Retour

imprimer l'article Imprimer

AU COEUR DU MÉTIER

« On a la chance d'être dans une AOC porteuse »

FLORENCE BAL - La vigne - n°295 - mars 2017 - page 28

INSTALLÉS DEPUIS 1990 EN GAEC, À AMPUIS (RHÔNE), Christophe et Patrick Bonnefond ont bénéficié de la renommée du côte-rôtie pour agrandir leur domaine. Ils valorisent bien leur dur labeur sur des coteaux très pentus.
AU SALON DES VINS D'AMPUIS, Patrick (à gauche) et Christophe Bonnefond ont vendu un millier de bouteilles de leur côte-rôtie Colline de Couzou. Léa, la fille de Christophe, rejoindra le domaine après son BTS viti-oeno. PHOTO : F. BAL

AU SALON DES VINS D'AMPUIS, Patrick (à gauche) et Christophe Bonnefond ont vendu un millier de bouteilles de leur côte-rôtie Colline de Couzou. Léa, la fille de Christophe, rejoindra le domaine après son BTS viti-oeno. PHOTO : F. BAL

CHRISTOPHE VISITE UNE PARCELLE de 5 000 m2 de syrah conduite sur échalas simple, située au-dessus du village d'Ampuis et qui surplombe le Rhône. Il prépare le remplacement des 2 à 5 % d'échalas cassés dans cette vigne de 30 ans.  PHOTO : F. BAL

CHRISTOPHE VISITE UNE PARCELLE de 5 000 m2 de syrah conduite sur échalas simple, située au-dessus du village d'Ampuis et qui surplombe le Rhône. Il prépare le remplacement des 2 à 5 % d'échalas cassés dans cette vigne de 30 ans. PHOTO : F. BAL

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

CHRISTOPHE BONNEFOND GOÛTE la cuvée de côte-rôtie générique Colline de Couzou 2016, issue de syrah des parcelles d'une même combe, qui représente 60 % de la production. Elle est élevée en barriques de 400 l pendant 18 mois. PHOTO : F. BAL

CHRISTOPHE BONNEFOND GOÛTE la cuvée de côte-rôtie générique Colline de Couzou 2016, issue de syrah des parcelles d'une même combe, qui représente 60 % de la production. Elle est élevée en barriques de 400 l pendant 18 mois. PHOTO : F. BAL

LES EMPLOYÉS YOAN MORIN ET ARNAUD GINET épandent manuellement du fumier de mouton déshydraté à la dose de 1 t/ha. PHOTO : F. BAL

LES EMPLOYÉS YOAN MORIN ET ARNAUD GINET épandent manuellement du fumier de mouton déshydraté à la dose de 1 t/ha. PHOTO : F. BAL

« On a fait un petit bout de chemin », reconnaît modestement Christophe Bonnefond, du domaine Patrick et Christophe Bonnefond, à Ampuis, capitale de l'appellation Côte-Rôtie, dans le Rhône. Trente-cinq ans après leur installation, les deux frères sont à la tête d'une exploitation de 10 ha de vignes dont 7,5 en Côte-Rôtie. Ils élaborent six vins qu'ils vendent entièrement en bouteilles entre 12 et 45 €. Ils ont multiplié leur prix de vente par trois, au moins, depuis 1990. Leur cuvée générique de côte-rôtie est ainsi passée de 9,90 à 32 euros le col.

« Nous avons la chance d'être dans une appellation porteuse, poursuit Christophe. C'était loin d'être gagné au départ mais elle s'est développée dans les années 1970-1980 grâce aux vignerons et à des gens comme Marcel Guigal. Il a beaucoup fait pour sa notoriété. »

Dans ces années-là, leurs parents Charles et Hélène sont arboriculteurs et exploitent 2,5 ha en AOC Côte-Rôtie. Ils vendent leurs raisins à la maison Guigal. En 1990, les deux frères s'installent en Gaec avec leur mère. Ils reprennent les vignes, leur père conservant l'activité arboricole. Christophe, titulaire d'un BEP viti-oeno, élabore les 1 500 premières bouteilles du premier vin du domaine. Il les vend localement, au prix de 65 francs, soit déjà huit fois plus cher qu'un côtes-du-rhône générique. Il écoule le reste de la récolte en vrac au négoce.

Durant les premières années, Patrick et Christophe se consacrent à l'agrandissement du vignoble en plantant de nouvelles vignes. Le domaine atteint 5 ha en 1995. Il produit alors deux vins, un côte-rôtie et un condrieu, et commercialise une moitié de sa production en vrac et l'autre en bouteilles.

À partir de 1995, Christophe consacre davantage de temps au développement commercial, son frère continuant à s'occuper de la vigne. Ils veulent valoriser toute leur production en bouteilles, un objectif qu'ils atteindront en 2000. Pour développer leur clientèle, ils participent tous les ans au très prisé Marché aux vins d'Ampuis qui reste un rendez-vous incontournable pour eux. Ils s'inscrivent aussi aux salons Découverte en vallée du Rhône et Vinisud. C'est là qu'ils rencontrent leurs clients professionnels qui représentent aujourd'hui 85 % de leurs acheteurs.

L'export n'est pas leur priorité. Il se développe pourtant, sans démarche active de leur part, notamment vers la Belgique, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Suisse. Ils répondent à la demande de clients qu'ils ont rencontrés aux salons ou que des confrères, manquant de vins pour fournir toutes leurs commandes, leur envoient. « Nous nous sommes fixé un quota de 25 % maximum des ventes à l'export, souligne Christophe. Nous préférons le marché français car il est très fidèle et fiable. Ce n'est pas toujours le cas de l'international. Aux États-Unis, par exemple, les affaires sont assez aléatoires. Les importateurs n'ont pas acheté le millésime 2002, qui était difficile dans la vallée du Rhône, ni le 2008 qui ne les a pas séduits. »

Peut-être le boycott des produits français lié à la guerre en Irak en 2003 et les contrecoups de la crise financière de 2008 ont-ils également joué... Les deux frères restent alors prudents et conservent les trois quarts de leurs ventes en France, principalement vers le réseau CHR (voir encadré page suivante).

Pour monter en gamme, en 1997, ils créent leur première cuvée parcellaire de Côte-Rôtie : Les Rochains. 900 bouteilles qu'ils vendent 15,40 €, soit 54 % plus cher que leur générique. En 2001, ils reprennent en location une parcelle dénommée Rozier, toujours en Côte-Rôtie, dont ils vendront les vins au même tarif. À partir de 2009, ils rebaptisent leur côte-rôtie générique Colline de Couzou. C'est un assemblage de toutes les parcelles de cette combe.

En 2010, désireux d'élargir encore leur gamme, ils envisagent d'acheter des raisins en Saint-Joseph, une appellation qu'ils n'ont pas au domaine. « Mais on n'a jamais franchi le pas », commente Christophe. Ils préfèrent planter 1 ha de syrah et 0,5 ha de viognier sur des terrains qu'ils possèdent en IGP Collines rhoda-niennes, sur le plateau de Mornas. « C'était beaucoup plus simple », poursuit Christophe. Ils disposent ainsi de deux entrées de gamme qu'ils vendent très bien... et à des prix élevés : 12 € et 14 €/col. « Nous les travaillons comme nos AOC, justifie Christophe. Et aux yeux de nos clients, ce sont d'excellentes affaires : ils achètent un viognier ou une syrah moitié moins cher qu'un condrieu ou qu'un côte-rôtie, mais produits avec les mêmes cépages et le même soin. »

Afin de s'adapter à la demande des amateurs, Christophe a fait évoluer le profil de leurs vins. Durant les quinze premières années, ils élevaient leurs côte-rôtie entièrement en barriques neuves pendant vingt mois. À partir de 2005, ils ont commencé à réduire la proportion de bois neuf. Ils n'en emploient plus que 40 %. Depuis 2010, pour diminuer encore l'empreinte boisée, ils optent pour des barriques de 400 l au lieu de 225 l.

« Aujourd'hui, l'amateur cherche des vins moins boisés et moins extraits, explique Christophe. Dans ce but, nous réalisons des pigeages en phase fermentaire, puis des remontages pour extraire doucement les tanins les plus fins. »

De même, ils évitent les degrés d'alcool trop élevés. En Côte-Rôtie, ils récoltent les syrahs à 13° (12,5° pour les IGP). En Condrieu, ils ramassent le viognier à 14° maximum contre 15° auparavant. « Nous faisions des condrieus opulents, riches et gras. On est revenu à des vins plus frais et gourmands. » Ces vins fermentent puis sont élevés dix mois en barriques.

Tous les ans, d'avril à juin, ils réalisent trois mises en bouteilles en tiré-bouché avec un prestataire de services : d'abord les blancs, ensuite le côte-rôtie Colline de Couzou et, pour finir, les cuvées parcellaires Les Rochains et Rozier. Lors des millésimes difficiles comme 2013 et 2014, où la floraison a été mauvaise, il leur a manqué 25 % d'une récolte normale. Ils ont alors eu du mal à faire la jonction entre l'ancienne et la nouvelle récolte.

À la vigne, le travail est dur. Le vignoble est majoritairement situé sur des coteaux très pentus. Il est conduit à 90 % sur des échalas, dont la moitié sont croisés pour résister davantage au vent. Dans ces parcelles, chaque cep a son échalas en pin, acacia ou châtaignier. Les deux frères visent une hauteur maximale de feuillage de 2 à 2,20 m pour favoriser la photosynthèse et la maturité. Tous les travaux sont manuels. La saison commence par l'ébourgeonnage et l'épamprage. Puis c'est l'attachage des vignes aux piquets, en trois passages, chacun avec deux liens par sarment. Fin juillet, c'est l'heure d'effeuiller côté soleil levant, et fin août, au niveau des grappes. Les vendanges sont manuelles avec un tri à la vigne. La viticulture est raisonnée, avec un usage maximal des produits autorisés en bio. « La région est ventée. Contre les maladies, on s'en sort plutôt bien, soulignent-ils. Mais on n'a pas encore trouvé comment remplacer les herbicides : il n'existe pas de pioches électriques. » Dans 90 % du vignoble, ils utilisent un treuil « pour gratter les sols », une opération complétée par le passage d'herbicides.

Pendant quinze ans, ils ont traité par hélicoptère la moitié de leurs vignes. Mais, « c'est mal vu, souligne Christophe. Le voisinage y est très hostile même si, depuis quelques années, on n'utilisait plus que des produits bio. Nous allons devoir arrêter et traiter à nouveau avec les atomiseurs à dos. » Ce qui va encore compliquer leur travail.

« On a eu la chance de s'installer à un moment où il restait pas mal de terrains disponibles et à des prix abordables. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas », confie Christophe. À 49 et 47 ans, Patrick et Christophe aimeraient « s'agrandir un peu » dans la perspective de l'arrivée de Léa, 19 ans, la fille de Christophe. Actuellement en BTS viti-oeno au lycée viticole de Davayé (Saône-et-Loire), elle devrait les rejoindre d'ici deux ou trois ans. « L'idéal serait d'acheter ou de louer en Côte-Rôtie mais c'est quasiment impossible », souligne Christophe. C'est le prix à payer pour l'exceptionnelle renommée acquise par l'AOC. Le seul revers de la médaille.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Ils sont contents d'avoir créé un domaine dans une appellation renommée. Leurs vins sont reconnus par les professionnels et les amateurs.

Ils ont eu « la chance » de pouvoir s'installer à un moment où les prix des vignes étaient abordables.

Ils ont construit un bâtiment de 1 000 m2 et réaménagé un autre de la même surface pour installer leur chai, leur stockage et leur hangar à matériel.

L'ensemble est très fonctionnel.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

Dans les années 2000, des essais avec des barriques de bois américains et de chênes de l'Est n'ont pas été concluants.

Ils marquaient trop les vins.

Il est très difficile aujourd'hui de trouver des terres en AOC Côte-Rôtie. Les prix s'envolent : entre 700 000 et 1 million d'euros l'hectare planté.

Compte tenu des enjeux environnementaux et de la pression du voisinage, ils ont dû arrêter de traiter la moitié de leurs vignes par hélicoptère.

LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE Priorité au circuit traditionnel

- En France, le domaine vend 38 % de sa production à des cavistes et 31 % à des restaurants. Dès le départ, Christophe a travaillé avec des agents commerciaux. Ils sont douze aujourd'hui. « Nous les payons à la commission. Ils doivent être encadrés, avec des allocations précises et un territoire bien circonscrit qu'ils sont tenus de respecter », souligne-t-il. Cependant, un tiers des cavistes préfèrent travailler en direct avec les producteurs. « Ils veulent venir voir le vigneron, la cave, les vignes... Nous nous adaptons et nous les recevons au domaine », poursuit-il.

- Afin de fidéliser sa clientèle, Christophe participe régulièrement à des dégustations organisées par ses agents à Paris, Lille, Nice, etc. Il réalise également des animations chez les cavistes. Durant les mois de novembre et décembre, le rythme est intense. Il va rencontrer ses clients deux ou trois jours par semaine, dans toutes les régions.

Le reste de l'année, c'est plus calme, il se déplace en moyenne une fois par mois.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'exploitation

- Main-d'oeuvre : Patrick, Christophe et Marie-Ange, l'épouse de Christophe, soit 2,5 ETP ;

- Surface : 10 ha ;

- Appellations : Côte-Rôtie (7,5 ha), Condrieu (1 ha), IGP Collines rhodaniennes (1,5 ha) ;

- Cépages : syrah et viognier ;

- Plantation : de 8 000 à 10 000 pieds/ha ;

- Taille : gobelet et guyot ;

- Production 2016 : 440 hl.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :