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Magazine - Histoire

Période : XIXe et XXe siècles Lieu : France Vent de fraude sur le vignoble

FLORENCE BAL - La vigne - n°295 - mars 2017 - page 82

À la fin du XIXe siècle, les progrès de la chimie permettent de fabriquer très facilement des vins artificiels. L'avenir du vignoble, rongé par le phylloxéra, est gravement menacé.
 © ARCHIVES MUNICIPALES DE NARBONNE

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Vins de sucre ou de raisins secs, vins mouillés, plâtrés, colorés... entre 1880 et 1907, après la destruction du vignoble par le phylloxéra, des millions d'hectolitres de pseudo-vins sont produits. La situation est si grave qu'en 1883, un dénommé Étienne Métay publie un livre titré Ce que l'on boit lorsque l'on croit boire du vin. Voici ce qu'il écrit : « Quant au vin vraiment naturel, c'est-à-dire le jus pur d'une première cuvée, il faut reconnaître qu'il tend à devenir un mythe, un souvenir du temps passé. »

La falsification a toujours existé : le sucrage et le mouillage étaient déjà employés durant l'Antiquité. Mais l'essor de la chimie, au XIXe siècle, lui donna un nouvel élan. « On assista à une fraude effroyable, confirme le géographe Marcel Lachiver dans son livre Vins, vignes et vignerons. Le plus courant fut d'utiliser le sucre et les raisins secs, mais on mit sur le marché des vins qui n'avaient jamais vu le raisin, [fabriqués] avec de la glycérine, de l'acide sulfurique, des colorants. »

Étienne Métay dénonce : « Par "industriels", il ne faut pas entendre seulement les habiles qui font du vin sans raisins, mais les propriétaires de vignes qui ont trouvé un moyen très simple et très économique pour multiplier leur récolte. [...] M. Petiot, propriétaire d'excellents crus de Bourgogne, est l'inventeur de la meilleure méthode, il l'a exposée lui-même en 1835. »

La voici en résumé. Après avoir écoulé une cuve, Petiot fait de la piquette. Il ajoute sur les marcs le même volume d'eau sucrée à raison de 18 kg de sucre par hectolitre d'eau. Il renouvelle trois fois l'opération. De plus, il double le volume de la première cuvée en y ajoutant le même volume d'eau sucrée. Au final, il obtient cinq fois plus de pseudo-vin que de vin. Il réalise « un fameux bénéfice » et le consommateur est le dindon de la farce.

Les livres de « recettes » de vins connaissent un succès considérable. Comme L'Art de faire le vin avec les raisins secs, signé Joseph Audibert, un industriel promoteur de cette méthode. Il y explique comment il fabrique 400 l de vin avec 100 kg de raisins de Corinthe mis à tremper dans 400 l d'eau. Il recommande ensuite de les couper avec des vins « bien rouges et francs de goût ». Histoire d'avoir un produit buvable ! Résultat : les importations de raisins secs grecs et turcs passent de quelques milliers de tonnes avant 1875 à près d'un million de tonnes durant quelques années.

Autre procédé : le plâtrage. Cette technique est traditionnellement utilisée pour éviter que les vins tournent au vinaigre. Désormais, elle est employée à outrance. Malheureusement, elle laisse dans les vins un excès de sulfate de potasse, nuisible pour la santé. « Le vin devient une sorte de poison [...], s'indigne un chimiste. On essaie de le déplâtrer avec du chlorure de baryum, mais le danger est encore plus grand. »

Comme les vins n'ont pas de couleur, il faut y remédier. En la matière, les fraudeurs débordent d'imagination. Tout y passe pour obtenir du rouge : cochenille, coquelicot, indigo, mûre, rose trémière, baies de sureau ou de troène, airelles, orseille (un lichen) et même de la fuchsine, un colorant de synthèse.

Des pharmaciens et des chimistes montent au créneau pour prévenir les consommateurs afin qu'ils « puissent eux-mêmes protéger leur santé et leur bourse », précise l'un d'eux. Ils défendent aussi avec ardeur le vin naturel, le vrai vin et « la réputation incontestée » de son commerce. « Cette source abondante de richesse, de force et de puissance pour notre pays vaut bien qu'on la défende », poursuit un autre. Tous concluent à la nécessité de « poursuivre énergiquement la fraude ».

Il est temps, car toutes ces fraudes menacent l'avenir du vignoble. Les vins artificiels coûtent en effet bien moins cher que les vins naturels. Ils provoquent une mévente des vins du Midi qui s'enfonce dans une crise économique et sociale dramatique à l'aube du XXe siècle. Pour y mettre fin, le 1er août 1905, le Parlement vote la loi sur la répression des fraudes. Mais dans les faits, elle n'est pas appliquée assez vite. La situation conduit à la révolte des vignerons du Midi en 1907. Ils veulent que « selon la loi, le vin vendu en France soit le produit exclusif de la fermentation du jus de raisin frais », peut-on lire dans le premier numéro du Tocsin, le journal des révoltés, qui parait le 21 avril 1907. Ils auront gain de cause. Et cette victoire ouvrira même la voie à la création des AOC, trente ans plus tard.

Bibliographie : Vins, vignes, vignerons de M. Lachiver ; livres de J. Audibert, A. Gautier, E. Bastide et E. Métay sur ce thème.

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