EN BORDURE DE LA MOSELLE, le coteau des Lièvres, situé sur le versant luxembourgeois, est un terroir particulièremenr réputé de l'appellation. PHOTO : T. JOLY
LE VIGNOBLE de 125 hectares se concentre autour de trois villages : Nennig, que l'on aperçoit ici, Perl et Sehndorf. PHOTO : T. JOLY
LES VIGNERONS SARROIS : les frères Petgen, Ralf (à gauche) et Gerd (au centre), et Helmut Herber (à droite). PHOTO : T. JOLY
Ne cherchez pas l'appellation Sarre dans un atlas du vin. Les vignes de ce land allemand limitrophe de la Lorraine et du Luxembourg font partie de la vaste aire d'appellation Moselle. Tout au plus les vins qui en sont issus portent-ils l'indication « Mosel-Tor », soit « Porte de la Moselle ». Une situation qui convient à la cinquantaine de vignerons de l'appellation qui exploitent de 0,5 à 16 ha.
« Nos vins se vendent essentiellement dans notre région, auprès de clients qui les connaissent. Il ne nous servirait à rien d'avoir notre propre appellation », affirme Gerd Petgen, le président du Syndicat des vignerons, producteur de vins tranquilles et d'effervescents à Perl. De fait, les exportations restent anecdotiques et les ventes dans le reste de l'Allemagne ne dépassent pas 10 % de la production.
Les vignerons n'ont aucun problème pour écouler leurs cuvées. Il faut dire que leur production se limite à 500 000 bouteilles par an, le vignoble ne comptant que 125 ha situés autour de trois villages : Nennig, au nord, et Perl et Sehndorf, situés 8 km plus au sud et à 1 km seulement de la France (département de la Moselle) et du Luxembourg.
Planté de 4 000 à 4 500 pieds/ha et encépagé principalement en pinot gris, auxerrois et elbling, le vignoble ne s'est que très légèrement étendu au cours des dix dernières années. « Vu la demande, nous pourrions produire plus. D'autant que les terres propices à la vigne ne manquent pas car, avec le réchauffement climatique, on peut la cultiver jusqu'à 400 m d'altitude alors que dans mon enfance on ne pouvait pas dépasser 300 m », souligne Gerd Petgen. « Mais les autorisations de plantations sont attribuées au compte-gouttes et il n'y a aucune vigne en vente, les jeunes prenant la suite de leurs parents », ajoute Helmut Herber, qui possède 10 ha à Perl, dont 0,25 ha au Luxembourg, près de Schengen. Un cas qui n'est pas isolé. D'autres vignerons ont aussi quelques arpents au Grand-Duché ou en France, fruits de mariages ou d'héritages. Ils peuvent incorporer ces raisins dans leurs vins sans perdre l'appellation « Mosel ».
Principale évolution récente, la proportion de la récolte vinifiée sur place a fortement augmenté. « Il y a vingt-cinq ans, presque tout le monde livrait à la coopérative située à Bernkastel-Kues, toujours en Moselle, mais à une centaine de kilomètres au nord-est d'ici. Aujourd'hui, treize domaines possèdent un chai. Ils vinifient leur récolte et achètent des raisins aux autres producteurs du coin. Dès lors, la coopérative ne récupère plus que 10 % de la production locale. Ces domaines sont tous équipés de pressoirs pneumatiques et de cuves à température contrôlée. Ils embouteillent eux-mêmes ou font appel à un embouteilleur », explique Gerd Petgen dont les vins tranquilles sont issus de sa propre récolte mais qui achète tous les raisins nécessaires à l'élaboration de ses 20 000 cols d'effervescents annuels. « Néanmoins, je décide de tous les traitements à effectuer et de la date de la vendange. » Un raisin dont le prix varie de 1 euro le kilo pour l'elbling à 3 euros pour le pinot gris.
Vendus entre 5 et 10 €/col, les vins sont à 85 % des blancs, à 5 % des effervescents, le solde étant constitué de rouges et de rosés, ces derniers ne progressant que légèrement. Pas de vogue bio non plus avec un seul domaine positionné sur ce créneau. « Nos vins se vendant bien, le bio n'est guère attractif pour nous car il signifie des coûts supplémentaires », indique Helmut Herber.
La grêle et les gelées sont plus rares qu'auparavant, mais le froid reste suffisant pour permettre une petite production de vin de glace. « Pas plus de 1 000 bouteilles par an », précise Ralf Petgen, le frère de Gerd, dont le domaine Petgen-Dahm est l'un des deux plus gros de l'appellation avec 16 ha à Perl-Sehndorf.
Les traitements de ces trois domaines sont conventionnels et, en année normale, sept passages sont nécessaires pour contenir mildiou et oïdium. La faute à une pluviosité répartie sur l'année supérieure à 750 mm.
Pour un meilleur ensoleillement et un séchage plus rapide du raisin, les vignes sont hautes et palissées jusqu'à environ 2 m. Ce qui facilite l'effeuillage qui doit être réalisé fréquemment compte tenu de la vigueur.
« Nous enherbons au minimum un rang sur deux pour réduire un peu cette vigueur et faciliter le passage des tracteurs », précise Ralf Petgen. Le rendement autorisé est de 120 hl/ha, mais il est souvent bien moindre. En particulier pour le pinot noir, le pinot gris et les cuvées de prestige pour lesquelles il est ramené entre 60 et 70 hl/ha, voire 45 hl/ha par des vendanges en vert.
Seule difficulté pour les vignerons : trouver de la main-d'oeuvre. « Les gens d'ici préfèrent aller travailler au Luxembourg où les salaires sont plus élevés. Les personnes que j'emploie sont des préretraités français », révèle Ralf Petgen. Il est vrai que Schengen, où ont été signés les fameux accords abolissant les contrôles aux frontières des États membres de l'Union européenne, ne se trouve qu'à deux kilomètres de là.
Une commercialisation très locale
Si Ralf Petgen vend 30 % de ses 150 000 à 200 000 bouteilles en dehors de la Sarre, les autres vignerons locaux écoulent avant tout leur production auprès des Sarrois et des touristes. Ils ouvrent à cette fin leurs caveaux six jours sur sept et chacun à tour de rôle le dimanche.
Gerd Petgen, quant à lui, vend tous ses effervescents et 20 000 bouteilles de vins tranquilles de son frère dans une weinstube (taverne) qu'il a créée ouverte le week-end et le vendredi soir, de Pâques à Noël. « Les gens consomment sur place ou achètent des bouteilles pour les emporter », explique-t-il.
Enfin, Helmut Herber vend 50 % de ses bouteilles au domaine et presque tout le reste dans la Sarre où il livre lui-même. Pour mieux valoriser ses vins, avec d'autres producteurs allemands, luxembourgeois et lorrains, il a lancé une gamme baptisée Charta Schengen Prestige en référence au traité de Schengen. Ayant un packaging spécial, ces vins vendus 15 € sont disponibles dans les domaines et des sites touristiques.