« L'an passé, j'ai replanté 86 ares. Pour maîtriser les adventices, j'ai posé une bande de feutre sur le rang avant la plantation. Cela a bien fonctionné. En outre, ce paillage a aidé les plants à bien démarrer. Malgré la forte sécheresse qui s'est installée dès le début de juin, je n'ai eu à arroser qu'une fois fin juillet. À ce moment-là, le sol était encore souple sous le feutre, et celui-ci a bien absorbé l'eau », raconte Olivier Fouquet.
Installé à Villerouge-Termenès, dans les Hautes-Corbières, ce jeune vigneron audois cultive 6 ha en bio. Il a choisi un feutre Thorenap d'une densité de 1 400 g/m² et constitué à 70 % de jute et à 30 % de chanvre. C'est le fournisseur - Sotextho - qui l'a posé. Il lui a fallu 18 heures de travail avec une dérouleuse mise au point par l'entreprise Testas et Roméro.
« Le feutre m'est revenu à 3 140 € HT/ha et la pose, 780 € HT, soit 4 458 € HT/ha », précise le viticulteur. Une somme qu'il a fallu ajouter au coût de la plantation. Malgré ce surcoût, il se dit satisfait de l'opération au vu de la bonne reprise des plants. De plus, dans les années à venir, il compte bien ne pas avoir à désherber les rangs à la binette. « Je vais juste surveiller les fentes dans lesquelles passent les plants pour éviter que des adventices ne s'y installent. »
La chambre d'agriculture de l'Aude a testé la durée de vie de ce feutre (voir La Vigne, n° 240). Posé en 2009, il a tenu jusqu'en 2012 en empêchant la levée des adventices. « Mais pour obtenir ce résultat, il faut éviter de le recouvrir de terre lorsqu'on travaille l'interrang », prévient Alain Malard, consultant chez PermaVitis, qui accompagne les vignerons intéressés par ce paillage. Pour l'entretien de l'interrang, il conseille d'opter pour un enherbement régulièrement tondu.
L'IFV du Val de Loire a testé d'autres paillages au lycée agricole Edgard-Pisani de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) : « Un feutre à base de fibres PLA issues d'amidon de maïs pesant 150 g/m2, fabriqué par Amarande, et trois feutres à base de lin, de chanvre et de jute, pesant 1 000 g/m2 et fabriqués par Effiréal », précise Étienne Goulet, de l'IFV. Ces matériaux ont été posés sur deux plantiers et sur une vigne en place.
La dégradation des feutres est d'autant plus rapide que le sol est actif biologiquement. Au cours de ces essais, le feutre de lin a vécu un an, le chanvre 18 mois et le jute près de deux ans. Seul le feutre en amidon de maïs a tenu plus de deux ans. Un deuxième test a permis de comparer pour un même matériau - ici, le chanvre - trois densités : 500, 1 000 et 1 500 g/m². « Sans surprise, c'est le feutre le plus dense qui dure le plus longtemps », note Étienne Goulet.
L'IFV a également observé que l'efficacité de ces tissus vis-à-vis des adventices dépend de leur état. « Dès qu'ils sont percés, des herbes passent par les trous et accélèrent leur dégradation », constate-t-il.
Les feutres ont aussi un effet sur l'humidité du sol. Dans un premier temps, ils le protègent du desséchement, ce qui favorise la reprise des plants. « L'été, en revanche, le sol se réhumecte moins vite lorsqu'il pleut car les feutres absorbent une partie des pluies, explique-t-il. Mieux vaut surveiller les plants et se tenir prêt à arroser si cela est nécessaire. »
Le coût d'un feutre de 1 000 g/m² et de 55 cm de large se situe autour de 4 000 €/ha, sans compter la pose, pour des plantations à 4 000 pieds/ha. « C'est bien plus cher que le désherbage chimique, mais moins cher qu'une intervention à la binette, souvent nécessaire en bio », observe Étienne Goulet. La pose peut être partiellement mécanisée grâce à des dérouleuses. Des prestataires proposent ce service. « En choisissant le jute, on peut espérer une durée de vie de deux ans, ce qui réduit leur coût à 2 000 €/ha/an hors pose. Pour des plantiers, c'est envisageable », estime l'expert.
La mécanisation en progression
En 2014, Testas et Roméro, basé à Valence-d'Agen (Tarn-et-Garonne), a mis au point une dérouleuse-butteuse adaptée aux feutres de paillage. En un seul passage, elle forme une butte, déroule le feutre et l'ancre de part et d'autre de la butte. Cet outil simplifie nettement la pose. Les premiers vignerons qui ont testé les feutres de paillage ont dû les installer à la main ou avec une dérouleuse prévue pour du plastique et passer une deuxième fois pour les ancrer. Cette dérouleuse est adaptée à la plantation manuelle, qui doit s'effectuer après la pose du feutre prépercé en usine à l'écartement souhaité. Ne reste plus qu'à positionner les plants dans les fentes. Pour l'instant, il n'existe pas de machine qui plante et déroule une bande de feutre en une fois.
Le Point de vue de
CHRISTOPHE GIROUD, CHÂTEAU BEAULIEU, 140 HA, À ROGNES (BOUCHES-DU-RHÔNE)
« La pose, c'est trop de travail »
« En 2011, nous avons paillé le rang sur 2 ha de plantiers avec un feutre de chanvre Agrofibre. Ce paillage a tenu trois ans, comme nous l'espérions. Pour autant, nous n'avons pas renouvelé l'expérience. Le matériau nous a coûté 4 000 €/ha et la pose a été compliquée. Après avoir planté à la machine, nous avons posé le feutre avec une dérouleuse. Mais les rouleaux sont gros et il faut les changer souvent. Pour 2 ha, le chantier a mobilisé trois personnes pendant quatre jours. Nous plantons chaque année 4 à 5 ha, cela demanderait trop de travail de pailler ainsi. Entre-temps, les interceps ont fait des progrès. Nous nous sommes équipés d'un Egretier et d'un Boisselet. L'effacement est plus précis, ce qui nous permet de passer plus près des jeunes plants. Il reste moins d'herbe à enlever à la binette. Et pour l'avenir, nous regardons de près les robots désherbeurs, qui commencent à se développer en maraîchage. »
Le Point de vue de
BERTRAND MARCHESSEAU, 22 HA EN BIO, À BOURGUEIL (INDRE-ET-LOIRE)
« Des adventices en bordure du feutre »
« Il y a quatre ans, nous avons paillé un plantier de 14 ares, après la plantation, avec un feutre fabriqué à partir de fibres de maïs. Pour le poser, nous avons emprunté une dérouleuse à un voisin maraîcher. Puis nous l'avons fendu au cutter pour laisser sortir les plants. Le feutre nous est revenu à 1 000 €, et la pose a nécessité 15 heures de travail. Ce paillage a bien stoppé la pousse des adventices, sauf à quelques endroits où il avait été abîmé. Mais une bande d'herbe s'est installée des deux côtés du feutre car nous ne voulions pas passer trop près avec nos outils de travail du sol pour ne pas l'accrocher. À la fin de la troisième année, il ne s'était pas encore dégradé. Nous avons donc dû l'enlever afin d'éliminer ces bandes d'herbe. Nous avons aussi testé le BRF sur quatre rangs, en couche de 10 cm d'épaisseur. Cela bloque bien les adventices, mais il faudrait pouvoir mécaniser la pose. Finalement, nous avons investi dans des tuteurs en forme de "U" qui protègent bien les plants au point que l'on peut passer sans risque avec notre intercep Souslikoff Décalex Air. »