsch, de l'Université de Haute-Alsace qui a participé aux travaux.

Les chercheurs ont mis en place en 2014 et 2015 un essai dans trois régions pour le démontrer : en Champagne dans une parcelle de chardonnay, en Alsace sur du gewurztraminer et dans le Languedoc-Roussillon sur du merlot. En 2014, ils ont marqué les pieds qui exprimaient des symptômes d'esca. L'année suivante, ils ont traité qu'une partie des ceps malades avec de l'arsénite de soude. L'intervention a eu lieu trois semaines avant le débourrement avec l'application d'une concentration d'arsénite équivalente à celle qui était autorisée avant son interdiction. Puis ils ont arraché avant la floraison des ceps traités et des non-traités pour y doser l'arsénite de soude. Et ils ont réitéré cette dernière opération avant les vendanges, toujours dans le même but.

« Nous avons arraché tous les pieds avec leurs racines », insiste Florence Fontaine, de l'Université de Reims qui a coordonné ce travail. Les chercheurs ont également prélevé de la terre sous les ceps. Ils ont ensuite découpé les ceps pour séparer les racines, le tronc, les rameaux et les feuilles. Et, ils ont quantifié l'arsénite dans tous les organes de la vigne ainsi que dans le sol. Ils ont également analysé les gènes, les métabolites et la microflore de la plante. En 2015 et 2016, ils ont opéré des tests similaires en laboratoire sur des plants de trempanillo.

Résultat ? « On a trouvé de l'arsénite dans les pleurs et les diverses parties de la vigne. Cela montre que cette matière active circule dans la plante. On en a également observé dans le tronc. Dans les feuilles et les racines, la dose est plus faible. Ainsi, l'arsénite s'est surtout accumulé dans les nécroses et l'amadou, à savoir le tissu spongieux qui résulte de la dégradation du bois par les champignons. On en a aussi découvert dans le sol, sous les ceps traités, avec des concentrations cinq fois supérieures à celles constatées sous les ceps non traités. Dans la vigne, la concentration diminue au fil du temps : elle est plus forte avant la floraison qu'avant les vendanges », rapporte Florence Fontaine.

Les chercheurs ont aussi observé des perturbations physiologiques consécutives à l'application de l'arsénite. Ce fongicide agit sur les voies de défense des plantes contre les agresseurs. Il en stimule certaines et en réprime d'autres, selon les cépages. Il modifie aussi la photosynthèse. En laboratoire, celle-ci diminue fortement les quatre premiers mois suivant un traitement, puis elle repart. « L'arsénite inhibe au départ le développement de la plante. Mais, par la suite, les concentrations diminuent, ce qui permet à la plante de gérer les choses. »

Autre observation : l'arsénite modifie la microflore présente dans les ceps. « Les populations des champignons associés à l'esca/BDA diminuent et celles des agents bénéfiques (Penicillium, Trichoderma, Fusarium) augmentent. Les équilibres champignons/bactéries sont également modifiés. »

Ces résultats préliminaires montrent que l'arsénite touche un grand nombre de paramètres : « Elle agit à la fois sur la physiologie de la vigne et sur les pathogènes, si bien que les plants traités n'expriment pas de symptômes foliaires », résume Florence Fontaine.

Quelle substance pourrait jouer le même rôle tout en étant peu toxique ? C'est la question sur laquelle s'est penché Christophe Bertsch. La réponse de ses collègues du laboratoire de chimie organique et bio-organique : le salicylate de bismuth. Le bismuth étant l'élément chimique le plus proche de l'arsénite, ils ont voulu savoir s'il avait des propriétés similaires. Ils ont ainsi pensé au salicylate de bismuth, qui entre dans la composition des médicaments destinés à soulager les personnes souffrant de problèmes gastriques. « La toxicité pour l'homme est connue. Mais, au niveau environnemental, nos premiers tests n'ont pas montré d'effets néfastes », précise Christophe Bertsch.

Les chercheurs ont montré en laboratoire que le salicylate de bismuth a un effet antifongique intéressant sur les champignons associés aux maladies du bois mais aussi sur d'autres pathogènes. Ils ont pu prouver que ce composé est également un stimulateur des défenses des plantes. Leur idée : l'injecter directement dans l'amadou, là où sont les champignons et « pour ne pas le disperser dans l'environnement ». Seuls les pieds symptomatiques recevraient le traitement, ce qui serait plus rapide qu'un curetage mécanique.

Nous n'en saurons pas plus, les chercheurs ayant déposé un brevet. Des essais sur bois et au champ vont être mis en place. Il semble que la voie de l'endothérapie végétale s'ouvre dans la vigne. À suivre.

*Chercheurs des universités de Reims, de Mulhouse, de Haute-Alsace, des Inra de Bordeaux, Dijon et Versailles, et de l'IFV.

La double greffe : une piste alternative

Certaines variétés de Vitis sylvestris sont peu sensibles aux champignons associés aux maladies du bois. C'est ce qu'a découvert l'équipe de Christophe Bertsch, de l'Université de Haute-Alsace, lors de tests réalisés en laboratoire. Celles-ci forment de très petites nécroses lorsqu'on les contamine. L'idée du chercheur : les utiliser pour réaliser des doubles greffes et obtenir des plants formés d'un porte-greffe, d'un tronc en V. sylvestris puis d'un cépage. En collaboration avec un pépiniériste alsacien, il a déjà greffé V. sylvestris sur un porte-greffe et du gewurztraminer. « Comme cela a fonctionné, nous testerons la double greffe en 2017 », explique le chercheur.

Un pic de symptômes en 2016

2016 a été une année de forte extériorisation des symptômes de l'esca/BDA. Les résultats de l'Observatoire national des maladies du bois le confirment. Ainsi, dans le Jura, plus de 12 % des pieds de trousseau et de savagnin, deux cépages particulièrement sensibles à l'esca/BDA, ont exprimé de symptômes, dont 7,4 % sous forme apoplectique. Dans le Beaujolais, le taux de ceps de gamay exprimant des symptômes est monté à 4 %. Même en Champagne, région moins concernée par l'esca, la maladie s'est exprimée davantage qu'en 2015 sur le chardonnay et le pinot meunier. En Alsace, les symptômes sur le riesling sont passés de 8 % en 2015 à 14 % en 2016. Mais ceux sur le gewurztraminer et l'auxerrois n'ont quasiment pas bougé. Au total, la DGAL évalue le taux de ceps improductifs (ceps absents, recépés récemment, fortement touchés ou complants) à 13 % au niveau national, un chiffre similaire à celui de 2015.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :