Euroviti a fait salle comble pour son édition 2017 dédiée aux liquoreux. Réunis au parc des expositions d'Angers, le 18 janvier, des chercheurs angevins et bordelais ont dévoilé à l'assemblée la découverte d'un marqueur des baies contaminées par la pourriture noble.
La myricétine
Nouveau marqueur du botrytis
« En travaillant sur les composés phénoliques présents dans des baies de chenin attaquées par le botrytis, nous avons détecté de la myricétine », a expliqué Chantal Maury, enseignante-chercheuse à l'École supérieure d'agriculture d'Angers, qui présentait les résultats de la thèse de Daniel Carbajal, soutenue en 2016. De la famille des flavonoïdes, cette molécule n'avait été trouvée jusqu'alors que dans des raisins rouges.
En 2012 et 2013, le doctorant a récolté 150 grappes de chenin dans trois parcelles à Rablay-sur-Layon (Maine-et-Loire). Il les a classées selon leur niveau de pourriture noble : raisins sains ; raisins marron ; ou marron foncé avec des zones blanchâtres. Il a trouvé la myricétine dans les baies du dernier stade, signe que la pourriture noble est impliquée dans son apparition. Il en a dosé entre 6 et 14 µg/kg de baies, avec une moyenne de 10 µg/kg.
À côté de l'acide gluconique, du glycérol ou de la laccase, la myricétine pourrait aider à définir la date des vendanges. « Mais nous devons vérifier, sur un autre millésime, que la myricétine est bien spécifique de la pourriture noble et non de la pourriture grise. Il serait aussi intéressant de travailler sur d'autres cépages et d'étudier l'impact sensoriel de la molécule », indique Chantal Maury.
Étudier les arômes des vins, c'est le credo de l'ISVV, à Bordeaux. Directeur du laboratoire de recherche en oenologie, Philippe Darriet a fait le point sur les connaissances acquises en matière de liquoreux.
Pourriture noble
Un champignon faiseur d'arômes
« Sur la centaine de composés volatils qui se promènent dans le ciel d'un verre de vin, une dizaine jouent un grand rôle dans la typicité des liquoreux », explique Philippe Darriet. À commencer par les thiols. Si même vieux et bruns les liquoreux gardent de la fraîcheur et des arômes de pamplemousse et de citron, c'est parce qu'ils ont de grandes réserves en thiols. « On trouve cinquante fois plus de précurseurs dans les baies botrytisées que dans les baies saines », détaille Philippe Darriet. La vigne les synthétise lorsqu'elle est attaquée par le champignon. Puis ils sont libérés durant les fermentations. Même chose avec le phénylacétaldéhyde, aux notes florales et miellées. Dans un blanc sec, il est difficile d'en trouver plus de 20 µg/l. Dans les liquoreux, l'ISVV en a dosé jusqu'à 136 µg/l. Le botrytis entraîne également la formation de lactones, aux arômes de pêche ou de noix de coco.
« On retrouve davantage de furanones, qui rappellent le sucre cuit, mais ce n'est dû qu'à la dessiccation des baies », ajoute le chercheur. Pendant l'élevage, les teneurs en furanones baissent. Même chose pour les arômes fermentaires et les thiols volatils, et ce « d'autant plus que le raisin est peu botrytisé », commente-t-il. En revanche, à mesure qu'ils vieillissent, les vins accumulent de plus en plus de lactones.
Les arômes des liquoreux sont compliqués à étudier. L'origine de l'odeur d'orange confite n'a ainsi été comprise qu'il y a trois ans par l'ISVV. Elle est due à la présence d'un mélange d'au moins quatre composés : de la whisky lactone, de l'eugénol - issus du chêne -, des lactones, dont le 2-nonen-4-olide nouvellement identifié, et du sulfanylhexanol.
Sulfitage
Des conseils pour réduire la dose
D'après des essais de l'IFV sur le chenin, il faut ajouter 171 mg/l de SO2 total à un moût issu de raisins touchés par la pourriture noble pour qu'il lui reste 40 mg/l de SO2 libre après cinq jours. Il en faut 211 mg/l dans un moût issu du pressurage de raisins atteints par la pourriture grise. La limitation du SO2 passe d'abord par un tri rigoureux à la parcelle.
« Ensuite, il faut éviter les triturations, qui favorisent la prolifération des micro-organismes. Ceux-ci se servent des sucres pour produire de l'éthanal ou du 5-oxofructose, et augmenter le pouvoir combinant du moût », rappelle Pascal Poupault, ingénieur à l'IFV. Un apport de 3 à 5 g/hl de SO2 à la sortie du pressoir suffit à contenir les levures et bactéries indésirables. « Si on en met trop, les levures vont produire de l'éthanal pendant la fermentation », explique Pascal Poupault. « À Bordeaux, les vignerons ne sulfitent pas les moûts de bonne qualité, ajoute Philippe Darriet, car le botrytis a déjà dégradé tous les composés facilement oxydables. »
En fin de fermentation, 40 à 50 mg/l de SO2 libre sont nécessaires pour muter le vin. Pour viser juste, le viticulteur doit réaliser un test de combinaison consistant à sulfiter, puis à mesurer cinq jours plus tard la teneur en SO2 libre. C'est ainsi qu'il pourra ajouter la juste dose de SO2. En attendant, il peut refroidir le vin autour de 0 °C, et le soutirer pour arrêter la fermentation et éviter que les levures produisent de l'éthanal lors du sulfitage. « Fractionner le sulfitage est une mauvaise idée : pour une même quantité de SO2 libre, on aura plus de SO2 total », prévient Pascal Poupault. Le DMDC, la microfiltration tangentielle ou la flash pasteurisation, utilisés en complément, permettent de diminuer jusqu'à 30 % les teneurs finales des vins en SO2.
Les orateurs ont aussi donné des conseils pour le bon déroulement des fermentations. Ils ont préconisé une levure qui dispose d'une bonne tolérance à l'alcool, produit peu d'éthanal et de SO2 et ne dégrade pas trop vite les sucres à l'approche du mutage. C'est le cas de la Vitilevure Chardonnay ou de la Levulia GE7. Dans tous les cas, pour éviter les montées d'acidité volatile, le moût doit contenir au moins 190 mg/l d'azote assimilable.
Vers des coteaux-du-layon moins alcoolisés ?
Dans le Val de Loire, des producteurs sont contraints de vendanger avant la maturité minimale requise pour les coteaux-du-layon. Las de déclasser leurs vins, ils ont confié une mission à l'ESA d'Angers et à l'IFV : étudier l'attrait du public pour des vins moins alcoolisés. Les chercheurs ont d'abord sélectionné 24 vins à faible TAV : 14 coteaux-du-layon, 2 vins de l'aire AOP déclassés en anjou blanc et en vin de France et 8 chenins expérimentaux titrant entre 8 et 10 % vol. et ayant de 62 à 119 g/l de sucres résiduels. Des professionnels les ont dégustés et notés sur une échelle de 0 à 10. Les vins expérimentaux ont obtenu de très bonnes notes. « Ces dégustations ont révélé un fort consensus, prouvant que les vins peu alcoolisés peuvent être typiques des coteaux-du-layon », commente Cécile Coulon, de l'ESA. Puis, les chercheurs ont demandé à 163 amateurs de noter les chenins expérimentaux de 1 à 9. Seules 10 % des notes n'ont pas dépassé 4, quand plus de la moitié des vins a décroché au moins un 7. « A priori, le taux d'alcool influence moins la préférence des consommateurs que la teneur en sucres résiduels », commente Cécile Coulon. Reste aux producteurs à décider ou non d'une évolution de leur cahier des charges qui impose au minimum 11 ° d'alcool acquis et 14 ° d'alcool potentiel.