L'IOC Academy a réalisé son premier tour des vignobles. Du 22 au 24 mars, cinq spécialistes sont allés à la rencontre des vignerons provençaux, languedociens et bordelais. Leur but : les sensibiliser à la bioprotection, alternative naturelle aux sulfites de plus en plus décriés par les consommateurs. « Un sujet d'autant plus d'actualité que la montée des températures et des pH diminuent l'efficacité du SO2 », a rappelé Jean-Pierre Valade, oenologue-consultant pour l'IOC.
Les techniciens ont d'abord encouragé les vignerons à ne plus récolter leurs raisins en surmaturité pour limiter les montées de pH. Puis, ils leur ont présenté plusieurs outils distribués par l'IOC. Certains remplacent le SO2, d'autres le rendent plus efficace. En prime, ils permettent d'obtenir des vins plus nets.
Gaïa déloge Kloeckera
D'abord Gaïa, une levure Metschnikowia fructicola que l'on verse dans la benne à vendange en cas de températures élevées ou de longues distances entre les vignes et le chai. Elle peut se substituer aux sulfites ou s'utiliser en complément. « Elle n'a pas de pouvoir fermentaire mais contient très bien la flore indésirable. Elle évite notamment à Kloeckera apiculata de se multiplier et de produire de l'acide acétique. Elle résiste à 50 mg/l de SO2 », a détaillé Vincent Gerbaux, oenologue à l'IFV de Beaune, qui a sélectionné Gaïa, en partenariat avec Lallemand, parmi une collection de plus de 500 souches bourguignonnes. Cette M. fructicola a aussi la capacité d'occuper le milieu lors des macérations préfermentaires à froid.
Les chercheurs l'ont vérifié au cours de plusieurs essais. Ils ont fait subir une macération préfermentaire de 5 jours à 15 °C à deux cuves de 2,5 hl de pinot noir. Le premier lot a été ensemencé avec K. apiculata seule, le second également avec K. apiculata, puis, quatre heures plus tard, Gaïa. Après cela, les chercheurs ont inoculé une S. cerevisiæ dans tous les moûts puis lancé la fermentation. En fin de fermentation, le second lot, protégé par Gaïa, renfermait moitié moins d'acide acétique que le premier. « Si l'on veut bénéficier de la protection de Gaïa, elle doit être inoculée entre 8 et 16 °C, le plus tôt possible, l'idéal étant le jour de l'encuvage », détaille Vincent Gerbaux.
« En Italie, Gaïa est aussi employée pour limiter le développement du botrytis, après les vendanges, sur les raisins passerillés », ajoute Olivier Pillet, chef de produit chez IOC. Il semble qu'elle produise de la pulcherrimine, un acide aminé qui piège le fer inhibant ainsi le développement des spores.
« M. fructicola ne consomme que 10 mg/l d'azote assimilable et de la thiamine », précise Olivier Pillet. Elle ne contrarie pas le déroulement de la fermentation alcoolique après l'ensemencement d'une S. cerevisiæ classique, et meurt progressivement à partir des deux tiers de la fermentation, sous l'effet de l'alcool. L'IOC la vend à 85€/kg.
Ionys WF désacidifie les vins
Les vins issus des régions chaudes présentent souvent des pH supérieurs à 3,5, qui compromettent l'efficacité du SO2. L'Inra de Montpellier et Lallemand ont sélectionné une levure qui convertit moins de sucre en alcool, en faveur du glycérol, et acidifie les vins. « En laboratoire, nous obtenions une baisse de près de 1 % vol. par rapport aux levures usuelles. Au chai, c'est un peu moins, autour de 0,6 % vol., explique Didier Théodore, chef de produit levures chez Lallemand. Mais nous avons eu l'agréable surprise de constater que Ionys WF fait aussi baisser le pH des vins de 0,15 à 0,20 point et remonter l'acidité totale de 0,4 à 1,4 g/l. »
Cette souche donne des vins frais et équilibrés, en produisant très peu de SO2, à condition de respecter un protocole de nutrition azotée et d'acclimatation rigoureux pour ne pas la stresser. Comptez 70 €/kg.
Deux LSA qui ne produisent pas de SO2
Depuis 2016, l'IOC distribue des LSA qui ne produisent pas de composés soufrés. C'est le cas de l'IOC Be Fruits et de l'IOC Be Thiols. Toutes deux sont issues d'un procédé innovant de sélection, présenté par Jessica Noble, chargée R & D chez Lallemand, détachée à l'Inra de Montpellier. « Nous avons identifié les zones du génome impliquées dans le métabolisme du SO2 et de l'H2S chez Saccharomyces. De là, nous avons réalisé des croisements entre des levures peu productrices de composés soufrés et des levures d'intérêt oenologique. Nous avons obtenu ainsi IOC Be Fruits en partant d'IOC B2000 et IOC Be Thiols avec la souche IOC Révélation Thiols. Ces nouvelles souches révèlent les arômes sans produire de SO2, et jusqu'à 60 % d'éthanal en moins », détaille-t-elle.
Comme les vins contiennent moins d'éthanal, ils combinent moins le SO2. Le vigneron qui se passe de sulfitage jusqu'à la fin des fermentations pourra en utiliser de plus petites doses lors de l'élevage.
Une bactérie, rempart aux déviations
Pour éviter les altérations bactériennes, Philippe Gabillot, oenologue à la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire, a testé une co-inoculation inédite : l'ensemencement précoce d'une bactérie Lactobacillus plantarum. Quatre cuvées de 13 hl de cabernet franc en AOP Chinon ont été vendangées à la machine : un témoin sulfité à 4 g/hl, un lot non sulfité, un non-sulfité mais ensemencé avec Gaïa dès les bennes, et un non-sulfité ensemencé avec Gaïa dans les bennes et inoculé avec Lactobacillus plantarum 6 heures plus tard pour enclencher la malo. Tous les lots ont été levurés. Après le décuvage, les trois premiers ont été ensemencés avec une bactérie nococcus oeni. Les quatre cuvées ont été soutirées et mises en bouteilles selon le même protocole.
« Elles ont mis environ 15 jours à fermenter. Le lot bioprotégé avec des levures et des bactéries n'a produit que 0,12 g/l d'acidité volatile. Je n'en avais jamais mesuré aussi peu », explique Philippe Gabillot. C'est le lot non sulfité qui en refermait le « plus », avec 0,19 g/l. « L'acide malique a été dégradé en 6 jours dans la cuve inoculée avec la lactobacillus. Dans les autres, il a fallu attendre en moyenne 40 jours. »
Quinze professionnels ont dégusté les vins un mois après la mise en bouteilles. « Le lot sulfité est celui qui a été le moins bien noté. Le non-sulfité et non-ensemencé avec Gaïa a été jugé fruité et bien équilibré. Le lot bioprotégé avec Gaïa est celui qui a donné le plus de plaisir en bouche. Et c'est le lot bioprotégé avec des levures et des bactéries qui a été jugé le plus net. » L'IOC distribue la bactérie ML Prime au prix de 76 € pour un kit de 25 hl.
Pas facile l'élevage sans SO2
Se passer de SO2 reste périlleux au cours de l'élevage. Les chercheurs le déconseillent, « surtout sur les vins très aromatiques, de type thiols », prévient Jean-François Vrinat, oenologue consultant. En revanche, les doses de soufre peuvent être limitées : « Il faut prendre le réflexe d'analyser régulièrement les vins. En cas de contamination, notamment par Brettanomyces, on peut soutirer et utiliser des lysozymes ou la filtration tangentielle. » L'IOC préconise aussi l'utilisation de Bactiless pour bloquer les déviations bactériennes, et de Pure-Lees Longevity, une levure inactivée sélectionnée par Lallemand qui consomme l'oxygène dissous. Au conditionnement, le vigneron doit viser moins de 1 mg d'O2/bouteille et utiliser un bouchon peu perméable. Bien sûr, tout cela à un coût...
RDV en 2019
Près de 150 vignerons ont assisté à l'une des trois matinées proposées par l'IOC, qui entend renouveler l'événement tous les deux ans. La seconde édition devrait se tenir en 2019, pour ne pas venir empiéter sur le Lallemand Tour, programmé en 2018, dont le thème n'a pas été dévoilé.