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Magazine - Etranger

Slovaquie L'autre pays du tokaj

MATHILDE HULOT - La vigne - n°294 - février 2017 - page 72

En 1920, une petite partie du vignoble de Tokaj est détachée du reste. Elle se retrouve aujourd'hui en Slovaquie. Là, des caves se partagent 500 ha dans une situation encore chaotique.
SEULS 10 % DU VIGNOBLE DE TOKAJ se situent en Slovaquie. Difficile dès lors de se faire connaître à l'étranger. M. HULOT

SEULS 10 % DU VIGNOBLE DE TOKAJ se situent en Slovaquie. Difficile dès lors de se faire connaître à l'étranger. M. HULOT

MATUS VDOVJAK, vigneron sur 3,5 ha, préside l'association Les Caves de Tokaj (Tokajské Pivnice) qui regroupe les producteurs amateurs. M. HULOT

MATUS VDOVJAK, vigneron sur 3,5 ha, préside l'association Les Caves de Tokaj (Tokajské Pivnice) qui regroupe les producteurs amateurs. M. HULOT

CAVE SOUTERRAINE de Tokaj & Co. Cette entreprise vinifie ses vins en Hongrie et élève ses liquoreux côté Slovaquie. M. HULOT

CAVE SOUTERRAINE de Tokaj & Co. Cette entreprise vinifie ses vins en Hongrie et élève ses liquoreux côté Slovaquie. M. HULOT

JAROSLAV OSTROŽOVIC est à la tête d'une entreprise familiale exploitant 50 ha depuis 1996. M. HULOT

JAROSLAV OSTROŽOVIC est à la tête d'une entreprise familiale exploitant 50 ha depuis 1996. M. HULOT

JARO MACIK, viticulteur et porte-drapeau des producteurs de tokaj slovaques, souhaite voir la répartition foncière se clarifier.   M. HULOT

JARO MACIK, viticulteur et porte-drapeau des producteurs de tokaj slovaques, souhaite voir la répartition foncière se clarifier. M. HULOT

LA CAVE DE LA GRAPPE D'OR (Zlatý Strapec) exploite 8,5 ha et vend sa production aux clients de passage en bouteille ou cubi. M. HULOT

LA CAVE DE LA GRAPPE D'OR (Zlatý Strapec) exploite 8,5 ha et vend sa production aux clients de passage en bouteille ou cubi. M. HULOT

Le sud-est de la Slovaquie et le nord-est de la Hongrie se partagent le vignoble de Tokaj. Très inégalement. Si le tokaj hongrois, fort de ses 5 000 ha, est réputé à travers le monde, le tokaj slovaque est méconnu. Le vignoble compte moins de 500 ha de vignes plantées sur une aire de 900 ha. Les producteurs sont, eux aussi, en manque de notoriété.

Pourtant, les principaux cépages autorisés sont les mêmes. Que des blancs : le furmint (comme en hongrois), le lipovina (hárslevelü) et le muškát žltý (sárga muskotály). La gamme des vins est elle aussi identique : des secs et des liquoreux que les Slovaques dénomment tokajský výber et les Hongrois, tokaji aszú.

Le 4 juin 1920, à l'issue de la Première Guerre mondiale, le traité de Trianon démantèle l'empire austro-hongrois. La région de Tokaj est alors coupée en deux et la Hongrie perd deux tiers de son territoire. Au nord-est du pays, la moitié nord de la ville de Sátoraljaújhely se retrouve en Tchécoslovaquie avec deux autres communes viticoles, Viničky et Malá Tŕňa. Situées à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Tokaj, les Hongrois considèrent aujourd'hui que ces « deux communes et demie » constituent le Tokaj slovaque. Les Slovaques, eux, ne sont pas d'accord : ils déclarent sept communes en tout depuis une loi de 1959.

Au 1er janvier 1993, la Tchécoslovaquie est à son tour divisée entre la République tchèque et la Slovaquie. Le petit bout de Tokaj se retrouve alors en Slovaquie.

Actuellement, le vignoble compte très peu de caves, réparties entre plusieurs associations. Seuls quelques producteurs vendent officiellement leurs vins.

Située à Viničky, Zlatý Strapec (la Grappe d'or) est la plus discrète de ces caves. La famille, de langue maternelle hongroise, exploite 8,5 ha. À sa tête, Attila Nagy vend, surtout en cubi, aux clients de passage et pour les mariages : 2 €/l et 10,85 € les 5 litres. Ce sont des vins de cépages secs et demi-secs. Les liquoreux, eux, sont vendus dans des bouteilles en verre de 50 cl.

C'est à une quinzaine de kilomètres de là, à Vel'ká Tŕňa, que l'on trouve la plus grosse entreprise familiale du coin : Ostrožovič avec 50 ha presque d'un seul tenant orientés plein sud. Jaroslav Ostrožovič a tout construit progressivement : cuverie, entrepôts, restaurant et pension de dix-huit chambres avec piscine. Sa première vendange date de 1996. Il dit recevoir autour de 3 000 personnes par an. Vingt-cinq employés y travaillent pour une production totale d'environ un demi-million de bouteilles.

Dans le village voisin de Malá T&#341;&#328;a, Tokaj & Co possède 138 ha mais n'en exploite qu'une cinquantaine. L'entreprise fut créée en 1999 par d'anciens dirigeants communistes. Elle vinifie tous ses vins côté hongrois, mais élève les liquoreux dans sa cave souterraine côté slovaque, à Malá Tr<0301>&#328;a. Elle vend ses vins en supermarché en Slovaquie, Pologne et République tchèque.

Dans le même village, Jaro Macik fait office de porte-drapeau des producteurs de tokaj slovaques à l'étranger. Il exporte 30 % des 1 500 hl qu'il produit bon an, mal an. Contrairement à ses voisins, il ne parle pas hongrois mais anglais. Il fait partie du mouvement des #winelover, une communauté internationale de professionnels amoureux du vin qui échange sur Facebook. Il est fier d'être le seul vigneron slovaque présent à la Cité du Vin de Bordeaux avec son Tokaj Furmint Mono 2015 - un vin blanc sec proposé à 12,30 € - et son Tokaj Sélection - un liquoreux à 41 €.

Jaro Macik rêve d'une réforme agraire qui clarifierait la situation foncière dans la région. À la fin du communisme, les parcelles ont été redistribuées, à la hâte, souvent en dépit du bon sens. À partir de 2003, les propriétaires ont pu s'échanger leurs terres pour récupérer leurs lopins de famille ou regrouper des vignes. Le plus souvent, ces échanges se sont conclus autour d'un verre d'eau-de-vie, sans enregistrement officiel. Depuis 2009, une nouvelle loi autorise les propriétaires qui s'estiment lésés par le partage consécutif à la chute du communisme à réclamer leurs terres. Tout cela crée une grande confusion dont les vignerons professionnels souhaitent sortir au plus vite.

Jaro Macik aimerait également que les vignerons « du dimanche » officialisent leur activité et rejoignent l'association des producteurs du Tokaj (Tokaj Regnum) pour la renforcer. C'est loin d'être gagné. Ces amateurs sont réunis au sein d'une autre association, Tokajské Pivnice (Les Caves de Tokaj), présidée par Matus Vdovjak. La plupart d'entre eux vendent leur petite production de vin sans autorisation et ne sont soumis à aucun contrôle. Ils reçoivent des touristes dans leurs caves à qui ils vendent leurs bouteilles entre 5 et 10 €.

Matus Vdovjak a le statut de vigneron. Il produit des vins sans IG car il ne veut pas se plier aux règles du tokaj. Avec ses 3,5 ha, il préfère suivre son chemin pavé de nombreux essais d'élevage en amphore et de vins « nature ». Il se dit à la tête d'une « wine manufacture ». Il vend toute sa production sur place dans son caveau. Son « Jakot », qu'il propose à 40 €/col, est l'équivalent d'un tokajský liquoreux (aszú).

Au milieu de tous ces producteurs, Grand Bari et Vécsey sont deux nouveaux venus. Château Vécsey compte ainsi 27 ha pour un objectif à terme de 46 ha. Pour l'instant, il ne produit que 15 000 cols dans une vingtaine de références. L'idée est de mettre en avant cinq vins pour le faire connaître. Mais le plus dur reste à faire : vendre.

Un vignoble, deux pays

De part et d'autre de la frontière, certains croient à un rapprochement entre les deux vignobles. Daniel Ercsey, journaliste hongrois, a ainsi organisé en août 2016 une conférence intitulée « Deux pays, une région ? ». Celle-ci - passionnante - mettait en lumière les aspects historiques, géographiques et géologiques de la région de Tokaj, et s'efforçait de faire oublier les tensions politiques qui entravent la soudure. Autre rassembleur : Igor Vizner, un Slovaque habitant en Bretagne qui raffole du tokaj slovaque ou hongrois et qui a réalisé une carte touristique de la région. Péter Drotár, un autre Slovaque, vient, lui, de créer le Furmint Forum qui vise à réunir des producteurs des deux pays. Quant au Slovaque Jaro Macik, il passe plus de temps en Hongrie qu'en Slovaquie et envoie ses clients visiter les caves hongroises. Enfin, son confrère hongrois, László Butella, vinifie les vins de Château Vécsey, un domaine slovaque. « Hongrois ou Slovaques, peu importe. C'est le vin qui compte ! », clame-t-il.

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