Réseau fermes
Des économies palpables
Le réseau de fermes viticoles Dephy regroupe 528 viticulteurs, encadrés par 46 ingénieurs. Tous testent des itinéraires techniques économes en produits phyto. Le 9 mars, à Paris, conseillers et viticulteurs de ce réseau se sont réunis pour dresser un premier bilan. « Depuis 2013, on observe une baisse régulière de l'IFT moyen mais, en 2016, il est remonté du fait de la forte pression parasitaire », a détaillé Laurent Delière, chercheur de l'Inra de Bordeaux et expert en vigne du réseau Dephy. Ainsi, en 2013, lors de l'entrée dans le réseau, l'IFT total moyen (incluant fongicides, insecticides et herbicides) des membres du réseau était de 13,2. Il est passé à 12,6 en 2013, à 12 en 2014 et à 11 en 2015. Puis, l'an passé, il est remonté à 13,5. « Cela reste inférieur à l'IFT moyen national (14,7) », tempère Laurent Delière. En moyenne, pendant la période 2013-2016, 60 % des systèmes de culture testés en viticulture ont permis de réduire l'IFT. Dans 49 % des cas, la réduction a été inférieure ou égale à 30 %. Dans 11 % des cas, elle a été supérieure à 30 %. 82 % des systèmes de culture ont un IFT inférieur à l'IFT de référence régional.
Les leviers utilisés par les viticulteurs sont le travail du sol et/ou l'enherbement, le recours au biocontrôle, à des outils d'aide à la décision, l'optimisation du matériel de traitement...
S'ils ont pu progresser, c'est grâce au réseau et aux échanges qui s'y déroulent. L'animateur joue ainsi un rôle central. « Avec le conseiller, on forme un binôme. Il est une ressource pour nous, un facilitateur, un poil à gratter. Il faut une confiance réciproque mais personne ne doit oublier son rôle. Au final, c'est le vigneron qui décide », a témoigné Jean-Michel Morille, vigneron dans le Muscadet. Comment transférer ces méthodes de travail et ces résultats à d'autres viticulteurs, sachant qu'il sera difficile, sinon impossible, de les encadrer aussi bien que ceux du réseau Dephy où on compte un ingénieur pour onze viticulteurs ? C'est le prochain défi qu'il va falloir relever.
Pulvérisateurs
Rien ne vaut le jet porté
Pour améliorer l'efficience des traitements et réduire la dérive, il n'y a pas trente-six solutions. D'après les tests effectués sur le banc d'essai EvaSprayViti, les appareils les plus efficaces sont les pulvérisateurs face par face à jet porté équipés de buses à injection d'air et les panneaux récupérateurs à jet porté, équipés aussi de buses à injection d'air. Ces buses occasionnent peu de dérive car elles produisent de grosses gouttes. « Je les recommande sans réserve. Leur seul inconvénient est qu'elles se bouchent plus facilement que les buses classiques. Cela nécessite un entretien rigoureux du matériel », a expliqué Sébastien Codis, de l'IFV de Montpellier. Quid des pneumatiques ? « Malheureusement, avec ces appareils, il n'y a pas de solution pour réduire la dérive. Or, ils représentent 60 à 70 % du parc en viticulture. Il faut les renouveler », a-t-il déclaré.
Le spécialiste de la pulvérisation a aussi annoncé la mise en place d'un mur de vent Eoledrift sur le banc EvaSprayViti. Il permettra de simuler des traitements par grand vent. L'idée : classer les matériels selon leur capacité à réduire la dérive. Les tests préliminaires ont commencé en février et les premiers appareils seront évalués à la fin de l'année.
Zéro herbicide
Y aller progressivement
Éric Chantelot, directeur du pôle Rhône-Méditerranée de l'IFV, a, lui aussi, été très clair. Il a annoncé que les viticulteurs allaient devoir se passer des herbicides. Autant s'y préparer. « Je crains fort une interdiction du glyphosate à plus ou moins court terme. Or, en viticulture, nous aurons du mal à poursuivre le désherbage chimique sans glyphosate. Comment rattraper au printemps la flore qui s'est installée durant l'hiver sans cette molécule ? », a-t-il déclaré.
A-t-il raison ou tort ? L'avenir le dira. Mais se passer de tout herbicide n'est pas simple. Les alternatives ? « C'est l'enherbement et le travail du sol. L'enjeu de ces techniques est économique et organisationnel », a insisté Éric Chantelot.
Lors du colloque, un vigneron et une vigneronne ont expliqué comment ils ont abandonné tout herbicide. Ils ont affirmé ne rien regretter. Ainsi Bernard Gorioux, viticulteur sur 20 ha en AOP Bordeaux, est passé en bio. Dans son domaine, les interrangs sont soit couverts par un enherbement naturel permanent, soit entretenus par du travail mécanique au printemps et en été. La ligne des souches est désherbée mécaniquement. « J'ai une flore plus variée, plus diversifiée. Je n'ai quasiment plus de mousse. Avant, j'avais des variétés invasives comme le géranium. Aujourd'hui, il a quasiment disparu », a-t-il témoigné. Mais il a reconnu que l'arrêt des herbicides occasionne plus de travail et plus de dépenses. Et de prévenir ses confrères : le changement doit se faire progressivement au risque « d'avoir une baisse trop forte des rendements ».
Cépages résistants
Pas sans risque
L'implantation de cépages résistants au mildiou et à l'oïdium est un des leviers les plus importants pour réduire le recours aux phytos. Pour Guy Cuisset, viticulteur bio en Dordogne, c'est d'ailleurs la seule solution pour se passer du cuivre. En 2014, il a donc planté 1,5 ha de muscaris et de Cal 604. « Quand on fait treize traitements en bio sur les cépages classiques et aucun sur ces cépages résistants, on a donc beaucoup d'espoir », a-t-il témoigné. Toutefois, ce n'est pas sans risque. Le principal est connu : le contournement de la résistance. C'est la raison pour laquelle l'IFV et l'Inra ont mis en place l'Observatoire national du déploiement des cépages résistants, Oscar, pour suivre le comportement de ces cépages mais aussi celui du mildiou et de l'oïdium. Guy Cuisset a donc intégré cet observatoire.
Il existe aussi d'autres inconvénients qui sont bien moins connus. Aurélie Vincent, de la chambre d'agriculture de Gironde, suit les vignobles Ducourt, dans le Bordelais. Ceux-ci ont planté en, 2014, 1,3 ha de Cal 604 et 1,7 ha de cabernet-jura, deux obtentions du pépiniériste suisse Valentin Blattner. Pour limiter les risques de contournement, ils font deux traitements systématiques avec du cuivre et du soufre au moment de la fleur et au début de la véraison. Mais leur expérience montre que des maladies secondaires peuvent connaître un développement important sur ces cépages. « L'érinose s'est fortement exprimée en 2016 sur le cabernet-jura occasionnant près de 25 % de destruction d'inflorescences. Nous avons été surpris d'observer des développements sur les grappes tels qu'ils ont entraîné des dessèchements de fleurs », a témoigné Aurélie Vincent.
Elle a aussi expliqué que le Cal 604 est un cépage assez cassant. Dans les jeunes parcelles, le travail du sol sous le rang avec la décavaillonneuse a provoqué la casse de rameaux. Autre inconvénient : ce sont des variétés peu productives. « Leurs rendements sont limités pour les VSIG », a constaté Aurélie Vincent
« Les cépages résistants permettent une bonne maîtrise du mildiou et de l'oïdium. Mais certaines années, nous avons observé des attaques de black-rot avec des dégâts pouvant aller jusqu'à 40 % de perte de récolte. Ne pas traiter les cépages résistants sans qu'il y ait de conséquences est envisageable pendant quelques années lorsqu'il y a peu de pression de black-rot, mais il est conseillé de faire entre un et trois traitements. Il faut travailler sur le choix des produits, leur positionnement et la prophylaxie », a complété Lionel Ley, ingénieur de recherche à l'Inra, qui suit des protocoles expérimentaux intégrant des cépages résistants.
Des années sans mildiou ni oïdium
Le constat est surprenant. Dans le cadre du réseau Dephy Expé de l'Arc méditerranéen, les expérimentateurs ont observé, grâce à la mise en place de témoins non traités, que dans deux situations sur trois les traitements contre le mildiou sont inutiles. Ces témoins étaient sains en fin de campagne alors qu'ils n'ont reçu aucun antimildiou pendant toute la saison.
Encore plus surprenant, dans deux cas sur cinq, les traitements contre l'oïdium sont, eux aussi, inutiles. Or, cette maladie est redoutée par tous les vignerons du Midi. Comment appréhender ces situations ? Comment savoir où et quand il est inutile de traiter ? C'est là où le bât blesse. En effet, aujourd'hui, ni les outils d'observation ni la modélisation ne permettent de prévoir ces situations.
Des rendements pas toujours présents
Dans le réseau Dephy Expé, les expérimentateurs testent des stratégies innovantes pour utiliser moins de produits phytosanitaires depuis 2013. Au niveau national, les essais sont réalisés dans six grandes régions viticoles. Après trois ans, les résultats montrent que 85 % des systèmes testés sont économes voire très économes en produits phytosanitaires. Dans ces systèmes, la réduction moyenne de l'IFT par rapport à la référence régionale va de 42 % à plus de 90 % pour ceux intégrant les cépages résistants. Mais les rendements et la qualité ne sont maintenus que dans 70 % des cas. Les pertes de rendements ont deux causes : une mauvaise maîtrise de l'état sanitaire provoquant des attaques de mildiou, d'oïdium, de black-rot ou de botrytis sur les grappes ou une trop forte concurrence dans les essais où les viticulteurs ont intégralement enherbé leurs vignes, y compris sous le rang.