BRÛLAGE DE BOTTES DE PAILLE, dans la nuit du 28 avril, à proximité de Beaune, en Côte-d'Or. © P. MÉRAT
SURVOL D'UN HÉLICOPTÈRE, au-dessus de parcelles de vignes, à l'aube du 27 avril, dans le Bordelais. © J.-B. NADEAU
Feux de paille
Un écran salutaire pour un coût réduit
Beaucoup de vignerons se sont regroupés cette année pour faire des feux de paille. Le principe : produire un écran de fumée opaque au-dessus des vignes pour éviter que les bourgeons gelés grillent au lever du jour, sous l'effet du soleil. Pour cela, il faut allumer les bottes avant l'aube et ne pas hésiter à les mouiller. La technique est facile à mettre en oeuvre et d'un coût raisonnable.
Dans une quinzaine de villages de Côte-d'Or, les vignerons se sont mobilisés au point de recouvrir toute la côte viticole d'un manteau de fumée. Une lutte d'une ampleur inédite (voir La Vigne n° 297, p. 6) qui n'a pas été vaine. « Nous sommes sûrs du résultat. L'écran de fumée a été parfait. On a gagné de 1 à 1,5 °C. Nous avons connu des températures très froides et évité le pire. Quand on voit les dégâts dans le Jura, le Chablisien et le Châtillonnais, on pense avoir sauvé la récolte », explique Jean-Baptiste Lebreuil, le président du syndicat viticole de Savigny-lès-Beaune, un village où la température est descendue jusqu'à -5 °C, les 20 et 21 avril.
Ce dernier accuse toutefois des dégâts de l'ordre de 50 % dans deux de ses parcelles survenus la première nuit de gel. « C'était le 19 avril. Il a fait -2,5 °C avec de l'humidité. À ce moment-là, nous tâtonnions. Nous avions allumé des feux avec des ceps et des palettes. C'était insuffisant. Avec la paille, nous avons lancé une multitude de feux. Grâce à l'effet de masse, cela a bien fonctionné », indique Jean-Baptiste Lebreuil. Coût de l'opération : 8 000 € pour couvrir les 400 ha de vignes du village de Savigny durant deux nuits. Fort de ce bon résultat, le viticulteur prévoit d'ores et déjà des améliorations. « Nous avons utilisé des grosses bottes de 300 à 350 kg qui sont difficiles à déplacer. Nous en cherchons des plus petites que nous stockerons sur un terrain. »
Les feux de paille ont fait d'autres adeptes, notamment dans le Centre où la Sicavac a fait des notations. « Grâce à un bon écran de fumée, il y a eu 15 % de dommage en moins », rapporte Marie Thibault, technicienne dans cet organisme de conseil.
Tours antigel
Un système très performant
Dans le Loir-et-Cher, Dominique Girault, de la Cuma Protec'Gel, est satisfait. Les 16 tours antigel qu'il supervise, à Noyers-sur-Cher, ont bien joué leur rôle. « Elles ont sauvé de 75 à 80 ha de vignes au moins », indique-t-il. Le résultat est flagrant. Dans la zone la plus touchée, les parcelles non couvertes par les tours ont perdu presque 100 % de leurs pousses. Dans le périmètre des tours, les bourgeons sont sains et saufs.
Les tours protègent bien jusqu'à - 4 °C. Au-delà, elles perdent de leur efficacité. Cette année, à Noyers-sur-Cher, elles ont tourné huit matins entre le 19 et le 29 avril. Les nuits du 20 et 27 furent les plus cruciales. Le 20, les températures sont tombées à - 5 et - 6 °C par temps sec. Le 27, elles sont descendues à - 3 °C par temps humide. Durant ces deux matins, les vignerons ont disposé six bougies dans un rayon de 30 m autour de chaque tour pour renforcer leur efficacité. « On a amené de la chaleur que les tours ont bien plaquée au sol », explique Dominique Girault.
Avec ces bons résultats, la Cuma envisage d'installer dix nouvelles tours. Pour les vignerons, il en coûtera 500 à 550 €/ha/an d'amortissement pendant dix ans, plus les frais de fonctionnement évalués à 200 €/ha cette année.
À Quincy, 270 ha sur les 300 de l'appellation sont également protégés par des tours. « Il y a un très bon maillage », précise Marie Thibault, de la Sicavac. Cette année, elles ont fonctionné durant neuf nuits. Là encore, les résultats sont positifs. « Les zones couvertes par les éoliennes sont indemnes, alors que les autres secteurs ont gelé à 100 %. Pour nous, c'est le système le plus performant », indique la conseillère viticole.
Hélicoptères
Un gain de deux à trois degrés
« Sans les hélicoptères, nous aurions accusé beaucoup plus de pertes. Il a fait jusqu'à - 6 °C par endroits. Les viticulteurs de l'AOC Montlouis peuvent être satisfaits du résultat. On a sauvé une partie de la récolte », expose Damien Delecheneau, le président de l'ODG. Au total, huit hélicoptères ont survolé à quatre reprises ce vignoble, peu avant l'aube, protégeant 255 ha pour un coût de 150 €/ha par vol. Mais une telle stratégie ne s'improvise pas. « Il faut définir les plans de vol à l'avance, calculer le temps durant lequel il faut protéger une zone donnée, déterminer la hauteur de vol et la vitesse d'avancement en fonction de la température... », détaille Anastasia Rocque, de la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire. Autre élément à prendre en compte : la taille de l'hélicoptère. Selon la conseillère, mieux vaut intervenir avec des hélicoptères de tourisme car les petits modèles ne déplacent pas assez d'air.
« On a pu observer un gain de 2 à 3 °C. Mais tout dépend de la différence de température de l'air entre le niveau du sol et en altitude. » Hélas, l'hélicoptère n'est autorisé à décoller qu'au lever du jour. Si les températures chutent tôt dans la nuit, les vignes restent sans protection. À Montlouis, cela s'est produit le 27 avril. Les vignerons ont dû demander l'intervention de leur députée pour obtenir le droit de faire décoller deux hélicoptères une demi-heure avant l'heure prévue. Mais cela n'a pas suffi : « L'efficacité n'a pas été de 100 %. Mais le pire a été évité », précise Anastasia Rocque.
Bougies
Une logistique imposante
Pour que les bougies soient efficaces, il en faut 500 par hectare. Telles sont les recommandations des conseillers viticoles. Mais cette année, les vignerons se sont trouvés rapidement en rupture de stock. « Dans ce cas, soit on réduit la densité, soit on protège moins de surface », indique Basile Pauthier du Comité Champagne. Beaucoup de vignerons ont opté pour la première option. Selon Basile Pauthier, il ne fallait pas descendre en dessous de 300 bougies par hectare. Dans ce cas, elles sont efficaces jusqu'à - 4 °C (humide) ou - 6 °C (sec).
En Indre-et-Loire, les bougies se sont également montrées efficaces dès lors qu'elles étaient disposées avec une densité de 400 à 500/ha. « C'est un moyen de protection assez sûr. Quand il y a eu des échecs, c'est que la densité était trop faible », rapporte Anastasia Rocque. Côté coût, il faut compter de 9 à 10 € par bougie pour une protection de 6 à 10 heures. Avec ce système, Dominique Girault, vigneron à Noyers-sur-Cher, a sauvé 75 ares. « J'ai disposé 250 bougies par hectare. Je les ai allumées quatre fois. Aujourd'hui, ma vigne est bien verte alors que celles alentours sont quasiment gelées à 100 %. » En contrepartie, il a dépensé 2 000 €/ha auxquels il faut ajouter le coût de la main-d'oeuvre pour les installer, les allumer, les éteindre puis ramasser les pots. « C'est toute une logistique. Quand les vins ne sont pas bien valorisés, cette technique de lutte n'est pas envisageable », souligne le vigneron.
Aspersion
Pas sans risque
« C'est la seule technique de lutte qui peut causer des dégâts si on la met en route par une température trop basse. C'est un peu stressant », reconnaît Quentin David, du Château de Favray, à Pouilly-sur-Loire (Nièvre). Mais bien menée, l'aspersion se révèle efficace.
« J'exploite 17 ha de vignes. Sur les 5 ha protégés par l'aspersion, les dégâts ont été très limités et les pousses sont préservées. Seuls les pieds en bordure de l'installation ont gelé sur trois à quatre mètres la première nuit de gel, le 20 avril, à cause du vent. À l'inverse, dans les parcelles non protégées, 90 % des bourgeons sont détruits. Il n'y a plus de feuilles. C'est sans comparaison », rapporte le vigneron. Il envisage donc d'agrandir son installation. Mais le coût est conséquent : 15 000 €/ha. Et, surtout, il faut réunir trois conditions : avoir de l'eau à proximité, des grandes parcelles et des sols filtrants, ce qui est le cas chez Quentin David. « Cette année, j'ai mis 150 à 200 mm d'eau. Mes sols caillouteux supportent bien ces apports. Il n'empêche, avec de telles quantités d'eau associées au froid, les vignes sont jaunes. Mais aujourd'hui elles repartent », indiquait-il le 16 mai.
Autre clé de la réussite : l'installation doit être irréprochable. Comme chaque année, il l'a très soigneusement révisée en février. « La moindre panne est fatale », insiste-t-il. Et à chaque fois qu'il met en route le système, il le surveille constamment. Il contrôle la bonne marche du moteur, vérifie qu'aucun jet ne se bouche... « J'ai passé des nuits blanches », avoue le vigneron.
En Indre-et-Loire, la technique de l'aspersion a été déployée sur 200 hectares environ. Anastasia Rocque, spécialiste de la lutte contre le gel à la chambre d'agriculture, confirme l'efficacité de cette méthode. « Nous n'avons pas observé d'échec, même s'il a fait très sec les deux premières nuits de gel. Dans ces conditions, les vignerons doivent anticiper davantage encore l'allumage. Mais comme la plupart sont équipés de thermomètres "humides" (pourvus d'un manchon de gaze imbibée d'eau autour du réservoir), ils ont bien géré les choses », rapporte-t-elle.
Mêmes échos positifs en Champagne. « Bien maîtrisée, l'aspersion a parfaitement joué son rôle », indique Basile Pauthier, du Comité Champagne.
FrostGuard : un rayon d'action décevant
Le FrostGuard projette de l'air chaud tout autour de lui. Il en existe une version fixe où seule la tuyère tourne à 360° et une autre où l'appareil tourne sur lui-même. Agrofrost, le distributeur français de cette machine, annonce un rayon d'action de 50 m. La chambre d'agriculture de l'Yonne en a suivi trois. « On a pris des mesures autour de l'appareil dans les quatre directions. Au-delà de 15 à 20 m, les dégâts sont aussi importants que dans les parcelles non protégées. Avec les gelées très intenses de cette année, un appareil a couvert 40 ares au maximum », rapporte Guillaume Morvan. « Le rayon d'action n'est pas énorme », constate également Marie Thibault, de la Sicavac, à Sancerre. « On protège seulement un demi-hectare », ajoute Anastasia Rocque, de la chambre d'Indre-et-Loire. L'appareil est déplaçable et s'installe facilement. Il coûte 8 000 € auxquels il faut ajouter le prix du gaz pour réchauffer l'air, soit 20 €/heure. Chez Agrofrost, Jim Servant assure que 80 % des utilisateurs sont satisfaits. Il reconnaît toutefois qu'en cas de vent ou de gelée noire, le rayon d'action est réduit si on travaille avec un seul appareil. « Avec la version qui tourne sur elle-même, on obtient un meilleur rayon d'action. » Jim Servant insiste aussi sur la nécessité de démarrer au point de rosée, soit + 1 °C par temps humide.
PEL 101 GV : des résultats très mitigés
Le PEL 101 GV s'applique au pulvérisateur sur les vignes pour stimuler leurs défenses contre le gel. Initialement vendu par Jouffray-Drillaud, sa commercialisation vient d'être reprise par Elicityl. À Chablis, où des vignerons l'ont employé, Guillaume Morvan, conseiller viticole à la chambre d'agriculture de l'Yonne, a fait des notations dans neuf parcelles. « Les premiers résultats montrent une efficacité de 0 à 50 % selon les parcelles. Pourquoi ces différences ? C'est ce que nous sommes en train d'analyser. Nous allons également regarder si les vignes traitées repartent mieux. » Ce produit a aussi été appliqué dans le Centre. « Dans la plupart des parcelles, il n'y a pas de différences significatives entre le témoin non traité et les vignes protégées. Mais dans quelques cas, il semble y avoir 5 à 10 % de dégâts en moins dans les parcelles traitées », note Marie Thibault, de la Sicavac. « Avec le PEL, on peut gagner 2 °C. Mais s'il fait vraiment très froid, cela ne suffit pas », reconnaît Marc Grenet, de la société Elicityl. Le produit s'applique 12 à 48 heures avant le gel sur les parties vivantes de la plante. « Il faut soigner l'application, travailler à bas volume et utiliser un mouillant doté d'un fort pouvoir d'étalement pour que la bouillie se répartisse bien », explique Marc Grenet.
L'herbe accentue le risque de gel
Les vignerons le savent : la présence d'herbe dans les vignes favorise le gel. Mais cette année, ils ont pu en mesurer les effets. À Sancerre, par exemple, la Sicavac a observé des vignes enherbées tous les rangs avec un enherbement large, dense et très développé, et des vignes désherbées chimiquement. Elle a compté 10 % de bourgeons gelés en plus dans les premières par rapport aux secondes. Le travail du sol accentue également le risque. « On note 5 à 10 % de bourgeons gelés supplémentaires dans les vignes travaillées comparées à celles désherbées chimiquement, même quand le travail du sol a été réalisé une semaine avant le gel en conditions sèches », indique Marie Thibault, de la Sicavac.
Les baguettes non pliées ont mieux résisté
Cette année, dans le Centre, le pliage des baguettes avait pris du retard. Au vu des prévisions météo, la Sicavac a donc conseillé aux vignerons d'attendre la fin des risques de gel pour terminer les chantiers. Cette stratégie a payé. « Un viticulteur qui taille habituellement en guyot simple avait laissé deux baguettes. Il n'en avait plié qu'une et laissé l'autre droite. Sur la baguette non pliée, il a eu 30 % de dégât en moins », rapporte Marie Thibault, de la Sicavac, à Sancerre. Dans les autres vignobles, les vignerons qui n'avaient pas plié leurs sarments ont aussi vu la différence. « Mais nous ne l'avons pas mesuré », indique Anastasia Rocque, de la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire. Et cette technique n'est pas sans inconvénient puisqu'il est très délicat de plier les baguettes après le débourrement.