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VIGNE

L'As du greffage en place

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°297 - mai 2017 - page 40

Dans l'Hérault, Vincent Guizard pratique le greffage en place pour remplacer les manquants. Un exercice qui lui prend beaucoup de temps mais grâce auquel il obtient une meilleure reprise qu'avec les greffés-soudés.
VINCENT GUIZARD, du domaine Saint-Sylvestre, pratique avec art la greffe en place. PHOTO : M. TRÉVOUX

VINCENT GUIZARD, du domaine Saint-Sylvestre, pratique avec art la greffe en place. PHOTO : M. TRÉVOUX

ENTAILLE DU TRONC avant de l'inciser pour placer le porte-greffe.  PHOTO : M. TRÉVOUX

ENTAILLE DU TRONC avant de l'inciser pour placer le porte-greffe. PHOTO : M. TRÉVOUX

MAINTIEN du greffon sur le porte-greffe avec un ruban.  PHOTO : M. TRÉVOUX

MAINTIEN du greffon sur le porte-greffe avec un ruban. PHOTO : M. TRÉVOUX

Le geste est sûr et précis. En ce bel après-midi du 21 avril, sous un chaud soleil printanier, Vincent Guizard s'agenouille devant une souche mal en point. Il entaille le tronc en dessous du point de greffe, place un greffon et ligature la greffe. Le tout en deux temps trois mouvements.

Malgré son jeune âge, l'homme a du métier. Depuis dix ans, ce vigneron, installé sur 8 ha à Puéchabon, dans l'Hérault, remplace ses souches malades ou mortes en pratiquant le greffage en place. « Les anciens avaient l'habitude de procéder ainsi. J'ai voulu tester pour voir. Les résultats m'ont convaincu », explique-t-il.

C'est en 2006 que le jeune vigneron tente sa première expérience de greffage en place. Initié par un pépiniériste, il remplace dans une parcelle de syrah les pieds atteints de dépérissement. Et il regreffe les souches malades quelques centimètres sous leur point de greffe.

« Le dépérissement ne provient pas du porte-greffe. En greffant le pied en place, je profite du système racinaire déjà installé. La reprise est beaucoup plus rapide. J'obtiens ainsi des raisins dès la troisième année alors qu'il faut attendre six à sept ans si je complante un greffé-soudé », argumente-t-il.

Autre avantage du greffage en place : la période d'intervention est plus longue que pour une complantation. « Je peux greffer jusqu'à fin juin. »

Les premières années, il se fait la main. « J'ai eu des échecs sur certains pieds, mais aujourd'hui, avec l'expérience, j'arrive à obtenir de 80 à 90 % de reprise », confie-t-il. Les syrahs greffées en 2006 en témoignent. Ces pieds ont retrouvé une nouvelle jeunesse. « Ils tiennent toujours. Il n'y a pas de problème de longévité », constate-t-il. Tous tranchent par rapport aux souches touchées par le dépérissement, qui n'ont pas encore été greffées.

Dans la parcelle d'en face, plantée en grenache et mourvèdre, c'est l'esca qui fait des ravages. Contre cette maladie, le vigneron ne tergiverse pas : il arrache les pieds malades et plante des racinés de porte-greffe à la place. « Ensuite, il faut attendre que leur tronc atteigne la grosseur d'un manche à balai pour les greffer. Selon la nature des sols, il faut compter de deux à cinq ans », précise-t-il. Cette année, il va pouvoir greffer 400 à 500 porte-greffes sur les 780 qu'il a plantés en 2015.

La technique requiert de l'anticipation. Au moment de la taille, Vincent Guizard marque les souches affaiblies qu'il devra greffer ou arracher. Pour les greffons, il garde les meilleurs sarments dans ses plus jolies vignes sur des pieds qui produisent de beaux raisins. Puis il les prélève fin février, en fait des fagots qu'il conserve au frigo. Il taille les greffons le jour du greffage et les dépose dans un bocal d'eau qu'il emportera avec lui de souche en souche pour les prendre juste avant de les greffer afin qu'ils ne se dessèchent pas.

Si le greffage ne nécessite que quelques minutes, l'ensemble de l'opération prend du temps. « Les plants à greffer sont éparpillés dans la parcelle. Le rythme est plus lent que si l'on pouvait les greffer d'affilée. Et avant de procéder à l'opération, il faut déchausser la souche. Puis repasser quinze jours plus tard pour rabattre la végétation. »

Vincent Guizard réalise 200 greffes en une journée de 10 heures. Chaque année, il consacre environ dix jours pleins à cette tâche. Sans compter le suivi, après la greffe, lors des travaux en vert. « Il faut veiller à ce que le plant greffé soit correctement attaché et palissé pour qu'il pousse bien droit. Je jette un oeil aux plants greffés à chaque passage. »

Malgré le temps qu'il consacre au greffage, Vincent Guizard y trouve son compte. « Je suis en cave particulière. Je vends toute ma production en bouteilles. Je vise donc une bonne valorisation de mes vins. Mon objectif est d'avoir des vignes vieilles, capables de produire de grands vins, qui durent le plus longtemps possible. Le greffage en place y contribue », clonclut-il.

Une pratique qui a cours à Banyuls et Bordeaux

À Banyuls, les viticulteurs utilisent souvent le greffage en place pour leurs complantations. « C'est un vignoble en pente où il est très compliqué d'apporter de l'eau. Le greffage en place offre un meilleur taux de reprise que la complantation de greffés-soudés que l'on ne peut pas arroser. On plante les porte-greffes en janvier pour bénéficier des pluies. Au bout de deux à trois ans, quand le tronc a atteint un diamètre suffisant, on décapite la souche et on greffe en fente. La reprise est très aléatoire d'un greffeur à l'autre et d'une année sur l'autre. Mais lorsque le plant reprend, il est vigoureux et plus résistant à la sécheresse qu'un greffé-soudé », témoigne Éric Noémie, de la chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales.

À Bordeaux, la pratique se développe, selon Julien Lavenu, consultant associé chez Derenoncourt. « C'est intéressant pour les complantations. En greffé-soudé, les pépiniéristes recommandent pour s'assurer d'une bonne reprise des porte-greffes vigoureux, ce qui n'est pas optimal pour la qualité des raisins. Avec le greffage en place, on peut avoir recours à un porte-greffe moins vigoureux car il aura le temps de développer un bon système racinaire avant d'être greffé. Pour les nouvelles plantations, le greffage en place est également une bonne solution. Et si l'on emploie des greffons de sélection massale, on peut diversifier le matériel végétal. Mais c'est une pratique qui a un coût : elle demande du temps et de la technicité », explique-t-il.

Son mode opératoire : la greffe chip-bud

Vincent Guizard pratique la greffe chip-bud. Pour commencer, il déchausse la vieille souche pour accéder au porte-greffe. Ensuite, il enlève délicatement la vielle écorce et entaille le tronc pour en retirer de minces copeaux d'environ 3 cm de haut. Puis il incise la base de cette entaille sur une profondeur de 2 à 3 mm, pour placer le greffon. Le bois du tronc doit être bien vert. S'il est sec et cassant, la greffe ne prendra pas. Inutile d'insister. Une fois le greffon en place, il faut le ligaturer avec un ruban de manière à le maintenir en contact avec le porte-greffe. Dix à quinze jours plus tard, les premières feuilles sortent du bourgeon. C'est le moment de rabattre la végétation au-dessus du greffon, en ne laissant qu'un tire-sève avec deux feuilles, au cas où la jeune pousse serait cassée accidentellement. En hiver, au moment de la taille, on enlève le lien pour que la greffe puisse grossir. Vincent Guizard vendange à la main. À ceux qui vendangent à la machine, il conseille de placer la greffe dans le sens du rang et de poser un tuteur pour la protéger des bras cueilleurs.

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