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AU COEUR DU MÉTIER

DANS LE SAUMUROIS, chez Liliane et Laurent Gautier : « Des vins de qualité pour le négoce »

FLORENCE BAL - La vigne - n°298 - juin 2017 - page 26

DANS LE SAUMUROIS, Liliane et Laurent Gautier vendent toute leur récolte au négoce. Pour obtenir un bon revenu, ils s'adaptent à la demande et font tout pour produire des vins de qualité aux rendements autorisés.
LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LA FAMILLE GAUTIER : de gauche à droite, Pierre, le fils, Liliane et Laurent. PHOTO : F. BAL.

LA FAMILLE GAUTIER : de gauche à droite, Pierre, le fils, Liliane et Laurent. PHOTO : F. BAL.

LAURENT ET PIERRE se joignent à l'équipe de deux employés et de deux saisonnières qui dédouble et épampre cette parcelle de cabernet franc de 40 ans. PHOTO : F. BAL.

LAURENT ET PIERRE se joignent à l'équipe de deux employés et de deux saisonnières qui dédouble et épampre cette parcelle de cabernet franc de 40 ans. PHOTO : F. BAL.

GABRIEL DENIAU (à droite), courtier en vins, achète une partie de la production de Laurent Gautier depuis son installation, comme le faisaient avant eux leurs pères qui travaillaient déjà ensemble. Ici, ils dégustent le saumur blanc élevé en fût du domaine. PHOTOS : F. BAL PHOTO : F. BAL.

GABRIEL DENIAU (à droite), courtier en vins, achète une partie de la production de Laurent Gautier depuis son installation, comme le faisaient avant eux leurs pères qui travaillaient déjà ensemble. Ici, ils dégustent le saumur blanc élevé en fût du domaine. PHOTOS : F. BAL PHOTO : F. BAL.

PIERRE GAUTIER contrôle la dernière acquisition  du domaine : un pulvé à panneaux récupérateurs. PHOTO : F. BAL.

PIERRE GAUTIER contrôle la dernière acquisition du domaine : un pulvé à panneaux récupérateurs. PHOTO : F. BAL.

« Notre vrai métier, c'est d'être vigneron. C'est travailler dans les vignes tous les jours pour faire du vin. Ce n'est pas commercial. » À Vaudelnay, en Saumurois, dans le Maine-et-Loire, Laurent et Liliane Gautier ont choisi il y a vingt-cinq ans de vendre toute leur production au négoce. Depuis, ils ont établi de « bons partenariats » avec leurs interlocuteurs. Leur domaine compte 43 ha de vigne. Ils produisent environ 2 700 hl avec lesquels ils élaborent sept vins. Ils en vendent près de la moitié comme vin de base de saumur fines bulles ou de crémant de Loire. Et un quart en saumur rouge et blanc en vrac au négoce sous leur nom : Domaine des Vignes Biche.

Laurent Gautier s'installe sur 4 ha en 1982, s'agrandit de 8 ha en 1988, avant de reprendre les 10 ha de son père en 1992. Cette année-là, il crée l'EARL Domaine des Vignes Biche. Son épouse arrête de travailler à l'extérieur et devient associée non exploitante et salariée de l'entreprise. Ils démarrent alors un partenariat tacite (qui dure encore) avec un négociant pour la vente d'une partie de leur production sous le nom de leur domaine, avec mise en bouteilles à la propriété. Parallèlement, ils écoulent en direct quelques centaines de cols.

« Mais nous vendions sous le même nom que notre acheteur, ce qui prêtait à confusion dans l'esprit de nos clients. Et notre prix de vente directe était trop bas (1,90 €/col), explique le couple. La vente directe, c'est beaucoup d'énergie qu'on ne peut pas investir ailleurs. Très vite, dans l'année, nous avons fait le choix de tout écouler au négoce et de nous concentrer sur ce que l'on sait bien faire : produire. »

Pour bien travailler avec le négoce, « il faut élaborer des vins de qualité », affirment-ils. Leur vision s'appuie sur un cercle vertueux. « Meilleur est votre vin, mieux vous êtes reconnu ainsi que votre AOC, estiment-ils. Alors la demande augmente et le prix aussi. Une AOC se porte bien si les vins sont bons et s'ils sont payés correctement. »

Afin d'optimiser ses résultats, le couple fait appel au conseil extérieur tant en viticulture et oenologie (SCPA et Œno Labo au Puy-Notre-Dame) qu'en comptabilité et gestion (Cerfrance 49). « Laurent Gautier s'informe et lit beaucoup. Il sait s'entourer. Il est avide de conseil et participe à de nombreuses réunions car il est toujours en recherche d'informations pour progresser. Il tisse des liens étroits avec ses partenaires et ses salariés qui sont présents sur son domaine depuis de nombreuses années », observe Vanessa Cherruau, conseillère d'entreprises au centre de gestion Cerfrance 49.

Dès le départ, le couple s'emploie à agrandir son domaine. En vingt ans, il achète et plante 20 ha de vignes. Il met toute son énergie à faire progresser la qualité de ses raisins et de ses vins. En 2002, il s'équipe de drapeaux mobiles pour maîtriser la température. En 2004, il achète un pressoir pneumatique Bucher de 60 hl. En 2007, il rend l'installation de contrôle des températures fixe. Depuis 2012, il dispose de 4 000 hl de cuves thermorégulées - 1/3 en Inox, 1/3 en fibres et 1/3 en ciment revêtu de peinture. Cette année, il prévoit d'acheter une table à rouleaux pour affiner le tri et un pressoir Bucher de 30 hl afin d'augmenter la capacité de pressurage et de macération des cabernets d'Anjou.

Pour autant, le couple a connu des années difficiles. En 2011-2012, il juge que les prix proposés par le négoce sont insuffisants et refuse plusieurs offres d'achat. Résultat ? « Aux vendanges 2012, nous avions encore 60 % de la récolte précédente en stock. Puis nous avons eu trois campagnes très tendues avant de pouvoir déstocker », racontent-ils.

À cette époque, afin d'avoir davantage de cordes à leur arc, ils élaborent deux AOC supplémentaires : du cabernet d'Anjou et du crémant de Loire. Pour pouvoir produire du cabernet d'Anjou - un rosé demi-sec qu'il faut muter par le froid -, ils équipent leurs cuves de drapeaux aussi hauts qu'elles. Pour leur crémant, ils choisissent leurs vignes les plus productives : des sélections massales de chenins âgés de 45 ans qui, paradoxalement, « connaissent très peu de mortalité ».

À la même période, la Fédération viticole de l'Anjou et de Saumur entame une réflexion sur les vins rouges « qui ne collent pas aux souhaits du consommateur ». Le négoce veut des vins prêts à boire rapidement, fruités et ronds. « Nous avons passé en revue la maturité des raisins, la préservation du fruit dans les vins et l'assouplissement des tanins », confie Laurent Gautier.

Dans ce cadre, à partir de 2013, le domaine devient cave pilote, conseillé par la société Vivelys. Il récolte les raisins sur la fraîcheur pour obtenir des vins friands. En vue de conserver le fruit, il plafonne la température de macération des saumurs rouges à 25 °C. Durant cette phase, il ajoute des copeaux à 2 g/hl qui donnent de la sucrosité au vin et il micro-oxygène jusqu'à la densité de 1010 pour assouplir les tanins. Il pratique la co-inoculation levures/ bactéries lactiques afin d'obtenir des vins prêts à être embouteillés dès le mois de février, comme le demande le négoce.

À la vigne, ils obtiennent le rendement maximum pour chaque AOC, grâce au remplacement systématique des manquants et une conduite pointue, tout en récoltant des raisins de qualité. Les vins tranquilles, par exemple, ne sont plus chaptalisés depuis quinze ans.

À partir de 2000, ils enherbent les interrangs pour mieux maîtriser les rendements et rognent plus haut, à 1,95 au lieu de 1,60 m. Depuis 2005, ils effeuillent aux stades floraison-nouaison, côté soleil levant, puis, quinze jours avant les vendanges, côté soleil couchant. Ils taillent très courts leurs chenins (deux coursons de trois yeux seulement) destinés au saumur blanc pour obtenir autour de 13,5° naturels à la récolte. Ils dédoublent les bourgeons des rouges pour que la vendange soit plus homogène.

Autre cheval de bataille : des traitements raisonnés. En 2000, ils investissent dans une machine polyvalente SB 55 Braud avec un pulvérisateur face par face. « Quand on y goûte, on ne peut plus revenir en arrière », précise Laurent. Ils l'ont renouvelée en 2013 par une New Holland 9040 avec tri embarqué et un pulvérisateur Berthoud Speedair.

Laurent Gautier travaille en bas volume avec de l'eau adoucie. Il fait traiter la nuit entre minuit et 8 heures quand l'air est doux et humide. Généralement, il réduit les doses de 30 à 50 %, hormis en 2016 où la pression des maladies a été trop forte. En 2015, il franchit un pas supplémentaire quand son fils Pierre l'incite à investir dans un appareil à panneaux récupérateurs. Depuis, il l'emploie lors des deux premiers traitements et estime qu'il récupère ainsi 75 % des produits.

Aujourd'hui, Liliane et Laurent ont 53 ans. Leur fils Pierre, 25 ans, les a rejoints il y a trois ans tout en suivant un BTS viti-oeno. Alexandre, leur aîné, n'est pas sûr de revenir. L'an dernier, afin de faciliter la transmission de leur entreprise, ils l'ont scindée en une société foncière (GFA Des Vignes Biche) et une société d'exploitation (EARL Gautier).

« Nous avons la chance de vinifier nos vins. Nous travaillons en partenariat avec le négoce. C'est une option gagnante sur le long terme. Et nous avons une capacité de stockage importante qui nous permet de ne pas brader les vins, juge le couple. En cas d'aléas, notre fils aura toujours la possibilité de vendre en direct des produits haut de gamme et de niche, comme un saumur blanc élevé en fût. »

À leurs fils, ils donneront leurs conseils avisés : « Ne pas s'enflammer lors des bonnes années. Savoir faire le dos rond et toujours y croire lors des millésimes difficiles. » Une belle sagesse vigneronne.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Leur décision de vendre tout au négoce pour se concentrer sur la production a porté ses fruits. Ils ont pu s'agrandir et investir.

Ils ont fidélisé leurs salariés permanents et saisonniers. « Nous employons deux saisonnières depuis quinze ans. Elles gèrent leur temps et connaissent toutes les parcelles », souligne Liliane.

Ils sont fiers de la qualité de leurs vins, élaborés, entre autres, sans chaptalisation sur les secs depuis quinze ans.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

« En 2010-2011 nous avons refusé une vente pour 5 €/hl. Pendant trois ans, nous avons dû reporter un stock équivalant à 60 % d'une récolte avant de pouvoir déstocker. C'est inutile de se braquer contre le marché. »

« Lors de cette crise en 2012-2013, je me suis fié aux prévisions de FranceAgriMer afin de déterminer à quel moment il valait mieux vendre, raconte Laurent Gautier. Non fiables, je n'ai pas vendu à l'optimum. »

Dans les parcelles de chardonnay destinées au crémant, ils ont implanté un enherbement trop concurrentiel. Le rendement a chuté. Ils ont dû le remplacer par un engrais vert (phacélie et avoine).

LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE Des partenariats à long terme avec le négoce

- Aux vendanges, Liliane et Laurent Gautier ont déjà vendu 90 % de leur récolte. C'est le fruit de deux « bons partenariats » qu'ils ont noués avec le négoce. Ils livrent 55 % de leurs vins à un acheteur et 35 % à l'autre. Ils conservent 10 % de leur production, qu'ils vendent au gré du marché. Le premier négociant achète tous les ans 750 hl de saumur rouge et blanc en vrac, avec le nom du domaine, qu'il met en bouteille à la propriété. Un marché qui ne fait l'objet d'aucun engagement formel et renouvelé tacitement. Depuis 2014, ce négociant achète également 900 hl de vin de base selon un contrat de trois ans. Quant au second client des Gautier, il leur prend tous les ans 880 hl de vins de base, là encore sans engagement de durée.

- Pour leurs transactions avec le négoce, ils travaillent avec deux courtiers : Gabriel Deniau, dont le grand-père était déjà en affaire avec le grand-père de Laurent, et Christine Touron.

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L'exploitation

- Surfaces : 43 ha de vigne, 35 ha de céréales ;

- Main-d'oeuvre : Laurent Gautier, son épouse à 80 %, leur fils Pierre, deux temps-pleins, deux saisonnières ;

- Appellations : Saumur, Saumur Puy-Notre-Dame, Crémant de Loire, Cabernet d'Anjou, Saumur fines bulles ;

- Densité : 4 200 à 4 800 pieds/ha ;

- Taille : guyot simple, taille 2 coursons de 3 yeux ;

- Production : 2 776 hl en 2016.

L'essentiel de l'offre

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