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AU COEUR DU MÉTIER

EN TOURAINE, PATRICIA ET BRUNO DENIS : « Nous rêvions de transmettre en douceur ! »

FLORENCE BAL - La vigne - n°296 - avril 2017 - page 30

EN TOURAINE, PATRICIA ET BRUNO DENIS ont misé avec succès sur l'exportation, le sauvignon et l'AOC Chenonceaux. Jusqu'à ce que de graves problèmes de santé les forcent à revoir leur organisation et leurs projets.
CHARLOTTE DENIS, au centre, a vinifié au pied levé la récolte 2016. Elle déguste les sauvignons avec ses parents, Patricia et Bruno. PHOTO : F. BAL

CHARLOTTE DENIS, au centre, a vinifié au pied levé la récolte 2016. Elle déguste les sauvignons avec ses parents, Patricia et Bruno. PHOTO : F. BAL

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

CHARLOTTE VISITE LA PARCELLE de 5,5 ha de touraine chenonceaux exploitée depuis 2014 et acquise cette année, avant de broyer les sarments. PHOTO : F. BAL

CHARLOTTE VISITE LA PARCELLE de 5,5 ha de touraine chenonceaux exploitée depuis 2014 et acquise cette année, avant de broyer les sarments. PHOTO : F. BAL

PLUTÔT QUE DE SE BATTRE POUR DÉCROCHER DES MARCHÉS À PARIS, Patricia a développé très tôt l'exportation, qui représente aujourd'hui la moitié des ventes avec 85 000 bouteilles et qui a progressé malgré son arrêt de 18 mois pour maladie. © F. BAL

PLUTÔT QUE DE SE BATTRE POUR DÉCROCHER DES MARCHÉS À PARIS, Patricia a développé très tôt l'exportation, qui représente aujourd'hui la moitié des ventes avec 85 000 bouteilles et qui a progressé malgré son arrêt de 18 mois pour maladie. © F. BAL

POUR REMPLACER BRUNO, la famille va sans doute faire appel a un prestataire de services pour les traitements. Ici, Charlotte devant le pulvérisateur. PHOTO :  F. BAL

POUR REMPLACER BRUNO, la famille va sans doute faire appel a un prestataire de services pour les traitements. Ici, Charlotte devant le pulvérisateur. PHOTO : F. BAL

« Dès le départ, nous avons misé sur le sauvignon et sur l'export », affirment Patricia et Bruno Denis, du domaine de la Renaudie, à Mareuil-sur-Cher (Loir-et-Cher), en Touraine. Leur exploitation compte 31,8 ha de vignes dont 12 ha en appellation Touraine Chenonceaux. Elle commercialise onze vins dans les trois couleurs ainsi que des bulles.

En vingt-sept ans de travail, Patricia et Bruno Denis se sont agrandis de 14 ha. Ils ont fait passer la part du sauvignon du tiers à la moitié de la surface. Ce cépage représente aujourd'hui les deux tiers de leurs ventes. Ils ont multiplié par trois celles en bouteilles, à 175 000 cols. Ils ont supprimé le vrac au négoce et aux particuliers, à la tireuse.

Outre son énergie, le couple a bénéficié de deux coups de pouce. « La reconnaissance de l'appellation Touraine Chenonceaux, à partir du millésime 2011, a stimulé nos ventes et permis de mieux valoriser nos vins. Le nom de cette nouvelle AOC, qui rappelle le célèbre château de Chenonceaux, plaît énormément », analyse Patricia. Conformément au cahier des charges de l'appellation, leur chenonceaux blanc est 100 % sauvignon et élevé sur lie jusqu'au 1er mai. Ce vin séduit les acheteurs, même s'il coûte 60 % plus cher que le touraine sauvignon, à 8,40 €/col.

Depuis 2012, le domaine profite aussi des retombées du Concours mondial du sauvignon, une épreuve qui met en lumière les sauvignons de Touraine. Ses vins y gagnent toujours de nombreuses médailles. « Ils offrent le meilleur rapport qualité/prix. Les importateurs et les acheteurs en ont pris conscience », poursuit Patricia qui a décroché deux médailles d'or en mars 2017.

Mari et femme se partagent clairement les rôles : Patricia, formée en oenologie, est en charge du commerce, Bruno, titulaire d'un Bepa viti, est responsable de la production. Mais ils prennent toutes les décisions à deux.

« De façon traditionnelle, les vignerons de Touraine se battaient à coup de centimes pour décrocher des marchés à Paris, raconte Patricia. Dès mon arrivée, en 1990, j'ai misé sur l'exportation car cela me plaisait. Je parle couramment anglais. J'aime les langues, les voyages et le contact avec d'autres cultures. J'ai eu la chance que cela marche rapidement et on a continué. »

Au fil des ans, partir vendre ses vins à l'étranger devient même sa « soupape de sécurité ». Elle participe à des mini-expositions organisées par le comité des vins de Touraine, le département, la région et la Sopexa. « Nous avons fait partie du club des jeunes exportateurs de Touraine, dit-elle. On partait pour 24 heures à coûts minimums en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Angleterre. »

Elle participe depuis leur création aux salons Prowein, en Allemagne, et des vins de Loire, à Angers. Dans ce dernier, elle « trouve beaucoup de clients, mais il n'y a pas eu de renouvellement des acheteurs, c'est dommage », regrette-t-elle.

Toujours partante pour « aller où les autres ne vont pas », elle s'attaque en 2010 au marché asiatique. Elle y retourne trois années de suite, avant de tomber malade. Elle prospecte en Chine, à Hongkong et au Japon où elle travaille déjà avec un importateur. L'organisation de ces déplacements lui demande « un travail énorme, beaucoup trop sans doute ». Elle ne vendra rien en Chine ni à Hongkong.

« En Chine, le marché n'était pas prêt, analyse Patricia. Les Chinois ne connaissaient pas du tout les vins de Loire. J'avais tout faux car je suis venue avec mes vins blancs, la couleur de la mort en Chine, j'avais des bouteilles bourguignonnes et non bordelaises et j'étais une femme ! »

En Europe et aux etats-unis, les sauvignons de la Renaudie se sont toujours bien vendus. Mais cela a été plus difficile pour les rouges. L'export exige des rouges peu extraits avec du fruit et des tanins ronds. « Depuis une dizaine d'années, en France aussi, le goût du consommateur a évolué dans ce sens », rappelle Patricia.

Pour satisfaire cette demande, les viticulteurs se sont mis à élaborer des vins moins extraits. Ils ont raccourci les cuvaisons, passant de trois semaines à une semaine, tout en réduisant les remontages quotidiens. Toujours dans l'optique d'arrondir leurs vins rouges, en 2007, ils commencent à les « cliquer » pour leur apporter un peu d'oxygène. Depuis quatre ans, ils préfèrent la micro-oxygénation, « technique plus douce et délicate ». Ils la pratiquent entre les deux fermentations. « En vins rouges on continue à se chercher, confie Patricia. Nous valorisons mal les touraines. Mais le touraine chenonceaux commence à bien s'exporter. »

Entre deux prospections, Patricia trouve le temps de s'investir dans le fonctionnement de cette appellation. Elle organise les dégustations de contrôle des vins, qui sont confiées à un jury d'experts. « Cela m'a rajeuni de dix ans », dit-elle, enchantée. Elle est passée maîtresse dans l'art de présenter le chenonceaux sans dévaloriser son touraine. « Le touraine montre le côté variétal du sauvignon, c'est un vin fougueux qui explose au nez et en bouche, souligne-t-elle. Le chenonceaux est un vin plus sage, plus complexe, plus discret et élégant. »

Le domaine est en agriculture raisonnée, sous le label Terra Vitis. « À l'époque, on s'est dit : soit on suit ce mouvement, soit on va subir les contraintes environnementales », commente Patricia. Le couple prend en compte les avertissements pour les traitements mais désherbe encore en plein. Ils réfléchissent à se mettre au travail du sol pour 2018, année où le désherbage en plein ne sera plus autorisé.

Jusqu'en 2014, tout allait bien. Et puis, l'un après l'autre, Patricia et Denis ont eu de graves problèmes de santé. Patricia a été arrêtée de septembre 2014 à avril 2016. Dès lors, leur fille Charlotte doit revoir ses projets. Titulaire d'un BTS viti-oeno et d'une licence en marketing des vins, elle avait planifié de travailler trois ou quatre ans dans des domaines à l'étranger avant de reprendre le vignoble. Mais nécessité fait loi. Elle reste pour remplacer sa mère avant de partir pour l'Australie.

Puis, le 20 juillet 2016, Bruno chute dans le chai. L'accident lui laisse de graves séquelles. Il est toujours arrêté. Patricia travaille moins et ne peut pas assumer seule la direction de l'entreprise. Charlotte doit superviser au pied levé les vendanges et les vinifications. « Cela a été très dur, confie-t-elle. J'avais l'habitude de voir faire mon père, mais pas de prendre les décisions ni même d'intervenir concrètement. D'un coup, je devais agir comme un chef d'exploitation avec quatre employés à gérer. »

Heureusement, son oncle, qui dirige le domaine Octavie, l'a épaulée et ils ont embauché un employé à la cave. Sa mère pilote les vendanges selon l'ordre habituel des parcelles. « Beaucoup de vignerons de la vallée du Cher nous ont proposé leur aide. Cela nous a fait chaud au coeur », ajoute Patricia. « Maintenant ça va », confirme Charlotte.

« Nous ne regrettons rien, souligne Patricia. On est tous les deux passionnés. On a travaillé énormément mais maintenant nous nous fatiguons vite. Ce qui était un plaisir devient un poids. »

« Nous projetions de réaliser une transmission réfléchie et en douceur, dans quelques années. Mais les choses se sont précipitées », regrette le trio. Comme les parents, 56 ans tous les deux, ne peuvent plus travailler à plein temps, leur fille « pourra-t-elle gérer l'entreprise ? », se demandent-ils. Afin de répondre à cette interrogation, ils viennent de demander un audit de l'entreprise. Il permettra à Charlotte d'évaluer les meilleures pistes pour l'avenir : reprendre ou pas ? Diminuer la surface ? Chercher un associé ? Une autre solution ?

En attendant les résultats, ils mettent en place une organisation temporaire. Pour cette campagne, ils vont faire appel à un prestataire de services pour traiter et voir comment Charlotte pourrait malgré tout partir à l'étranger.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

L'audace. « Au départ nous avons beaucoup investi et nous devions rembourser un million de francs par an. On était confiants ! »

Ils ont saisi les opportunités d'achats de vignes en AOC Chenonceaux, dont une belle parcelle de 5,5 ha.

Leur « belle complémentarité » avec chacun sa partie - production ou commerce - a très bien fonctionné.

« Avec le Bib, nous avons développé nos ventes de touraine rouge auprès des restaurateurs et des cavistes qui, auparavant, ne venaient presque pas au domaine. »

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

Pour acquérir des surfaces de sauvignon, ils ont accepté d'acheter des rouges qui se vendent beaucoup moins bien.

Comme ils ont beaucoup investi dans les bâtiments et le commercial, le vignoble a une moyenne d'âge de 40 ans. Ils estiment ne pas l'avoir assez renouvelé alors qu'il souffre de l'esca.

LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE « Nous n'avons jamais négligé aucun secteur »

- Jusqu'à sa maladie, en 2014, Patricia Denis se rendait au moins trois semaines par an à l'étranger et consacrait un mois par an à l'animation chez les cavistes, à Paris ou dans le quart nord-ouest de la France. « Nous n'avons jamais négligé un seul secteur de manière à ne pas nous écrouler si un débouché flanchait. »

- C'est ainsi qu'elle a hissé les ventes à l'export à 38 % du CA du domaine. « L'export est notre gros point fort, souligne-t-elle. Je connais tous nos importateurs. » Si bien qu'ils ont continué à acheter même durant son absence de 18 mois pour maladie. Résultat : le CA d'export a augmenté de 17 % durant l'exercice 2015-2016 alors qu'elle était arrêtée. Il y a bien eu des ratés par manque de sauvignon, par exemple, ou lors d'une soirée de prestige à Hangzhou, en Chine dont les participants cherchaient des vins de luxe. « J'ai bien multiplié le tarif par 10 mais il aurait fallu le multiplier par 100 !, estime Patricia. À l'inverse, à Hongkong où je pensais avoir décroché des commandes, le prix jugé trop élevé a fait capoter la vente. »

- Le travail entrepris auprès du secteur traditionnel en France a porté ses fruits : le domaine a pu arrêter toute vente en vrac au négoce à partir de 2006.

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L'exploitation

Main-d'oeuvre Patricia et sa fille Charlotte, trois salariés à plein-temps et des occasionnels ;

Surface : 31,8 ha ;

Cépages : sauvignon, chenin, chardonnay, gamay, cabernet, côt, pineau d'Aunis, pinot noir et grolleau ;

AOC : Touraine et Touraine Chenonceaux ;

Plantation : 6 500 pieds/ha ;

Taille : guyot simple ;

Production : 1 619 hl en 2016 et 1 271 hl en 2015.

L'essentiel de l'offre

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