Retour

imprimer l'article Imprimer

Magazine - Étranger

La Thrace Une plaine, deux viticultures

MATHILDE HULOT - La vigne - n°296 - avril 2017 - page 84

Des survivants de l'ère communiste et de nouveaux investisseurs se partagent la plaine de Thrace, en Bulgarie. Les premiers visent les marchés de masse, les seconds le haut de gamme.
LE DOMAINE BESSA VALLEY, récemment constitué d'un seul tenant, est planté à 53 % de merlot et à 22 % de syrah sur laquelle les propriétaires misent car elle montre un beau potentiel. © GTZ

LE DOMAINE BESSA VALLEY, récemment constitué d'un seul tenant, est planté à 53 % de merlot et à 22 % de syrah sur laquelle les propriétaires misent car elle montre un beau potentiel. © GTZ

TSVETOMILA GEORGIEVA, directrice d'Angel's Estate, présente sa gamme de vins blancs et de rouges de garde d'une grande tenue. À l'exportation, ils sont vendus à des prix export particulièrement abordables.  © GTZ

TSVETOMILA GEORGIEVA, directrice d'Angel's Estate, présente sa gamme de vins blancs et de rouges de garde d'une grande tenue. À l'exportation, ils sont vendus à des prix export particulièrement abordables. © GTZ

DANS LES VIGNES D'EDOARDO MIROGLIO, Roberto La Rosa veille sur le vignoble et la cave. Il est italien, comme le propriétaire. © GTZ

DANS LES VIGNES D'EDOARDO MIROGLIO, Roberto La Rosa veille sur le vignoble et la cave. Il est italien, comme le propriétaire. © GTZ

CES BOUTEILLES EN PLASTIQUE du domaine Boyar, spécialisé dans les vins d'un très bon rapport qualité/prix, sont vendues à moins d'un euro.  © GTZ

CES BOUTEILLES EN PLASTIQUE du domaine Boyar, spécialisé dans les vins d'un très bon rapport qualité/prix, sont vendues à moins d'un euro. © GTZ

VLADISLAV GEORGIEV, l'oenologue d'Angel's Estate, à côté de la trieuse optique Delta Vistalys. Dans ce chai, tous les outils sont dernier cri, jusqu'aux mille fûts français. © GTZ

VLADISLAV GEORGIEV, l'oenologue d'Angel's Estate, à côté de la trieuse optique Delta Vistalys. Dans ce chai, tous les outils sont dernier cri, jusqu'aux mille fûts français. © GTZ

SVETLANA KARASLAVOVA ET DOJCHIN ANDREEV, directrice export et directeur de Boyar, posent au-dessus de la cuverie construite à l'australienne dans les années 1990. © GTZ

SVETLANA KARASLAVOVA ET DOJCHIN ANDREEV, directrice export et directeur de Boyar, posent au-dessus de la cuverie construite à l'australienne dans les années 1990. © GTZ

Du vin bien avant les Romains ! Dans cette luxuriante plaine qu'est la Thrace, dans le sud-est de la Bulgarie, il faut remonter jusqu'à 6 000 ans avant J.-C. pour évoquer les premières vignes. Depuis, la viticulture a bien changé : elle avance à deux vitesses. Les grosses structures récupérées à la fin de l'ère communiste ciblent les marchés de masse quand quelques domaines ultramodernes, sortis de nulle part, parient sur l'excellence.

En tête des grands groupes : le domaine Boyar. Créé en 1991, alors que les monopoles étatiques sont démantelés, il appartient à des investisseurs et à une banque. Existant depuis quinze ans, la cave est gigantesque avec une capacité de 160 000 hl. Elle achète la récolte de 1 300 hectares, dans tout le pays, à une quinzaine de fournisseurs principaux sous contrat renouvelable tous les ans. Elle reste le plus gros exportateur bulgare, vendant surtout au Royaume-Uni et en Belgique. Elle fournit les marques de distributeurs de Tesco, Carrefour, Delhaize ou Marks and Spencer.

Francis Lerminiaux, responsable des achats de vins chez Carrefour Belgique, travaille avec Boyar depuis trente-cinq ans. « Ce domaine est très agressif en termes de prix. Ses vins sont bons, bien faits, pour tous les jours. Je n'ai jamais eu de mauvaise surprise », explique-t-il.

D'un point de vue viticole, pourtant, l'avenir s'annonce délicat car la ressource en raisin se tarit. « Avant, il y avait beaucoup plus de viticulteurs, révèle l'acheteur. Aujourd'hui, ceux qui ont peu de vignes gardent leur récolte pour eux. » De plus, « les millésimes difficiles s'enchaînent. Les rendements en pâtissent. Nous ressentons le changement climatique », indique Dojchin Andreev, directeur de la cave principale du groupe, située à Sliven. Malgré tout, la cave maintient sa production autour de 8 à 9 millions de bouteilles, bon an mal an.

Pour assurer son avenir, la société voisine, Vinex Slavyantsi, a choisi la voie du commerce équitable. Cette coopérative, fondée en 1932, a fourni jusqu'à 20 millions de litres par an à l'URSS et au Royaume-Uni. À la fin de l'ère soviétique, ses employés l'ont rachetée. Depuis, ils la gèrent avec succès. La marque Leva, en particulier, se vend bien en Suède. En 2015, elle a écoulé près de 2 millions de litres d'un assemblage de chardonnay, dimiat et muscat.

Vinex Slavyantsi « est le meilleur fournisseur bulgare », avance Björn Wittmark, leur importateur suédois qui a lancé l'idée du commerce équitable. La certification date de 2014. 450 employés travaillent dans les vignes. « Nous reversons une partie de notre chiffre d'affaires à un fonds qui participe aux soins médicaux et à l'éducation de nos salariés et de leur famille. Nos employés sont des Tsiganes, des Turcs, des musulmans. Nous ne faisons aucune discrimination », atteste Dimo Dimitrov, le directeur commercial. Quatre vins viennent tout juste d'intégrer les références permanentes de Carrefour Belgique, une grande première pour les vins bulgares.

Les autres occupants de la plaine de Thrace ne vinifient que leur propre récolte. Ces exploitations sont souvent isolées, nées de nulle part, financées en partie par des subventions européennes et conseillées par des experts étrangers. Elles ont fait des recherches approfondies pour planter les bons cépages et les bons porte-greffes, selon le type de sol.

Angel's Estate, près de Stara Zagora, fut créé au milieu des années 2000 par deux frères, Ivan et Luka Angelov. Le chai abrite la panoplie complète du vigneron doté de gros moyens : trois chambres froides pour refroidir la vendange, un trieur optique (Delta Vistalys), un pressoir vertical pour les rouges (Bucher JLB), un pressoir pneumatique dernier cri (XPlus 30), quinze foudres en bois de chez Boutes et un millier de fûts de chêne français de Baron, Vicard, François Frères, etc.

Les premières plantations datent de 2007 et 2008. Elles couvrent une centaine d'hectares, auxquels se sont ajoutés 43 hectares en 2015. En rouge (70 % de la production), merlot, cabernet-sauvignon, cabernet franc, petit verdot et syrah constituent les cuvées Stallion et Gold Stallion. Les vins partent à l'export à partir de 2,50 € et jusqu'à 10 €, pour le plus cher d'entre eux.

Le chai-hôtel d'Edoardo Miroglio surplombe 100 hectares de vignes autour du village d'Elenovo, toujours dans le nord de la Thrace. Le magnat du textile italien impose ici la même exigence de qualité que dans sa propriété du Piémont, la Tenuta Carretta. Dans le paysage bulgare, il se fait remarquer par ses pinots noirs très réussis. Ici aussi, tout respire l'excès, jusqu'à la pierre rosée qui recouvre quasiment tout le sol de l'immense chai. Mais le fils d'Edoardo Miroglio reconnaît que l'investissement ne sera jamais rentabilisé.

Idem pour Bessa Valley, un domaine de 300 hectares (dont 150 ha plantés) situé dans le sud de la plaine de Thrace, au sud-ouest de Plovdiv. Supervisée par Stephan von Neipperg, propriétaire à Saint-Émilion, l'équipe produit des vins de cépages bordelais, du mavrud et une syrah de haut vol, à des prix départ n'excédant pas 16 euros. D'excellents rapports qualité/prix sur le marché mondial, mais qui ne permettront pas de rentabiliser les énormes investissements consentis pour produire des vins remarquables.

Le cépage mavrud, fierté des Bulgares

S'il est un cépage emblématique de la plaine de Thrace, c'est bien le mavrud. Il est peu planté : 1 362 ha selon les statistiques du pays, presque uniquement dans la Thrace d'où il serait originaire. Mais les Bulgares en sont très fiers. Ils le mettent systématiquement en avant pour montrer le potentiel de leurs vins. Ce cépage noir donne des vins colorés, tanniques, imposants. Il se plaît particulièrement autour de Plovdiv, dans le Sud-Ouest du pays. La cave d'Assenovgrad en fait à elle seule plusieurs millions de bouteilles à partir des 600 ha dont elle achète la récolte. Le mavrud mérite de longs élevages en fût et supporte plusieurs décennies de garde, comme en témoigneun 1964 d'une grande fraîcheur que nous avons eu l'occasion de goûter sur place. Tardif - de troisième génération, selon Pierre Galet - le cépage mûrit difficilement. C'est pourquoi il est peu planté.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :